Accès des réfugiés au logementL’ascenseur social est cassé : L’autonomie coûte trop cher

Accès des réfugiés au logement / L’ascenseur social est cassé : L’autonomie coûte trop cher
Après avoir obtenu leur statut, les bénéficiaires de protection internationale doivent quitter leur foyer d’hébergement. Mais le saut vers le marché privé est très compliqué Photo: archives Editpress

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La situation sur le marché de l’immobilier est rude pour tous les aspirants locataires. Mais les bénéficiaires de protection internationale partent avec plusieurs handicaps, dont leurs années passées sans expérience professionnelle et l’impossibilité d’aller habiter à l’étranger.  

L’actualité en Ukraine a tendance à capter toute l’attention, y compris dans le complexe dossier des réfugiés. Au premier plan figurent l’ouverture des maisons des résidents à plus de 2.600 réfugiés d’Ukraine ou, moins reluisant, le sort particulièrement difficile fait aux détenteurs d’un titre de séjour à durée limitée, comme les étudiants africains, qui se voient proposés de rentrer dans leur pays, mais ont encore la possibilité de tenter leur chance dans un autre pays de l’UE. Mais, derrière cette réalité spectaculaire, au quotidien, il y a les difficultés toujours plus grandes des bénéficiaires de protection internationale à s’envoler de leurs propres ailes, avec des chances minimes d’être accueillis par des résidents et des chances nulles de pouvoir chercher leur bonheur dans un autre pays de l’Union européenne. Ils sont assignés aux foyers et les ONG ont des moyens limités pour les aider.

 Alors que sa femme est enceinte de jumeaux, et avec trois enfants en bas âge, Tesfazgi Gabrihiwet voudrait dormir non plus sur, mais sous un toit

Jusqu’au suicide

Dans la communauté érythréenne et de ceux qui ont fréquenté le même foyer de l’Office national de l’accueil (ONA), le cas de Tesfu revient souvent quand on aborde le sujet avec eux, tant son cas incarne dramatiquement l’impasse et le désespoir que suscite la situation. En mai 2021, cet homme de 25 ans, venu d’Érythrée, a été retrouvé mort dans sa chambre du foyer au Herrenberg à Diekirch. Il avait un emploi aidé à Bettembourg, en plus du revenu minimum d’insertion (Revis). Ce n’était pas suffisant pour échapper aux conditions de vie harassantes du foyer par le partage d’une chambre avec d’autres, avec par-dessus de ça des papiers pas toujours compréhensibles à remplir qui lui ont valu une suspension de son Revis et des arriérés de loyer. Sa situation personnelle difficile l’a stressé.  „Il travaillait, mais n’arrivait pas à intégrer le système“, résume sa compatriote, Hellen Weldeaab Habtom.

Pour une personne qui en vient à se suicider, combien en est-il qui traînent les conséquences mentales de leur parcours et de leur séjour trop long en foyer, comme Nebyat Salomon, jeune femme de 26 ans, qui sort de chez le médecin avec un traitement médicamenteux pour soigner ses maux de tête? Beaucoup. Et combien, comme Hellen, se battent tous les jours dans l’espoir de ne plus dépendre de l’État? Encore davantage. 

Certes, les demandeurs de protection internationale ne sont pas les seuls à devoir jouer des coudes sur un marché du logement fortement spéculatif. Mais, la concurrence est telle que les conditions très élevées pour accéder au logement fait qu’ils ont rarement le profil pour rivaliser. Hellen regretterait presque les temps anciens où la règle du tiers de revenu disponible pour le loyer n’existait pas, où les ouvriers migrants pouvaient se contenter de peu pour survivre avec le réconfort d’avoir un toit. Le Revis, „pour moi, ce serait assez, au moins j’aurais une adresse, même si je dois me saigner“, dit-elle. L’alternative, pour l’instant, fut d’être hébergée par une famille et de perdre en conséquence ses revenus.

