L’argent rend fou

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Ecrite en 2000, cette pièce à la fois rocambolesque et caustique semble anticiper les turbulences boursières et chambardements économiques de notre déprimante actualité quotidienne. Marc Weinachter

Ecrite en 2000, cette pièce à la fois rocambolesque et caustique semble anticiper les turbulences boursières et chambardements économiques de notre déprimante
actualité quotidienne.

Marc Weinachter

Mettant en scène des gugusses spéculateurs surfant et cabriolant sur les déferlantes financières pour plonger pitoyablement, la comédie loufoque de Granouillet tient à la fois de la fantaisie de bande dessinée et du cynisme de pamphlet atrabilaire. Quant aux figures, tels des pantins désarticulés, elles se retrouvent balayées et chassées au gré des coups de vent.
L’auteur Gilles Granouillet, l’une des figures de proue de la jeune dramaturgie sociocritique française, est né à St-Etienne en 1963, où il exerça plusieurs métiers avant de commencer, en 1989, à s’intéresser au théâtre. D’abord metteur en scène et comédien, il a depuis écrit une dizaine de pièces ayant généralement en point de mire les rêves, travers et fiascos de l’existence.
Tel dans „L’Incroyable Voyage“, où quatre personnages plutôt farfelus et mal assortis, rêvassant de fortunes accumulées, vont s’empêtrer dans une éphémère affaire gigantesque pour se retrouver aussi désemparés, ridicules et nuls qu’au début. Métaphore acide et virulente mettant au pilori tous les rapaces flambeurs et frimeurs agissant et trafiquant sur les marchés de l’argent comme d’impénitents joueurs de casino.

Racheter le pontde Galata

L’histoire par elle-même s’annonce assez originale et cocasse. Ecer, une jeune conseillère financière turque, tout à son ambition de devenir à son tour très riche, propose une juteuse opération à un certain Dux, magnat financier en dégringolade.
Il s’agit en l’occurrence de racheter le célèbre pont de Galata à Istanbul avant son remplacement, de le démanteler pour le vendre aux particuliers comme petits souvenirs du patrimoine national. Il faut y aller vite, car un groupe allemand est également sur la brèche, ayant l’intention de ramener le pont entier à Hambourg pour l’y installer comme restaurant flottant dans le port.
Et comme le temps presse, Ecer, en froide calculatrice, ne se révèle pas en manque d’un plan machiavélique pour pencher la balance de son côté. Ce qui équivaudra à persuader et pousser à l’action cet inattendu visqueux mollusque de Dux, se prélassant et se vantant dans son inanité.
Tout le charme et la surprise de la pièce sont là. Une démystification systématique, drôle et insolente de ce grouillant monde de la finance, où, à côté de gros requins voraces se lançant brutalement sur leur proie, de petits poissons rapaces hésitent, tournent en rond pour ne happer que des broutilles. Ainsi Dux, le prétendu caïd, persiflé dans la surprenante interprétation de l’excellent bousculant Frédéric Frenay, apparaît comme un Raspoutine mal lavé et fagoté, à la fois névrosé et halluciné, trébuchant, vociférant et tapotant comme un obsédé drogué. Même flanqué et appuyé de son garde du corps Boris, grande brute maffieuse et exécuteur de sales besognes (un Joël Delsaut ombrageux et menaçant), cette dorénavant pauvre loque de Dux, désabusé et maladroitement sentimental ne trouvera plus guère la force de remonter la pente pour lancer et réussir un dernier grand coup. Comme quoi l’appât de l’argent désintègre et rend progressivement fou.

Jouer de sescharmes

Colette Kieffer campe avec un certain flegme distancié une avide entremetteuse financière sachant jouer de ses charmes tout en remettant les mâles trop empressés dans leurs gonds. A la fois bouffon et souffre-douleur de son imprévisible et poltron maître, Bobichon, dans l’extraordinaire marrante interprétation de Denis Josselin, ne cessait de tenir le miroir aux alouettes à son infatué insipide entourage.
Beau symbolique décor de Christoph Rasche diffusant l’opacité glauque des transactions financières de par le monde, tout en élevant mélancoliquement le regard dans un incroyable voyage à la Jules Verne vers les profondeurs bleutées de l’univers. A la metteure en scène Marion Poppenborg, le mérite d’avoir traité en un style alerte et avec beaucoup d’humour sous-entendu ce moderne cruel conte sur les cupidités et stupidités financières dans nos sociétés ultra-libérales. Dont acte quotidien dans les tressaillements, hésitations et chutes des indices boursiers. Une divertissante comédie noire faisant grincer des dents et réfléchir.