BilletInventer le théâtre d’aujourd’hui

Billet / Inventer le théâtre d’aujourd’hui
Alors que les lieux culturels ferment à nouveau dans nos pays voisins, ne faudrait-il pas retrouver d’autres formes théâtrales?  Photo: dpa/Kay Nietfeld

Jetzt weiterlesen! !

Für 0,59 € können Sie diesen Artikel erwerben.

Sie sind bereits Kunde?

On le voit bien, en ces temps de covid-19 et de mise à l’arrêt ou au ralenti de beaucoup de formes artistiques, le théâtre n’y échappant pas, depuis la cassure entre deux mondes, devraient s’inventer d’autres relations et d’autres moyens scéniques. La danse de rue par exemple, comme moyen de résistance ou de sublimation de nos vies, nous permet encore une bouffée d’oxygène.

En ce moment nous faisons comme si rien n’avait changé. Les horaires de représentation changent en fonction du couvre-feu, les lieux culturels apparaissent sinistrés en regard des visiteurs et spectateurs qu’ils accueillaient jadis. Et l’on fait comme si tout allait reprendre comme auparavant, sans trop y croire mais en l’espérant, tout en croulant sous les mauvaises nouvelles de la pandémie, en apprenant que le virus pourrait impacter nos vies dans cet on/off jusqu’à l’été prochain.

Le gouvernement injecte des millions d’euros dans la culture, comme dans une industrie qui attendrait de nouveaux jours florissants. Mais tout cet argent ne se tarira-t-il pas prochainement? Pourrons-nous vivre sans vivre, l’urgence sanitaire semble pour le moment avoir ce prix. Coûte que coûte nous essayons de glaner çà et là un peu d’art. Les productions filmiques sont pour la plupart à l’arrêt et les expositions, fortes de millions de visiteurs – d’ailleurs peut-être était-ce trop, cet afflux permanent, qui reléguait la culture au rang de loisir – voient désormais leur jauge réduite.

Or sans l’art, sans la sublimation et la liberté qu’il apporte, l’existence devient difficile, voire impossible. Non pas qu’il faille s’évader à tout prix – quoiqu’en ce moment nous aspirons tous à un horizon plus élargi – mais considérer la vie sous l’angle de l’art, dans ce qu’il a de transgressif, d’anticipateur, a toujours permis d’ouvrir son horizon, d’imaginer d’autres points de vue.

Mais peut-être les institutions culturelles sont-elles à ce point figées qu’il est presque impossible de sortir de l’enceinte des lieux de représentations pour inventer d’autres formes. Et comme les couloirs aériens que les compagnies devaient garder en début de pandémie en faisant voler des avions à vide, notre monde, dans sa volonté de figer nos repères pour des profits anciens, des questions d’assurances, a mis en place des lieux pérennes qui finalement, en cas de crise, s’accordent mal avec de nouvelles perspectives.

Créer d’autres lieux?

Il ne s’agirait pas des mêmes lieux à investir, mais d’autres à créer. En dehors de l’académisme et des modes convenus de représentation. Il y avait autrefois, à l’époque des tréteaux, des troupes de Molière, des improvisations qui s’accordaient avec la vie des saltimbanques. Et Jerzy Grotowski, avec son Théâtre-Laboratoire, a permis de changer les modes, en installant par exemple une arène cernée de murs, obligeant le spectateur à se hisser sur la pointe des pieds pour regarder.

Si nous pensions plus que jamais à la dramaturgie du corps, quelle serait la place du sujet en ces temps particuliers? Pour cela inventer des dispositifs. Quelle révolution, quel bouleversement les permettraient? Habitués à l’hybridation des territoires, une hybridation qui a trouvé sa source dans l’art contemporain, à la vidéo sur scène, au son, aux corps, le rapport acteur/spectateur est resté somme toute assez conventionnel.

Meyerhold favorisait l’émergence du théâtre dans d’autres lieux socialisés que les théâtres. Et si la ville, la rue, devenaient décor? Une ville „actrice“ pour un théâtre en totale symbiose. Une ville revenue au temps du théâtre et de la dérive. Au lieu de la société du spectacle. Nous applaudissons le personnel soignant, nous rendons hommage, nous nous vouons à nos émotions, des émotions qui deviennent des vecteurs de vérité.

Nous sommes devenus les acteurs fantômes de la commémoration, du plus jamais ça, un „plus jamais ça“ presque aussitôt oublié. Que l’on pense plus longtemps au destin effroyable des victimes du terrorisme, des symboles de la République, touchés au plus profond. Et puisque certains prônent un nouveau monde, la rue ne pourrait-elle pas être le lieu de réappropriation de l’art, de sa „reconstruction“? Le dispositif scénique peut-il sortir de l’institution théâtrale pour se réinventer, retrouver un mode politique?

Pippo Delbono a su détruire le quatrième mur, l’invisible, qui sépare les spectateurs de la scène. Comment? Le plus simplement du monde, en montant et en descendant du plateau, en dansant, comme dans un élan, un réflexe vital, et en invitant les spectateurs à faire de même.

Alors le théâtre échapperait au divertissement commercial et bourgeois, l’acteur serait soumis à l’apprentissage de lui-même, le théâtre interpellerait le citoyen, qui ferait également l’apprentissage de lui-même. Finalement, à coups de subventions, si louables soient-elles, nous ne faisons que perpétuer un certain mode de représentation. Quand une société, des pays, se trouvent en crise, ces modes-là ne seraient-ils pas caduques? Ne seraient-ils mis en place que pour une logique consumériste?

J.Scholer
4. November 2020 - 7.10

Bravo, finissons avec la logique consumériste, les subventions . Vive la liberté culturelle ! Mettons l’artiste esclave du fric au placard !