L’accès au logement est lié à l’intégration au marché du travail, et, qui plus est, à l’obtention d’un contrat à durée indéterminée. Or, dans la course à ce sésame, les réfugiés partent de graves lacunes. Il y a d’abord le trou qu’a formé, dans leur CV, le temps pris par le voyage clandestin entrepris pour gagner l’Europe et la décision administrative (même si plus de 75% des demandeurs, nous dit-on, reçoivent désormais une réponse endéans les 12 premiers mois). Partie fin 2015, Hellen a mis trois ans pour gagner le Luxembourg, au bout d’un voyage onéreux et jalonné de longues haltes dans des camps étrangers comme en Ouganda. „J’ai perdu quatre ans de ma vie, juste pour arriver en Europe“, dit-elle. Dans son pays, elle avait une formation pour s’occuper d’enfants en bas âge. Au Luxembourg, après avoir obtenu le statut de bénéficiaire de protection internationale (BPI, le terme utilisé par les administrations et associations), elle a opté pour une formation universitaire dans les technologies de l’information, puisqu’elle était dispensée en anglais, seule langue qu’elle maîtrisait bien. Elle peine à trouver un premier emploi. „Le marché préfère quelqu’un qui a de l’expérience. Ce n’est pas une question si je suis réfugiée ou pas, mais si j’ai de l’expérience.“

Durant ses études, elle avait une chambre universitaire, qu’elle a dû quitter après l’obtention de la licence en septembre. Désormais, elle cherche un logement et un emploi.  Elle travaille comme traductrice free-lance auprès d’une ONG, mais elle se heurte toujours aux refus de logement au vu de sa situation financière et du fait qu’elle ne perçoit que le Revis. „Il y a des problèmes d’intégration dans le système. Il n’est pas facile de trouver un emploi. La maîtrise d’une seule langue souvent ne suffit pas“, explique-t-elle. „Et si on commence avec le salaire normal, il s’agit souvent de contrats de trois à six mois.“ 

Temps perdu

„Une fois le statut obtenu, ils ont la possibilité de travailler, mais la période n’a pas été mise à profit pour développer des compétences pour améliorer leur employabilité“, observe Marion Dubois de „Passerell“, association de défense des droits des réfugiés qui a dû réduire la voilure en raison de l’absence de soutien pérenne de l’État. Il existe bien un parcours d’intégration accompagnée, proposé aux demandeurs comme aux bénéficiaires, consistant dans des séances d’information sur le Luxembourg ainsi qu’un nombre insuffisant (une à deux heures par semaine) et pas toujours judicieusement centré sur le français d’heures d’instruction linguistique.

Quand on regarde le taux d’employabilité des BPI par nationalité, les mieux intégrés ne sont que 35% à travailler. „Si on ne leur donne pas les outils pour s’intégrer correctement, s’autonomiser et devenir indépendant des pouvoirs publics et des foyers de l’ONA, cela ne va pas aller en s’arrangeant“, alerte Marion Dubois. Pour les personnes en mesure de travailler, il faut faire en sorte qu’elles accèdent à une formation professionnalisante, avec une offre plus étoffée dès le dépôt de la demande. Pour ceux qui n’ont pas la capacité de travailler, il faudrait davantage de logements sociaux aux loyers abordables.

On peut donc améliorer aussi bien la demande que l’offre. „C’est un problème qui touche les réfugiés d’une manière particulière, car c’est une population plus précaire et moins intégrée que d’autres“, rappelle Marion Dubois. Mais les bénéficiaires de protection internationale ont aussi un désavantage supplémentaire sur les autres précaires. Les ressortissants européens peuvent devenir des travailleurs frontaliers. Les réfugiés n’en ont pas la possibilité. Ils doivent rester résidents au Luxembourg, comme d’ailleurs tous les résidents de pays tiers qui ont un titre de séjour national. „Peut-être faudrait-il des mesures plus ciblées sans entraver le marché. Ça ne me paraît pas illogique de faire de la discrimination positive“, explique Marion Dubois. Elle imagine aussi des mesures qui dépasseraient la seule politique de l’asile et qui ne feraient du bien pas qu’aux réfugiés. Il s’agirait de mettre fin à la spéculation, de mettre sur le marché les 5.000 à 6.000 logements vacants et d’imposer des loyers maximums.

