FranceLa décapitation d’un enseignant en pleine rue suscite l’horreur

France / La décapitation d’un enseignant en pleine rue suscite l’horreur
Dans de nombreuses villes en France, comme ici à Bordeaux, des gens ont manifesté hier en hommage à Samuel Paty et pour la liberté de la presse Photo: AFP/Mehdi Fedouach

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48 heures après, l’opinion française restait tétanisée, hier soir, par le crime affreux commis vendredi, à la sortie d’un collègue de Conflans-Sainte-Honorine, paisible bourgade du département des Yvelines située à quelque 35 kilomètres au nord-ouest de Paris, contre un professeur d’histoire, décapité au couteau par un islamiste tchétchène.

Cet enseignant de 43 ans, Samuel Paty, très populaire parmi les élèves et la plupart de leurs parents, avait, conformément aux programmes arrêtés par le ministère de l’Education nationale, donné voici deux semaines une leçon sur la liberté de la presse, en s’appuyant notamment sur l’affaire Charlie Hebdo dont il avait montré en classe quelques-unes des caricatures de Mahomet à l’origine du massacre islamiste de janvier 2015.

L’assassin, un tchétchène de 18 ans réfugié en France, plus précisément à Evreux, en Normandie, avait effectué la veille une reconnaissance pour être sûr d’identifier sa victime. Et il avait préparé une revendication adressée au président français en ces termes: „De Abdullah, le serviteur d’Allah, à Macron le dirigeant des infidèles: j’ai exécuté un de tes chiens de l’enfer qui a osé rabaisser Muhammad, calme ses semblables avant qu’on ne vous inflige un dur châtiment.“

A la sortie des cours, il a suivi l’enseignant, l’a égorgé et décapité dans la rue, puis a pris une photo aussitôt envoyée sur son site Internet avec le message prévu, avant d’être abattu par les policiers qu’il menaçait en brandissant toujours son couteau ensanglanté. Sitôt connue la nouvelle, l’émotion s’est emparée de la ville, mais aussi de toute la France.

Emmanuel Macron s’est aussitôt rendu sur les lieux en compagnie du ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer, et de la ministre déléguée à l’Intérieur, Marlène Schiappa, et il a prononcé, visiblement ému, quelques phrases fortes: „Ils ne passeront pas. L’obscurantisme et la violence ne gagneront pas. Ils ne nous diviseront pas (…) La nation tout entière sera aux côtés des professeurs, aujourd’hui et demain, pour les protéger et les défendre.“ Et plusieurs manifestations ont eu lieu hier, notamment à Paris place de la République, en attendant un hommage national et un jour de deuil.

L’école, „colonne vertébrale de la République“

C’est que cette nouvelle affaire, plus abominable encore que les crimes précédents des islamistes dans l’Hexagone, comporte beaucoup d’éléments susceptibles de bouleverser les Français – outre qu’elle s’inscrit dans une déjà longue série, qui semble se précipiter dramatiquement.

Il y a d’abord le mode opératoire et la proximité: ces terribles égorgements, ces décapitations au couteau dont on entendait régulièrement parler en Syrie, pour effroyables qu’ils fussent, restaient lointains, liés à une partie du monde où les pires violences sont hélas quotidiennes. Vendredi soir, c’est un gentil et estimé professeur d’histoire qui a eu à subir ce supplice à la sortie du collège, pour le punir d’avoir évoqué devant ses élèves la liberté d’expression et le droit à la caricature.

Il y a, ensuite, la très importante symbolique de l’école: „C’est la colonne vertébrale de la République“, a déclaré M. Blanquer, en mettant également l’accent sur la laïcité qui doit y régner, comme d’ailleurs sur l’ensemble de la vie publique française depuis la fameuse loi de 1905 portant séparation de l’Eglise et de l’Etat. Or il semble, à ce stade de l’enquête – dans laquelle onze personnes sont actuellement gardées à vue, dont la proche famille du terroriste – que ce soit un parent d’élève musulman, qui s’était indigné sur Internet avant de porter plainte contre l’enseignant, qui ait cherché à déclencher autour de ce dernier une campagne de haine.

Les „loups solitaires“

De là à l’accuser d’être co-responsable de l’assassinat, il y a évidemment une marge; mais lui aussi est entendu par la police, et sa démarche reflète bien les difficultés croissantes de nombreux professeurs. Et comment ce Tchétchène d’Evreux, à 90 kilomètres de là, a-t-il bien pu entendre parler de cet enseignant de Conflans, s’il n’a pas été alerté par un coreligionnaire ou par un réseau?

D’autres observations sont également préoccupantes. Déjà connu de la police d’Evreux pour divers délits, le futur assassin n’en avait pas moins reçu, en mars dernier, une carte de séjour au titre de réfugié, ce qui va sans doute faire réagir. En outre, il n’était pas repéré comme islamiste radical par les services nationaux de l’antiterrorisme (il n’était pas, par exemple, „fiché S“), mais avait tout de même attiré l’attention de leur antenne départementale, dont un agent avait vainement transmis une note à son sujet.

Mais surtout, la question lancinante est tragiquement simple: que faire contre ces terroristes isolés, ces „loups solitaires“ comme les appellent les spécialistes? Va-t-il falloir installer un vrai dispositif policier autour des écoles? Protéger chaque professeur et demain chaque élève? Ou bien, ce qui serait une victoire pour les islamistes, inciter les enseignants à l’autocensure, que certains avouent déjà pratiquer? L’heure est encore au recueillement horrifié et à l’unité; mais ces questions pourraient bien ne pas tarder à susciter de nouvelles polémiques.