Pandémie et santé mentaleL’université du Luxembourg veille au grain

Pandémie et santé mentale / L’université du Luxembourg veille au grain
Selon des enquêtes la plupart des Luxembourgeois suivent les recommandations des autorités pour stopper l'expansion du Covid-19 Photo: Editpress/Julien Garroy

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L’économiste Conchita D’Ambrosio et le psychologue Claus Vögele de l’Université du Luxembourg commentent les premiers résultats de l’étude „Come here“, qui compare les expériences du lockdown vécues au Luxembourg, en Italie, en Espagne, en Suède, en Allemagne et en France.

Depuis janvier 2020, le nouveau coronavirus (SARS-CoV-2) et la maladie qu’il cause, Covid-19, ont changé notre monde. Afin de protéger les systèmes de santé de l’effondrement et de minimiser le nombre de nouvelles infections et la propagation de la maladie, les gouvernements ont demandé à bon nombre d’entre nous, en l’espace de quelques jours, de ne quitter sa maison que pour des choses essentielles et pour travailler dans des secteurs-clés; les écoles et universités, restaurants et bars, les magasins non alimentaires, les frontières entre les pays, les aéroports, salles de sport, une liste sans fin d’activités, furent fermés; le travail est devenu „smart“, l’enseignement a eu lieu en ligne, nous avons commencé à laver nos mains durant au moins vingt secondes et plus souvent que d’habitude, nous avons masqué nos visages et des gens et des objets furent mis en quarantaine. En un mot: le lockdown est arrivé avec ses mesures de distanciation sociale. Tandis que les pas ont commencé à le desserrer dans beaucoup de pays, ces mesures sont restées en place.

Les chercheurs en sciences naturelles et médicales ont travaillé non-stop pour trouver un vaccin et une médication efficace et sûre pour le Covid-19. Les généticiens ont étudié la séquence complète du génome du SARS-CoV-2, retracé l’évolution de ses différentes lignées génétiques comme le virus circulait en différentes parties du monde, et utilisent la génomique dans l’espoir d’éviter une seconde vague. Les virologues ont développé des tests du SARS-CoV-2 et étudient le virus, son évolution et les maladies qu’il cause. Les épidémiologistes observent la distribution de l’épidémie dans les populations. Au-delà de cette approche prometteuse, il y a beaucoup plus à dire sur cette pandémie.

Des individus plus affectés que d’autres

Les expériences vécues ont d’une manière ou d’une autre affecté chacun d’entre nous. La pandémie a tué, mais elle a aussi eu un impact profond sur le comportement, les dynamiques sociales et la santé mentale des vivants. Ces derniers effets ont été inégaux, affectant des groupes et des sociétés plus que d’autres. Pour les étudier, nous avons conduit deux enquêtes autour du 1er mai 2020, l’une avec Qualtrics et l’un sur le site internet de l’Université du Luxembourg. Nous avons utilisé Qualtrics pour atteindre la représentativité des échantillons en France, en Allemagne, en Italie, en Espagne et en Suède (en trois vagues: la deuxième a débuté le 9 juin et la troisième est planifiée pour le 30 juillet). Qualtrics n’offre pas la possibilité de réinterviewer les mêmes individus au Luxembourg.

Les données de Qualtrics et du site internet ont été fusionnées pour former une base de 8.827 individus. Nous avons choisi les pays pour ce qui les différencie en termes de déclenchement et d’intensité de la pandémie, l’introduction et la portée des mesures de confinement, leur performance économique des dernières décennies, ainsi que les politiques fiscales et sociales, que les gouvernements respectifs ont mis en oeuvre pour soutenir les groupes socio-économiques les plus touchés par les restrictions liées au lockdown.

Notre objectif est: 1) de contribuer à l’analyse des conséquences du SARS-CoV-2 sur les individus et les sociétés, de qui a souffert le plus de la pandémie de Covid-19 en termes de santé mentale et de bien-être, aussi bien à court terme qu’à long terme; 2) de développer les recommandations pour les politiques pour doper la performance économique tout en protégeant la santé et le bien-être de la population; 3) de proposer les meilleures pratiques aux individus et aux associations pour renforcer la résilience et la santé physique et mentale ; 4) de fournir aux autorités sanitaires des recommandations pour augmenter leur niveau de préparation et optimiser leurs réponses pour les épidémies présentes et à venir.

Nous avons publié le premier rapport le 6 juillet dernier. Nous y décrivons les principaux changements qui affectent la vie des personnes et sommes en train de finaliser un second rapport sur l’analyse de ceux qui ont souffert le plus en termes de santé, de bien-être et de revenus.

Des revenus en baisse

La pandémie a changé nos vies. En France, en Allemagne, en Italie et en Espagne, le temps de travail a baissé pour 15 à 20% des résidents. En Suède et au Luxembourg, le chiffre se situe aux alentours de 9%. Le Luxembourg diffère de tous les autres pays par la grande proportion d’individus (8%) qui ont pris un congé pour raisons familiales.