En regard à ces propositions, l’appel lancé aux communes par le ministre de l’Immigration et de l’Asile, Jean Asselborn, lors de la réouverture le 19 octobre du foyer de Weilerbach (190 lits), de participer à l’effort de solidarité et de mettre à disposition des emplacements pour la construction ou l’aménagement de structures d’hébergement pour demandeurs de protection internationale (DPI), ressemble à une bouteillée à la mer. Il existe plusieurs aides financières et administratives à destination des communes accueillant des demandeurs ou bénéficiaires sur leur territoire, mais elles sont loin de remédier à la situation.

Peut-être faudrait-il des mesures plus ciblées sans entraver le marché. Ça ne me paraît pas illogique de faire de la discrimination positive.

Marion Dubois, association Passerell

Comme dans un étau

Le besoin d’agir est d’autant plus urgent que le flux de travailleurs étrangers ne tarit pas sur les marchés du travail et donc du logement. Et d’autre part, le flot de demandeurs d’asile est constant. Les bénéficiaires de protection internationale se trouvent pressés de toute part. D’une part, ils ne sont pas en mesure de trouver un emploi et un logement. D’autre part, il faut libérer de la place dans les foyers pour les nouveaux arrivants. Au 30 septembre 2022, le réseau d’hébergement de l’Office national de l’accueil (ONA), comptant 55 structures pour DPI, hébergeait un total de 4.158 personnes, dont presque autant de demandeurs (48,2%) que de bénéficiaires (42,3%). Après avoir reçu une réponse positive à sa demande de protection internationale, le BPI doit chercher son propre logement et quitter la structure d’hébergement de l’Office national de l’accueil (ONA) dans un délai maximal de 12 mois. En attendant, il doit participer aux frais de logement par le paiement d’une indemnité d’occupation mensuelle, fixée en fonction des revenus et de la composition familiale (égale à un tiers des revenus). Et à l’issue de cette période, c’est souvent la solidarité entre réfugiés qui permet d’échapper à la rue. C’est un moindre mal. Mais, dans une communauté comme l’érythréenne, très récente, on ne peut pas compter sur les mêmes réseaux pour obtenir un emploi.

Avec l’asbl. „Oppent Haus“, Marianne Donven intervient aussi dans les cas les plus difficiles pour trouver une chambre aux réfugiés qui sont menacés de se retrouver dans la rue, comme elle l’a fait avec 185 d’entre eux depuis 2016. Elle constate que, depuis la guerre en Ukraine, il est beaucoup plus difficile de trouver des places – parce que les maisons se sont largement ouvertes aux réfugiés fuyant le conflit. Elle regrette cette règle qui vaut que le Revis soit supprimé quand les personnes sont hébergées chez des particuliers. Elle y pallie en louant des appartements ou maisons, pour que des réfugiés puissent y trouver leur autonomie. Elle pense qu’une incitation financière serait utile pour aider les gens aux revenus modestes d’accueillir des réfugiés. Sa stratégie consiste aussi à la création de lieux où les réfugiés trouvent un accès privilégié au travail, à savoir les restaurants Chiche (il en existe trois actuellement). 

Amid (prénom fictif) a trouvé un logement douze mois après avoir obtenu le statut. Arrivé au Luxembourg en 2019, en provenance du Moyen-Orient, il lui aura fallu un an d’intenses recherches, pour finalement trouver une chambre dans une maison d’Esch. S’il avait l’avantage sur d’autres réfugiés d’être célibataire, il partage avec eux une exposition aux discriminations. Il aurait pu s’extraire de sa situation bien avant, ce jour où il avait enfin trouvé des colocataires qui voulaient partager leur logement avec lui, et que l’agence immobilière lui a répondu froidement par mail que c’était impossible, sans qu’il ait même eu la possibilité de se présenter. 

