L’histoire du temps présent / Une histoire oubliée?

Lors du voyage du Roi des Belges Baudouin au Congo en 1955, des pêcheurs participant à une course de pirogues en l’honneur du souverain avaient donné le nom de „Luxembourg“ à leur embarcation (Photo: Collection Ceges – Bruxelles n° 135693)
Le 30 juin, la République démocratique du Congo a fêté le 60e anniversaire de son indépendance. A cette occasion, le Roi des Belges a exprimé ses regrets pour la période coloniale – en attendant les conclusions d’une commission parlementaire sur le passé colonial belge. Au Luxembourg, les députés du parti pirate ont adressé le 10 juin une question parlementaire au premier ministre pour savoir si le gouvernement comptait s’excuser pour l’implication du Grand-Duché dans le colonialisme.
Lors du débat d’actualité sur le racisme à la Chambre le 1er juin 2020, le poids du passé colonial luxembourgeois sur nos attitudes actuelles a été souligné. Ce passé colonial grand-ducal serait encore une histoire méconnue et oubliée. Pourtant, cette histoire a été étudiée par les historiens. En 1957, à l’époque coloniale même, Albert Calmes a écrit des premiers articles sur l’implication de Luxembourgeois dans le système colonial. Christian Delcourt, Renée Wagener, Romain Hilgert, Claude Wey, Serge Hoffmann, Marc Thiel, Michel Thill, Thomas Kolnberger, Mars Klein ou Pierre Marson ont étudié divers aspects des relations du Grand-Duché avec les colonies, tout comme les bénévoles du Centre de documentation sur les migrations humaines. En 2001, le magazine forum a consacré un numéro spécial aux relations entre le Luxembourg et le Congo. Moi-même j’ai consacré mon mémoire de master, publié en 2012, au Luxembourgeois au Congo belge. Les documentaires „Ech war am Kongo“ de Paul Kieffer et Marc Thiel (2001) et „Schwaarze Mann – un Noir parmi nous“ de Fränz Hausemer (2018) sur le syndicaliste et conseiller communal de Luxembourg de peau noir Jacques Leurs, ont rendu cette histoire accessible à un grand public. Depuis 2001, de nombreuses conférences sur l’histoire coloniale luxembourgeoise ont été organisées par des ONG. Depuis 20 ans, la presse écrite et audiovisuelle a régulièrement fait échos de ses recherches. L’histoire coloniale du Luxembourg est assez bien connue. Elle n’a jamais été un tabou.
Pourquoi le Luxembourg serait-il l’unique pays d’Europe à ne pas avoir de passé colonial? Les idées coloniales ont imprégné les sociétés européennes, y compris dans les pays sans empire colonial. Le colonialisme n’est pas uniquement européen: la conquête de l’Ouest américain, l’occupation de la Corée par le Japon et l’expansion russe et chinoise vers l’Asie ont des traits tout aussi coloniaux. Depuis le milieu du 19e siècle, le colonialisme est justifié par des théories prétendument scientifiques sur des caractéristiques supposées différentes entre ce qu’on appelle alors des „races“. Ces théories classent les populations en „peuples inférieurs“ et „peuples supérieurs“. Bien que nous sachions depuis des décennies que ces théories sont des fumisteries, leur écho se fait encore ressentir de nos jours.
Le Congo belge, une colonie qui nous appartient un peu
Les premiers Luxembourgeois participent à la colonisation du Congo dès 1883. Le Congo est alors la propriété privée du roi des Belges Léopold II. Nicolas Grang, originaire de Buschrodt où une rue porte aujourd’hui encore son nom, est un des premiers officiers envoyés en Afrique centrale. Dans des lettres qu’il écrit à son ancien instituteur, il se vante d’avoir fait détruire plusieurs villages récalcitrants au nouveau pouvoir. Une poignée d’ingénieurs et contremaîtres luxembourgeois participent, sous la direction de Nicolas Cito, originaire de Bascharage où une fontaine en son honneur existe encore, à la construction du premier chemin de fer. Durant le chantier, plus de 5.500 ouvriers africains et chinois trouvent la mort. Des Luxembourgeois participent également comme agents de sociétés privées à l’extorsion de caoutchouc dans des conditions effroyables pour la population africaine. Des missionnaires luxembourgeois sont aussi présents et construisent des écoles et des dispensaires.
En 1908, Léopold II est obligé de céder sa colonie à la Belgique. Les exactions commises dans la collecte du caoutchouc avaient été dénoncées par la presse anglo-saxonne et une commission d’enquête indépendante avait conclu que le régime économique prédateur était d’une cruauté sans pareille. Il y eut plusieurs centaines de milliers, voire même plusieurs millions de morts. Les autres puissances européennes ne le tolèrent plus, même si le tableau dans les colonies portugaises, françaises, allemandes ou anglaises est à peine différent.
