FilmEn pleine dérive numérique

Film / En pleine dérive numérique
Benoît Delépine et Gustave Kervern

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Denis Podalydès, Corinne Masiero, Blanche Gardin (un premier rôle au cinéma) incarnent trois désenchantés qui ne baissent pas les bras. Ensemble, à trois, ils peuvent tout. A côté d’eux, une galerie d’acteurs et personnalités, Benoît Poelvoorde, Yolande Moreau, Bouli Lanners, Jackie Berroyer, Philippe Rebbot, Michel Houellebecq …, entre dans la danse déjantée. Les deux cinéastes sont très heureux de présider le Festival du film francophone d’Angoulême, le premier grand rendez-vous du cinéma depuis le début de la pandémie de Covid-19(1). Entretien avec Gustave Kervern.

Tageblatt: D’où vous est venue l’idée du film?

Gustave Kervern: Benoît et moi, bientôt sexagénaires, avions beaucoup de problèmes avec les manipulations du téléphone portable. Il nous semblait intéressant de regarder ceux qui sont frappés d’illectronisme dans l’environnement du tout téléphone. On a voulu inventer un personnage (Denis Podalydès) englué dans des difficultés face à la fermeture des services publics. Condamné au seul contact numérique, il se rapproche du burn-out. Nous avions écrit le scénario après l’arrivée des gilets jaunes. Du coup, le sujet devenait un peu trop caduc. On a pensé à deux autres personnages à qui tout arrive: une femme accro aux séries télé (Corinne Masiero) et une maman victime de chantage avec une sextape (Blanche Gardin). Finalement, leurs problématiques se rejoignent: l’importance des outils électroniques dans un monde de plus en plus individualiste.

Tout est à jeter dans les réseaux sociaux? 

Non. Il y a de bons côtés. C’est la dose qui fait le poison. On y passe énormément de temps et on ne sait pas s’arrêter. On est un peu dans la servitude volontaire, comme avec un bracelet électronique. Avec tout ça, les Gafam superpuissants emmagasinent nos données qu’ils revendent à des entreprises. A qui et à quoi sert notre profil numérique? On ne sait pas ce que cela peut donner dans le long terme. Pour l’instant, on est encore dans une société démocratique. Mais pour combien de temps face à ces superpuissances dangereuses qui dominent tout, y compris le politique? Elles savent tout sur nous mais on ne sait rien sur elles. Très peu sur les réseaux sociaux, je balance quelques trucs sur Twitter lors de la sortie d’un film, tous les deux ans. Instagram, je ne sais pas ce que c’est, je n’y comprends rien. Je n’ai pas envie d’y être parce que ça prend trop de temps. Je peux vivre sans.

Comment lutter contre le tout numérique? 

La lutte individuelle est difficile. Le combat collectif est plus motivant, plus efficace mais reste quon se retrouve contre des superpuissances qui ne paient aucun impôt et qui, plus est, sont au-dessus des Etats. On est des aventuriers donquichottesques face à des moulins à vents du numérique. La lutte est un peu perdue d’avance mais on garde les armes. Il faut surtout rester en éveil.

Les jeunes baignent dans le virtuel. Plus que les adultes …

Il y a deux enfants dans le film: l’un est sur sa console de jeux en permanence et l’autre, sur son téléphone. On montre qu’ils sont coupés du monde. L’impact du numérique sur les jeunes est très fort: si on leur enlève leur téléphone c’est comme si on leur coupait un bras. Le propre de la jeunesse c’est d’être inconscient des problèmes. Les adultes, eux, voient plus facilement le dessous des carteset heureusement. On ne peut pas demander aux ados d’être tout à fait conscients des enjeux bien qu’ils devraient l’être. Ils sont sortis du confinement grâce au téléphone, ils ont plein de copains virtuels ou non virtuels. On espère que le film les amène à regarder au-delà de leur téléphone.

Comment avez-vous convaincu Blanche Gardin de jouer dans le film?

Elle est la reine de l’humour noir. On a vu ce qu’elle faisait sur scène. Malgré ses réticences sur le cinéma, elle a accepté de nous faire confiance. Elle connaît notre émission Groland le zapoi (Canal plus). Blanche n’a pas improvisé. Au contraire, elle a travaillé avec Benoît et moi sur les dialogues tous les matins. Un vrai travail en bonne intelligence avec quelqu’un d’exigeant au niveau du vocabulaire.

Dans le contexte de la crise sanitaire, comment voyez-vous l’avenir du cinéma?

J’ai peur que les gens aient pris de mauvaises habitudes en restant chez eux et en regardant des séries ou des films sur des plateformes. J’espère que le retour en salles de cinéma se fera normalement. Notre film marche plutôt bien. Mais pour d’autres réalisations, c’est dur. Autant il n’y aura pas un avant et un après pour le capitalisme, autant il y en aura un pour le cinéma. Les gens ne sortent que pour les films à gros budget. Le cinéma d’art et d’essai, déjà en baisse, prend un sacré coup. Je ne suis pas sûr que les gens aient envie d’aller au cinéma masqués. Quand je vois une salle avec vingt personnes masquées, j’ai l’impression de voir un mauvais film de science-fiction. De mon point de vue, il y a un côté dérisoire, une dérive. On en fait énormément pour une maladie qui tue relativement peu.

(1) „Effacer l’historique“ a fait l’ouverture du Festival (hors compétition).