„Président des riches“ ou dynamiteur du „vieux monde“?

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De notre correspondant Bernard Brigouleix, Paris

Le dimanche 7 mai 2017 à 20 heures, les Français – et les autres – apprenaient ce qui ne faisait de toute façon plus guère de doute depuis un certain débat télévisé: Emmanuel Macron était élu président de la République, battant très largement Marine Le Pen avec un peu plus de 66 pour cent des suffrages et devenait ainsi, historiquement, à 39 ans, le plus jeune locataire de l’Elysée, où il remplacerait officiellement François Hollande une semaine plus tard.

Cette élection allait, quelque jugement que l’on ait pu porter sur ses différents protagonistes – sans oublier le grand absent du scrutin: le président sortant, que les divisions de la gauche, un bilan pour le moins controversé et de calamiteux sondages avaient contraint à ne pas se représenter – marquer un prodigieux tournant dans la politique française. Même s’il reste fort prématuré, un an seulement après, de tirer des conclusions définitives de ce qui peut n’avoir été, après tout, qu’un épisode-surprise de la vie publique de l’Hexagone, on ne saurait nier la violence psycho-politique du choc que cette première année d’exercice n’a pas effacée.

L’irruption, si rapidement victorieuse, de cet encore jeune homme au verbe parfois imprudent dans un monde politique qui ne lui était pas si familier à l’origine, a en effet secoué comme une tornade les structures traditionnelles de la vie des partis. Plus encore: elle a bouleversé, comme jamais depuis De Gaulle, et encore, le bon vieux clivage droite/gauche qui constitue depuis la Révolution de 1789 le socle jusqu’alors à peu près indestructible du débat public, qu’il soit présidentiel ou parlementaire. Et donné au passage un terrible „coup de vieux“ aux joutes et aux personnalités d’antan.

Que l’on y songe: le vainqueur de la présidentielle avait pour tout viatique politique un bref passage de numéro deux dans le cabinet présidentiel de Hollande, puis au ministère de l’Economie, qu’il allait bientôt quitter pour former à partir de rien son propre parti, La France en marche (aux initiales d’E.M. comme … Emmanuel Macron, ne tarderaient pas à remarquer les observateurs). Il n’avait été candidat à aucune élection antérieure ni à aucune primaire de gauche ou de droite, dont il allait d’ailleurs balayer, pour ne pas dire ridiculiser, les vainqueurs respectifs (moins de 5% pour le candidat du PS Benoît Hamon au premier tour, et guère plus de 15 pour celui des Républicains, François Fillon, noyé il est vrai dans les scandales). Et dans la perspective du second tour, il se paierait même le luxe, quoique assuré de l’emporter, d’argumenter pied à pied à la télévision, sur l’Europe notamment, contre une Marine Le Pen qui en sortirait laminée.

Emmanuel Macron s’est donc installé à l’Elysée, il y a un an, dans un climat qui, sans être unanimement bienveillant, comme il va de soi, était tout de même largement positif. On attendait de lui, à droite, qu’il ose enfin opérer les réformes que ni ladite droite en son temps ni la gauche „hollandaise“ n’avaient osé faire.

A gauche, on voulait tout de même se souvenir qu’en dépit du fait qu’il avait plus ou moins incarné certaines ouvertures sociales-libérales de Hollande, il avait passé le quinquennat précédent, pour l’essentiel, sous l’autorité de dirigeants socialistes. Au centre, on rêvait d’un grand retour au pouvoir à travers sa future majorité parlementaire, si du moins il parvenait à en rassembler une sans disposer encore d’un vrai parti, ni d’une masse significative d’élus locaux.

La débâcle de l’opposition

Bref, chacun, même ces électeurs marqués d’un côté ou de l’autre qui s’étaient abstenus au second tour, et à plus forte raison ceux qui s’étaient ralliés tôt ou tard à sa candidature, attendait quelque chose de fort du nouveau chef de l’Etat, de son évident dynamisme, de sa jeunesse. De ses promesses électorales aussi, quoique les Français soient traditionnellement fort désabusés à cet égard par de très nombreuses décennies d’engagements présidentiels non tenus.

Et curieusement, les premières frictions du nouveau règne, et corolairement les premières déceptions de l’opinion, sont venues, non de ce que Macron ne faisait finalement pas, une fois arrivé au pouvoir, ce à quoi il s’était engagé, mais au contraire du fait qu’il mettait en œuvre, et sans donner à lui-même ni aux autres le temps de souffler, certains points forts de son programme. A commencer par une nouvelle réforme du Code du travail, après la loi dite „El-Khomry“ dont il avait en fait déjà été largement l’auteur, du temps du quinquennat précédent, mais qui avait été beaucoup amendée sous la pression des syndicats. Cette fois-ci, le projet présidentiel est passé en force à l’automne, et sans réel dommage.