En 1922, au moment de l’entrée en vigueur de l’Union économique belgo-luxembourgeoise, les autorités belges promettent de mettre à égalité Belges et Luxembourgeois au Congo. Dès lors, les Grand-Ducaux peuvent également y devenir fonctionnaires. C’est cela qui rend la colonisation du Congo particulière: si auparavant, les Luxembourgeois se rendaient dans les colonies des autres, le Congo belge devient une colonie qui leur appartient un peu. On compte ainsi une centaine de Luxembourgeois au Congo en 1925, 300 en 1939 et près de 600 juste avant l’indépendance en 1960. On les retrouve partout: fonctionnaires, directeurs dans de grandes et moyennes entreprises, colons indépendants ayant leur propre entreprise, médecins et aussi missionnaires, actifs dans le secteur de santé et l’éducation. A l’exception des religieuses, les Luxembourgeois travaillant au Congo sont avant tout des hommes issus de la classe moyenne qui vivent la plupart du temps en famille, avec femme et enfants. L’immense majorité des coloniaux ont un diplôme de fin d’études secondaires, voire un diplôme universitaire, à une époque où l’accès aux études supérieures est limité.
Au Luxembourg, la majorité des coloniaux sont membres dans des associations, comme le Cercle colonial luxembourgeois créé en 1924 ou l’Alliance Luxembourg-Outremer, créée en 1951. Ces associations organisent régulièrement des projections de films et conférences, notamment dans les lycées, pour encourager les jeunes à partir travailler dans „la“ colonie. En 1933 et 1949, deux grandes expositions coloniales se déroulent au Cercle municipal en Ville. On y croise souvent la Grande-Duchesse Charlotte et le Prince Félix. Le ministre des Affaires étrangères Joseph Bech est également un indéfectible soutien des coloniaux luxembourgeois que courtisent tous les partis, à l’exception des communistes. Avant 1960, il n’y a pas de contestation ouverte de la politique coloniale et même si le Grand-Duché de Luxembourg n’a juridiquement jamais été une puissance coloniale, tous les gouvernements entre 1900 et 1960 soutiennent activement les coloniaux luxembourgeois. Celles et ceux qui s’embarquent pour l’Afrique sont persuadés de le faire avec les encouragements du gouvernement. Le Luxembourg est d’ailleurs représenté aux festivités pour l’indépendance du Congo le 30 juin 1960 par le ministre de l’Economie Paul Elvinger. Quelques jours plus tard, la mutinerie de l’armée congolaise plonge le nouvel Etat dans le chaos. Fuyant l’insécurité, trois quarts des Luxembourgeois du Congo rentrent précipitamment en Europe durant l’été 1960.
Un passé qui passe mal
Le colonialisme au 19e et 20e siècles est un phénomène d’une ambiguïté colossale (kolossale Uneindeutigkeit), selon l’historien allemand Jürgen Osterhammel. C’est à la fois un régime de terreur pour collecter le caoutchouc mais aussi la construction de routes, d’écoles et d’hôpitaux. C’est à la fois une modernisation de la société africaine, acceptée par une partie des populations, mais aussi la destruction violente de toutes les structures politiques et familiales antérieures. C’est à la fois un régime d’une violence inouïe parmi les pires de l’histoire humaine à ses débuts mais aussi une société marquée par un paternalisme bienveillant dans les années 1950.
En 1950, Joseph Bech qualifie la colonisation du Congo comme „une œuvre d’une si haute signification humaine, réalisation dont la Belgique peut être fière“. Aujourd’hui plus aucun membre du gouvernement ne s’exprimerait ainsi. Le consensus scientifique décrit aujourd’hui le colonialisme comme un système d’exploitation politique, économique et sociale de la majorité autochtone africaine par une minorité allochtone. Même si au fil des décennies, la violence physique a diminué au Congo belge, il n’y avait toujours pas d’ouvriers blancs ni de patrons noirs à la fin de la période coloniale. Les structures économiques héritées de cette période n’ont toujours pas disparu en 2020. Au Luxembourg, de plus en plus de victimes de discriminations raciales, reprenant les stéréotypes inventés au 19e siècle pour justifier la colonisation, prennent aujourd’hui la parole. De nos jours, la majorité de la population rejette le colonialisme. Mais il est aussi la tâche de l’historien de rappeler que ce qui aujourd’hui apparaît comme moralement condamnable, a été perçu comme la normalité par la plupart des Européens dans le passé.
- 2021: année décisive et des décisions - 28. Januar 2021.
- Der Streit mit dem Pharmakonzern AstraZeneca spitzt sich zu - 28. Januar 2021.
- Pferdearzt mit Biss: AstraZeneca-Vorstandschef Pascal Soriot lässt sich nicht einschüchtern - 28. Januar 2021.
Interessant, die Rolle des Kongo bei der Finanzierung der Exilregierung Bech 1940-45. So 32 Millionen. Das war damals richtig viel Geld.