FranceLa crise policière tourne à la crise politique

France / La crise policière tourne à la crise politique
Des affrontements parfois violents ont émaillé certaines manifestations notamment à Paris Photo: AFP/Thomas Coex

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Des „bavures“ policières qui tendent à se multiplier, une loi malmenée à peine votée, de grandes manifestations à Paris et en province qui, en particulier dans la capitale, dégénèrent, une majorité macroniste en plein désarroi et un ministre de l’Intérieur de plus en plus contesté: les huit derniers jours ont constitué une véritable semaine noire pour le pouvoir.

Cela aurait pu rester une crise policière, déjà embarrassante pour tout pouvoir, c’est devenu en quelques jours, de faux-pas en maladresses de l’exécutif, un début de crise politique.

Une crise policière, oui, d’abord. L’évacuation musclée d’un camp d’immigrés clandestins installé en hâte par différentes associations sur la place de la République, au cœur de Paris, pouvait encore sembler répondre à une provocation, même si on l’eût souhaitée moins brutale. Nettement plus grave est apparu l’incident suivant, filmé par une caméra de surveillance, avec le tabassage d’un producteur de musique qui, refusant dans la rue d’obtempérer et de mettre son masque anti-contagion, méritait tout au plus une amende, mais s’est retrouvé longuement roué de coups par plusieurs policiers à l’intérieur de son studio d’enregistrement.

Si l’on ajoute que l’homme est noir – et assure d’ailleurs avoir fait l’objet d’injures racistes – et que la vidéo de sa douloureuse mésaventure, comme la photo de son visage ensanglanté, a fait l’objet d’une très large diffusion sur les réseaux sociaux et à la télévision, on comprend combien, en très peu de temps, l’image de la police s’est dégradée. La justice et la „police des polices“, l’IGPN, ont d’ailleurs été saisies, et trois policiers placés en détention provisoire.

Le fameux „article 24“

Cette situation est tombée au pire moment pour le gouvernement. La grande actualité politique de la semaine était en effet le vote de la loi dite „de sécurité globale“ par l’Assemblée nationale, avec, parmi différentes dispositions destinées en particulier à protéger les policiers contre les agressions, un article très controversé: celui qui tend à interdire la diffusion des visages non-floutés et des données personnelles des forces de l’ordre dès lors qu’il s’agit d’inciter à des actions violentes contre leurs membres. Des actions qui, cette année, sont allées plusieurs fois jusqu’au meurtre.

Plus de 130.000 personnes, selon le ministère de l’Intérieur, 500.000 selon les organisateurs, ont défilé samedi dans une centaine de villes de France contre le texte de loi „sécurité globale“ et les violences policières, des affrontements parfois violents émaillant certaines manifestations notamment à Paris.
Plus de 130.000 personnes, selon le ministère de l’Intérieur, 500.000 selon les organisateurs, ont défilé samedi dans une centaine de villes de France contre le texte de loi „sécurité globale“ et les violences policières, des affrontements parfois violents émaillant certaines manifestations notamment à Paris. Photo: AFP/Thomas Coex

La première rédaction de cet article, le n° 24, pouvait laisser craindre une menace sur la liberté de la presse, même si c’étaient surtout certains sites internet qui étaient visés. Une nouvelle version, plus modérée, n’a pas dissipé le malaise. Et nombreux sont les députés de la majorité qui ont voté ce texte avec de fortes réticences. Mais les deux dernières affaires policières, la seconde surtout, ont donné un tout autre sens, en une plus grande vigueur, aux protestations suscitées par cette disposition.

Le dilemme de Macron

Le constatant, le premier ministre, Jean Castex, a annoncé qu’il allait constituer „une commission“ pour le récrire encore dans son coin, en dépit du vote des députés. Cette fois-ci, devant une telle ignorance du rôle du Parlement – le président macronien de l’Assemblée et celui, républicain, du Sénat, protestant solennellement par écrit – Matignon a dû précipitamment faire machine arrière. Mais le mal était fait, la majorité joignant ses clameurs d’indignation à celles de l’opposition.