13% des Italiens ont gagné moins, suivis par 9% des Allemands et des Espagnols, 8% des Français, 7% des Suédois et 4% des Luxembourgeois. En France comme en Allemagne, environ 30% des ménages ont connu une baisse d’au moins 1% de leur revenu mensuel durant le lockdown. Ce pourcentage monte à 53% en Italie et 45% en Espagne et baisse au contraire à 22% en Suède et 14% au Luxembourg. En France, Italie et Espagne, de 13% à 24% des résidents disent avoir connu une réduction importante de leurs revenus. Autour de 9% des Italiens et des Espagnols ont perdu leur emploi ou n’ont pas été payés. Environ 8% des Italiens et 6% des Espagnols sont incapables d’honorer leurs factures.

Entre 4% et 8% des personnes ont pris des médicaments dans une dose plus forte ou alors plus souvent que prescrit. Les plus forts pourcentages s’observent en Italie et Espagne (8%), suivies par la France et la Suède (6%), puis l’Allemagne et le Luxembourg (4%).

Plus de temps pour la garde des enfants

En moyenne, les personnes sont principalement inquiètes pour leurs finances, leurs projets, la contraction du Covid-19 et la perspective d’en tomber gravement malade. Ces inquiétudes ne sont pas omniprésentes, étant donné qu’il y a une hétérogénéité entre les pays. Les Luxembourgeois sont moins inquiets à propos de leurs finances mais plus pour leurs proches; les Suédois sont les moins inquiets d’attraper le virus, au contraire des Espagnols. Les Italiens et les Espagnols ont les plus grandes craintes de se retrouver au chômage, pour leurs finances, pour leur sécurité ou encore de s’ennuyer.

Les individus en France, en Allemagne, en Italie, en Espagne et au Luxembourg ont augmenté le temps passé à la garde des enfants et aux taches ménagères. Le Luxembourg a connu la plus grande augmentation (de 2,65 heures en moyenne) pour la garde des enfants. Chaque pays a connu en moyenne une baisse du temps de travail, de manière plus prononcée en France (2,55 heures) et en Italie (2,22) qu’en Espagne (1,90) et au Luxembourg (1,41).

Les résidents italiens et espagnols ont le plus haut degré d’observation des recommandations des autorités pour stopper l’expansion du Covid-19, suivis par les résidents luxembourgeois et français. Le pays de résidence dans lequel la population suit le moins les recommandations est la Suède. L’Italie est le pays dans lequel les résidents rapportent le plus bas niveau de satisfaction durant la semaine précédant l’enquête, tandis que l’Allemagne affiche le niveau le plus élevé.

Les Luxembourgeois parmi les plus stressés

Les résidents d’Espagne et d’Italie approuvent plus souvent les mesures et comportements préventifs (comme ne pas serrer la main) que les Français et les Luxembourgeois, avec les chiffres les plus bas pour l’Allemagne et la Suède. La plupart des pays (Italie, Espagne, France) approuvent également des comportements plus déraisonnables (comme l’achat de papier toilette). Ces résultats au premier abord contradictoires pourraient s’expliquer par l’engagement des personnes dans des comportements à la fois raisonnables et déraisonnables dans le but d’affronter cette situation de crise.

La dépression et l’anxiété tendent à être élevées en Italie, suivie de l’Espagne et du Luxembourg, puis dans les autres pays. La santé mentale positive, au sens de réussir à assouvir ses besoins (plutôt que l’absence de problèmes de santé mentale), est plus élevée en Espagne et en Allemagne et plus basse en Italie. Cela montre que les problèmes mentaux et la santé mentale positive ne sont pas les deux faces d’une même pièce: on peut avoir des problèmes mentaux tout en se sentant capable d’en faire quelque chose.

Les Italiens et les Luxembourgeois ont le plus fort taux de solitude, tandis que le soutien social perçu est le plus élevé au Luxembourg

Les répondants d’Italie, d’Espagne et du Luxembourg font état du plus haut niveau de stress ressenti durant les deux semaines précédant l’enquête. Les Italiens et Luxembourgeois ont le plus fort taux de solitude, tandis que le soutien social perçu est le plus élevé au Luxembourg, suivi de l’Allemagne et de l’Espagne, et le plus faible en Italie. Cela montre qu’on peut se sentir seul même en se sentant par ailleurs soutenu par son réseau social, comme c’est le cas au Luxembourg.

Le niveau de sévérité des mesures de confinement était similaire en Italie et en Espagne, mais a eu des conséquences différentes, ce qui montre que le confinement en tant que tel ne prédit pas directement la santé mentale. Le Luxembourg est le pays dans lequel les résidents font état du plus haut niveau de confiance dans la capacité de leur gouvernement à affronter la pandémie et sont ceux qui rapportent le plus haut niveau de confiance dans la capacité des services santé à affronter la pandémie; ce sont des renseignements très rassurants au vu des récents développements des nouvelles infections.