Que faire contre les „loups solitaires“ assassins?

Que faire contre les „loups solitaires“ assassins?

Jetzt weiterlesen! !

Für 0,59 € können Sie diesen Artikel erwerben.

Sie sind bereits Kunde?

De notre correspondant Bernard Brigouleix, Paris

Un nouvel attentat meurtrier est venu, samedi soir à Paris, rappeler, fût-ce de façon plus modeste que bien des fois précédentes, combien la France reste exposée au terrorisme islamiste. Cette attaque au couteau contre des passants, de type plutôt artisanal, n’a fait „que“ un mort et quatre blessés, et son auteur a pu être abattu par les policiers arrivés d’urgence sur les lieux. Mais, bientôt revendiquée par l’Etat islamique, elle n’en entretient pas moins la tension – et la polémique.

Il était environ 20.40 h, avant-hier, lorsqu’un jeune homme armé d’un couteau s’est mis à attaquer les passants du quartier de l’opéra Garnier, un des monuments les plus emblématiques de la vie culturelle de la capitale française, au cœur d’un quartier lui-même plein de restaurants, de brasseries, de théâtres et d’hôtels. Les piétons étaient alors nombreux et les terrasses des cafés bien garnies, dans l’atmosphère paisible et même quasi festive d’une fin de semaine printanière …

L’agresseur s’est précipité sur un homme de 29 ans, qu’il a poignardé à mort, puis sur d’autres personnes. Parmi lesquelles un homme luxembourgeois âgé de 34 ans, qui a dû être transporté en „urgence absolue“ à l’hôpital parisien Georges-Pompidou, et une femme de 54 ans grièvement blessée elle aussi. Une autre de 26 ans et un homme de 31 ans, l’ont été plus légèrement et sont actuellement sortis de l’hôpital.

Une patrouille de trois agents de police qui circulait dans le voisinage, alertée par des passants, rattrape l’agresseur, lequel les menace à leur tour de son couteau. A deux reprises, un des policiers essaie de le maîtriser avec un „taser“ électrique, mais sans succès; un autre sort alors son arme et tire deux fois. Le jeune homme est mortellement atteint au niveau du cœur.

L’organisation Etat islamique a rapidement revendiqué l’attentat, assurant que son auteur était „un soldat de l’Etat islamique“ et que cet attentat avait été „mené en représailles contre les Etats de la coalition internationale“ anti-djihadiste en Irak et en Syrie. Formulation et timing d’autant plus curieux que la dernière opération militaire à laquelle ait participé la France en Syrie était, aux côtés des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, il y a exactement un mois, un ensemble de frappes contre … les sites de fabrication d’armes chimiques du régime de Bachar el-Assad, et non des bases islamistes.

En tout cas, au fil des heures, la lumière a commencé à se faire sur l’identité du tueur. Le jeune homme, Khamzat Azimov, aujourd’hui de nationalité française, est né en novembre 1997 en Tchétchénie, la République musulmane russe du Caucase qui a déjà été le théâtre de deux guerres dans les années 1990-2000. Arrivé en France avec ses parents au début du siècle, il a grandi à Nice, puis à Strasbourg. Sa famille, en 2004, a bénéficié du statut de réfugiés, avant que la mère n’obtienne la nationalité française six ans plus tard, permettant ainsi la naturalisation de son fils, alors âgé de 13 ans. La demande de naturalisation du père, séparé de sa femme, a été, elle, refusée.

Un jeune „fiché S“ venu de Tchétchénie

D’ailleurs, le président tchétchène Ramzan Kadyrov a réagi en affirmant aussitôt que „toute la responsabilité“ de cette attaque revenait à la France, puisque c’est le pays où Khamzat Azimov a grandi. Mais on relève à Paris que de nombreuses attaques terroristes ont été commises ces dernières années par des Tchétchènes, principalement en Russie où une rébellion islamiste a prêté allégeance à l’Etat islamique en 2015, et a fourni de nombreux combattants aux groupes djihadistes de Syrie et d’Irak.

En 2016, alors âgé de 19 ans, Azimov est repéré par les services antiterroristes en raison de ses liens avec un groupe de jeunes souhaitant se rendre en Syrie, et est même „fiché S“. Mais dans le groupe qu’il fréquente, parmi lesquels se trouvent deux Tchétchènes suivis par la DGSI („Direction générale de la sécurité intérieure“), il apparaissait comme un simple „suiveur“. Pourtant, son cas est régulièrement évoqué dans les groupes d’évaluation chargés d’estimer le degré de radicalisation des personnes inscrites au fichier.