Pour lui, le principal est d’être sorti du foyer, d’avoir échappé à la promiscuité et arrêté de payer 500 euros une pièce partagée avec deux autres. Il ne sortait pas de sa chambre, y mangeait froid, s’agaçant des fermetures de cuisine pour la faute d’un seul ou encore des toilettes jamais réparées. Désormais, il doit comprendre pourquoi, dans le foyer, une telle promiscuité était admise et que maintenant, alors qu’il dispose d’une chambre pour lui seul, il ne lui est pas permis d’y inviter de petite amie. Au moins, dorénavant, il est davantage au cœur de la société et en mesure de s’exercer aux langues du pays. „Quand on est dans le camp, on n’est pas intégré. Chacun construit sa propre communauté en fonction de ses origines.“ Voilà pourquoi il ne veut pas faire la fine bouche: „C’est une chance pour moi d’avoir cette solution. Je connais des amis qui ne l’ont pas.“

Du mauvais côté du toit

La colocation entre familles est beaucoup plus difficile à organiser. D’autant plus quand les familles sont nombreuses. L’ONG Life asbl. a pu trouver un toit pour 70 à 80 réfugiés, mais ils sont 500 sur la liste d’attente, dont beaucoup de familles nombreuses. Tesfazgi Gabrihiwet s’est adressé comme beaucoup d’autres à l’association. Mais son logement vacant, c’est sur le toit d’une église de la capitale qu’il l’a trouvé. C’est là qu’il dort depuis huit mois. Il y a urgence à trouver un logement non seulement pour sa santé, lui qui a contracté la tuberculose durant son séjour, mais aussi pour sa famille, avec laquelle il voudrait être réuni. Cette dernière est déjà grande et va s’agrandir encore. Sa femme, enceinte de jumeaux, et ses trois enfants de 6, 10 et 12 ans sont logés dans un foyer à l’ouest du pays. Ils sont arrivés avant lui au Luxembourg, il y a trois ans. 

Cet ancien jardinier a déserté l’armée érythréenne en 2015. Il a mis deux ans pour rejoindre l’Italie, via la Libye. Il a obtenu ensuite le statut de réfugié et a fini par localiser au Luxembourg sa famille, partie par un autre chemin, via la Turquie. À la différence de ceux qui, comme lui, tentent leur chance dans un pays européen plus accueillant que l’Italie ou la Grèce, il peut rester au Luxembourg, parce qu’il veut faire valoir le droit au regroupement d’avec sa femme et ses trois enfants. Mais, s’il a le droit de leur rendre visite et le fait quatre heures par jour durant lesquelles il fait manger ses enfants, il ne peut dormir avec eux au foyer. L’accueil d’un „Dublinois“ n’est pas prévu. 

Pourtant, sa femme enceinte aurait bien besoin de son aide, ne serait-ce que pour emmener les enfants jusqu’au ramassage scolaire. La situation semble insoluble, tandis que sa femme doit accoucher en mars. „Ils te demandent un contrat en CDI et beaucoup d’argent pour la garantie“, déplore-t-il. L’ironie du sort est que ne pas en disposer n’empêche pas sa femme de payer un loyer de mille euros pour rester au foyer. Le transport gratuit pour aller la voir n’est qu’une bien maigre consolation. L’homme de 39 ans est allé sonner à toutes les portes: Service Lisko de la Croix-Rouge, Fonds du logement, Société nationale des habitations à bon marché, Agence immobilière sociale, Wunnengshëllef, Life asbl. … Un logement lui permettrait de pouvoir se relancer, trouver un travail avec son diplôme de cariste et d’avoir des documents. Goûter à une vie stable sept ans après le départ de la dictature érythréenne, ce ne serait pas trop tôt.

Hellen Weldeaab Habtom a suivi et obtenu une licence en sciences de l’information, mais peine désormais à trouver un logement
Hellen Weldeaab Habtom a suivi et obtenu une licence en sciences de l’information, mais peine désormais à trouver un logement