Il est vrai qu’entre temps, le nouveau président avait très largement gagné les législatives, avec une majorité absolue de députés LRM – souvent de parfaits inconnus, avec aussi des ralliés du PS et des Verts. Et nommé un premier ministre issu des Républicains de la tendance juppéiste, c’est-à-dire ouverte au centre, Edouard Philippe, flanqué de quelques vedettes ex-socialistes parmi les plus populaires, comme l’ancien ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, passé aux affaires étrangères, le maire de Lyon Gérard Collomb, nommé à l’Intérieur, et d’autres personnalités venues de la droite, comme Bruno Le Maire à l’Economie et aux Finances ou Gérald Darmanin au Budget, outre un grand universitaire peu suspect de sympathies de gauche, Jean-Michel Blanquer, à l’Education nationale.
Par chance pour Emmanuel Macron et son gouvernement, l’opposition, elle, s’est très vite trouvée, durant cette année, confrontée aux conséquences de sa propre débâche présidentielle. Le parti des Républicains, repris en main par Laurent Wauquiez élu à sa tête par une majorité écrasante mais une abstention qui ne l’était guère moins, tend plutôt pour l’instant à faire fuir les modérés vers le macronisme qu’à rassembler. Le PS, laminé et ruiné, s’apprête à emménager en banlieue dans des locaux qui n’évoquent guère sa splendeur pourtant toute récente encore; et tant son candidat à la présidentielle, Benoît Hamon, que son dernier premier ministre, Manuel Valls, l’ont quitté.

Le Front national n’en finit pas de se chercher un avenir, en attendant peut-être un remplaçant à Mme Le Pen. Quant à La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, l’arrogance péremptoire de son leader et ses visées hégémoniques sur la „gauche de gauche” française, sans suffire à le faire sombrer, l’isolent.

Des erreurs et des risques d’échec

Reste que malgré des conditions globalement favorables, tout particulièrement si l’on y ajoute une reprise économique européenne et mondiale qui tire clairement vers le haut les résultats de la nouvelle politique française, le macronisme au pouvoir a eu aussi, durant cette première année, sa part d’erreurs, et de risques d’échec.

Côté erreurs, le président lui-même n’a pas toujours su se départir de sa vision passablement hautaine, même s’il jure le contraire, des „gens qui ne sont rien“, comme il avait dit une fois de manière incroyablement malencontreuse. Sans aller jusque là, et en dépit d’une volonté affichée de s’expliquer – y compris publiquement et avec des adversaires résolus – il n’a manifestement que trop tendance à considérer qu’on ne saurait s’opposer à sa politique que par sottise, ignorance ou souci égoïste de préserver des privilèges.

Plus préoccupant encore pour lui, et paradoxal: si son élection avait été assez largement considérée comme une sorte de victoire de la raison moderne sur les passions anciennes, de l’équilibre entre les deux grandes familles politiques plutôt qu’une énième „alternance“, de la fin de clivages dépassés, il apparaît aujourd’hui à beaucoup comme „le président des riches“, en tout cas comme clairement plus orienté à droite qu’à gauche. Certaines décisions fiscales, notamment la réorientation de l’ISF (Impôt de solidarité sur la fortune) vers l’industrie au détriment de l’immobilier, ou la vraie-fausse réduction fiscale qui frappe les retraités, y ont largement contribué.

Côté risques, il y a bien sûr le long conflit sur la réforme du statut, très privilégié en effet mais qui faisait depuis près d’un siècle partie du paysage social français, des cheminots. Celui d’Air France exaspère massivement les usagers, mais celui de la SNCF les laisse plus partagés, même si les syndicats semblent bien avoir, à ce jour, perdu la guerre de l’opinion, comme en a encore témoigné – hormis les casseurs, bien entendu – la relative maigreur des „vraies“ manifestations du 1er Mai. Risques encore du côté de la réforme plus globale du Service public, du système hospitalier et de l’Education nationale, quelle que soit la popularité du ministre qui en a la charge, et de ses projets.

Les derniers sondages

Différents sondages ont évidemment été publiés ces jours-ci à propos du bilan de cette première année de la présidence Macron. Leurs résultats bruts peuvent sembler accablants: en gros, près de 60 pour cent des Français s’en disent déçus, voire carrément mécontents; ils attribuent globalement un modeste 8/20 à l’exercice présidentiel; et ils ne seraient guère que 40 pour cent à souhaiter qu’il se représente dans quatre ans. Pourtant, ces chiffres sont tous supérieurs, parfois assez largement, à ceux qu’avaient enregistrés après un an de règne la plupart de ses prédécesseurs élyséens.

Emmanuel Macron est pourtant reconnu par les sondés comme „dynamique“ (78 pour cent), „sachant où il va“ (66), „incarnant le renouveau“ (59) et „compétent“. Mais il n’est vu comme ni „humble“ (76 pour cent) ni „proche des gens“ (68). Et ce sont clairement, confirment les mêmes sondages, les Français les plus aisés, les plus instruits, les plus urbanisés et globalement les retraités, qui lui font le plus confiance, même si son souci de réaffirmer la présence de la France sur la scène européenne et internationale passe manifestement plutôt bien aux yeux de l’opinion.

Du pour et du contre, donc – mais n’est-ce pas le lot de tout responsable politique face à son opinion publique? Il n’y a clairement pas eu, en un an, de „miracle Macron“ qui aurait pulvérisé tous les repères, rendu caduques tous les codes, brouillé toutes les pistes. Et le clivage souvent évoqué par ses supporters entre „l’ancien monde“, celui d’avant son élection, et le nouveau, est souvent bien moins apparent que lui-même ne le voudrait. De prochains scrutins, les élections européennes puis municipales, permettront peut-être d’y voir plus clair à cet égard.

Mais deux choses, au moins, restent sûres. La première est qu’avec ses travers personnels agaçants et ses qualités non moins évidentes, le jeune président français a tout de même réussi à secouer un peu, et parfois beaucoup, la routine de la vie publique française. La seconde est que son avenir personnel, et celui de cette modernisation politique et sociale qu’il veut incarner, s’écrivent toujours, un an après, avec un point d’interrogation.