Dans la foulée, les manifestations organisées contre ce fameux „article 24“, dont on dit qu’il avait été très largement inspiré par les syndicats de la police, et auquel tenait tant M. Darmanin, ont, sans surprise, réuni samedi des foules importantes: au moins 130.000 personnes à Paris. Elles se sont d’ailleurs terminées, comme toujours désormais, surtout dans la capitale, par des violences perpétrées non par les vrais manifestants, bien sûr, mais par les casseurs. Lesquels ont, autour de la place de la Bastille, incendié des voitures, des magasins et un chantier. Et tenté de lyncher un CRS tombé à terre, que ses collègues ont eu grand mal à sauver. Au total, une trentaine de policiers et gendarmes ont été blessés à Paris.

Une „dérive autoritaire du quinquennat“

Tout le monde se demande maintenant ce que le gouvernement va faire pour se sortir du guêpier où il s’est lui-même fourré. Maintenir la loi tel qu’elle a été votée en première lecture par les députés serait aller au devant d’un échec certain, mais non décisif, au Sénat; puis, en deuxième lecture au Palais-Bourbon, d’une possible division du groupe macroniste, dont les éléments venus de la gauche sont de plus en plus réticents à l’égard de la ligne gouvernementale, c’est-à-dire présidentielle. Une telle attitude risquerait en outre de susciter de nouvelles manifestations contre ce que certains, au nombre croissant, dénoncent comme une „dérive autoritaire du quinquennat“.

Ameer al Halbi, photographe indépendant d’origine syrienne, collaborateur de Polka et de l’AFP, a été également blessé au visage pendant une charge de police tout comme plusieurs manifestants, a constaté une journaliste de l’AFP
Ameer al Halbi, photographe indépendant d’origine syrienne, collaborateur de Polka et de l’AFP, a été également blessé au visage pendant une charge de police tout comme plusieurs manifestants, a constaté une journaliste de l’AFP Photo: AFP/Gabrielle Cézard

Mais retirer purement et simplement le texte serait un terrible aveu d’échec. Lequel indisposerait sans doute la vaste frange droitière de l’électorat de Macron, ce qui pourrait avoir des conséquences en 2022. Tout comme le renvoi de Gérald Darmanin, considéré comme la (maladroite) caution de droite du pouvoir. Tout cela pour introduire, avec cet article 24, un nouvel interdit doublonnant avec l’arsenal législatif en vigueur …

Emmanuel Macron n’a ainsi le choix qu’entre deux inconvénients stratégiques majeurs: affaiblir sa gauche ou sa droite. Tout cela appuyé, si l’on peut dire, sur un premier ministre qui n’a décidément pas la tête politique. A un an et demi de l’élection présidentielle, et alors que l’évolution de la crise sanitaire lui valait enfin une embellie dans les sondages, c’est là un dilemme dont il se serait sans doute bien passé.

„Des images de Syrie qui ont envahi ma tête“

Reporters sans frontières (RSF) a dénoncé samedi des violences policières „inacceptables“ contre un photographe syrien, blessé lors de la manifestation contre le texte de loi „sécurité globale“ et les violences policières à Paris. Collaborateur de Polka Magazine et de l’AFP, Ameer al Halbi, 24 ans, qui couvrait la manifestation place de la Bastille à titre indépendant, „a été blessé au visage par un coup de matraque“, a affirmé sur Twitter Christophe Deloire, secrétaire général de RSF.
Selon Dimitri Beck, directeur de la photographie de Polka qui suit Ameer depuis son arrivée en France il y a près de trois ans, le photographe a eu le nez cassé et a été blessé à l’arcade sourcilière. Il a été transporté à l’hôpital Lariboisière. Ameer al Halbi, qui a remporté plusieurs prix internationaux, notamment le 2e prix de la catégorie „Spot News“ pour le World Press Photo en 2017, a couvert pour l’AFP les combats et les ravages dans sa ville d’Alep, en plein conflit syrien.
„Ça va mieux“, a confié dimanche Ameer al Halbi, joint par l’AFP. „Mais le choc a été très dur, en particulier au moment où je me suis retrouvé blessé, saignant fortement au visage, et bloqué pendant deux heures dans la manifestation, coincé entre les manifestants et les policiers qui ne voulaient pas nous laisser sortir pour rejoindre l’hôpital. Là, ce sont des images de Syrie qui ont envahi ma tête.“