En attendant d’en savoir davantage, la section antiterroriste du parquet de Paris a été saisie, „compte tenu du mode opératoire de l’attaque et sur la foi de témoignages faisant état du fait que l’agresseur a crié ’Allahou akbar“, a précisé le procureur de Paris. Les qualifications d’„association de malfaiteurs terroriste pour préparer un crime d’atteinte aux personnes“ et „d’assassinat et tentative d’assassinat sur personne dépositaire de l’autorité publique en relation avec une entreprise terroriste“ont été retenues.

Le père et la mère du jeune tueur ont été placés en garde à vue hier matin, cependant que le domicile familial parisien était perquisitionné et qu’une troisième personne, présentée comme un ami du même âge que Khamzat Azimov, était interpellée à Strasbourg et placée en garde à vue, dans l’après-midi.

Cette affaire, quoique bien moins meurtrière statistiquement que l’assassinat des journalistes de Charlie Hebdo ou les massacres de Nice ou du Bataclan et de ses environs à Paris, a suscité ce week-end une assez forte émotion en France. Elle intervient en effet sept semaines après les attaques du 23 mars à Carcassonne et à Trèbes, qui avaient porté à 245 le nombre de victimes tuées dans les attentats sur le sol français depuis 2015. Et d’autres attaques islamistes au couteau avaient déjà été menées dans l’Hexagone, notamment à Marseille en octobre 2017.

Dans la nuit de samedi à dimanche, le président Macron a salué tant les victimes que les forces de l’ordre, ajoutant: „La France paye une nouvelle fois le prix du sang mais ne cède pas un pouce aux ennemis de la liberté.“ De même, son premier ministre, Edouard Philippe, a rendu hommage à la rapidité de l’intervention des policiers, „qui ont neutralisé l’auteur de l’attaque au couteau et évité ainsi un bilan plus lourd“. Même tonalité de la part du ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb.

Mais du côté de l’extrême droite, la présidente du Front national, Marine Le Pen, après avoir salué elle aussi l’intervention des policiers contre le tueur islamiste, a lancé la polémique en ajoutant: „Le peuple français ne se contentera plus de commentaires. Maintenant, nous attendons une information essentielle. Par quelle filière ce terroriste islamiste et sa famille sont-ils présents sur notre territoire?

Un couteau suffit pour briser des vies

On apprend une nouvelle fois que le terroriste était fiché S. A quoi peut bien servir cette fiche S si on ne s’en sert pas pour mettre ces bombes à retardement hors d’état de nuire sur le sol français? Et à quoi sert le ministre de l’Intérieur, qui balbutie à chaque attentat des commentaires d’une vacuité affligeante?“ Et le président du parti des Républicains, Laurent Wauquiez, a réagi dans le même sens.

A gauche, l’ancien premier ministre socialiste Manuel Valls, aujourd’hui pro-Macron, a demandé de „ne pas baisser la garde“ contre le terrorisme islamiste. Et Olivier Faure, nouveau premier secrétaire du PS, a déclaré sobrement: „L’horreur frappe une nouvelle fois la France, mais une nouvelle fois la République sera plus forte que la douleur.“ Quant à la Grande Mosquée de Paris, elle a, elle aussi, très fermement condamné l’attentat dans un communiqué contre „cette attaque lâche et barbare qui ne peut se réclamer d’aucune religion“. Ajoutant: „Nos pensées, notre solidarité, vont aux victimes et à leurs familles. Hommage aux policiers qui ont permis de neutraliser l’assaillant.“

En fait, au-delà des prévisibles controverses politiques et policières, cette affaire vient reposer la question des auteurs de „petits“ attentats personnels et de hasard, mais qui n’en constituent pas moins eux aussi des assassinats, des „loups solitaires“, comme les appellent les spécialistes de l’anti-terrorisme. Il n’est déjà pas simple, c’est même vraiment un euphémisme, de lutter efficacement contre les organisations susceptibles de commettre des assassinats de masse au nom de l’islam; du moins ont-elles leurs réseaux, leur logistique lourde, donc leurs failles possibles, et en tout cas une certaine logique politique, fût-elle abominable. Mais que faire contre des individus isolés, à peu près imprévisibles, et qui peuvent, malgré la modestie de leurs moyens – samedi à Paris, un couteau a suffi – briser des vies et prendre en otage la démocratie?