Adieu douce France

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Par Daniel Salvatore Schiffer*

Il est des êtres dont l’importance, la grandeur et la beauté tout à la fois, nous apparaît soudain, paradoxalement, lorsqu’ils ne sont plus là. La tristesse, lorsque semblable mort advient, en est d’autant plus intense, et le chagrin d’autant plus cruel.

C’est le cas aujourd’hui, en ce froid et gris matin d’hiver, de France Gall, qui, ce dimanche 7 janvier 2018, vient de nous quitter, à l’âge de 70 ans, après un long et douloureux combat, quoique toujours très digne, contre la récidive d’un cancer du sein. „Evidemment“ serait-on donc tenté de dire après coup, paraphrasant là le titre de l’une de ses plus célèbres chansons, à propos de cette icône, par-delà sa légendaire discrétion, de la chanson française!

Car, oui, après les récents décès de Mireille Darc, Claude Rich, Jeanne Moreau, Jean Rochefort, Jean d’Ormesson et Johnny Hallyday, c’est un autre pan du patrimoine culturel français de la seconde moitié du XXe siècle qui s’en va, inexorablement, ainsi.

Et, avec lui, un peu plus encore – hélas! – de notre propre jeunesse, ces „tendres années“ comme le murmurait presque, précisément, Johnny, émouvant, en cette subtile mélodie, plus que jamais.

Certes ne connaissais-je pas France Gall, ni ne l’ai même jamais rencontrée, contrairement à ce qui m’est arrivé avec la plupart des grands écrivains, philosophes ou poètes, de notre temps.

Et, pourtant, c’est empli d’une vive et sincère émotion – un sentiment où se mêlent peine, humilité et compassion – que je vis, en cet instant où j’écris ces lignes, la disparition de cette femme d’une rare élégance, d’une exquise noblesse d’âme en même temps que d’une dignité sans pareille, y compris dans les pires moments de son existence, comme ce fut le tragique cas avec les décès prématurés de sa fille adorée, Pauline, morte de mucoviscidose, et de son mari, le très talentueux Michel Berger, foudroyé, en pleine gloire et jeunesse, par une crise cardiaque.

La mort des artistes

Ainsi, quoique je ne l’aie donc jamais rencontrée, est-ce non sans admiration également pour son engagement sur le plan social et humain (car elle fut bien autre chose, bien plus profonde et bien moins insouciante, que la Lolita de l’espiègle „Poupée de cire, poupée de son“ et autre „Sucettes à l’anis“ du génial Gainsbourg) que je lui adresse à présent, sous forme de „déclaration“ comme s’intitulait là aussi l’un des ses principaux tubes, ces vers, extraits de „La mort des artistes“, l’une de ses plus pénétrantes „Fleurs du Mal“, de Charles Baudelaire, mon poète de prédilection:

„Il en est qui jamais n’ont connu leur Idole,
Et ces sculpteurs damnés et marqués d’un affront,
Qui vont se martelant la poitrine et le front,
N’ont qu’un espoir, étrange et sombre Capitole!
C’est que la Mort, planant comme un soleil nouveau,
Fera s’épanouir les fleurs de leur cerveau!“

Douce France et son bon Berger

Adieu, donc, douce France, merveilleuse incarnation, en sa plus gracieuse, noble et heureuse expression, de cette France que nous chérissons tant: va-t-en donc rejoindre paisiblement aujourd’hui, après les affres de cette maudite maladie que tu affrontas avec tant de courage en tes derniers jours, ce „Paradis Blanc“ où t’attend assurément, tel le plus bienveillant des époux, ton beau et bon Berger, l’éternel amour de ta vie.

Dans ton „Cézanne peint“, chanson écrite et composée en 1985 déjà, injustement méconnue et pourtant emblématique des vicissitudes de ta propre existence, tu disais, prémonitoire, avec raison: „Si le bonheur existe, c’est une épreuve d’artiste.“

Immortelle France, le beau pays de France, qui te pleure aujourd’hui, t’aimera, elle, encore longtemps: elle ne te „résiste“ plus désormais, „évidemment“!

* Philosophe, auteur de „Traité de la mort sublime – L’art de mourir de Socrate à David Bowie“ (Alma Editeur, Paris).