FilmCatherine Frot, „Sous les étoiles de Paris“

Film / Catherine Frot, „Sous les étoiles de Paris“
„Sous les étoiles de Paris“ raconte la rencontre entre Suli, un enfant migrant séparé de sa mère, et Christine, une sans domicile fixe acariâtre Copyright Arches Films Maneki

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En 2014, Claus Drexel avait signé „Au bord du monde“, un documentaire sur les sans-abri, esthétique et magnifique sans misérabilisme exagéré ni commisération un peu déplacée. C’est exactement ce que le réalisateur irrigue dans son film. Un conte moderne, un peu plus abrasif qu’il n’y paraît, un peu moins mielleux que cela ne pourrait être. „Sous les étoiles de Paris“ raconte la rencontre entre Suli, un enfant migrant séparé de sa mère, et Christine, une sans domicile fixe acariâtre. Le duo improbable part à la recherche de la mère disparue. On découvre, parfois avec gêne, les conditions de vie des sans-abris à Paris dans une mise en scène soignée et esthétique. Catherine Frot prend le risque d’incarner une clocharde qui hante les trottoirs de Paris le jour et dort sous les ponts la nuit. Rencontre à Bruxelles.

Tageblatt: Comment s’est faite votre rencontre avec Claus Drexel?

Catherine Frot: Je l’ai appelé après avoir vu son documentaire alors qu’on ne se connaissait pas. Je l’ai félicité. Les témoignages de ces SDF m’avaient vraiment bouleversée, certains particulièrement. On s’est proposé d’en faire une fiction ou un monologue au théâtre. Finalement, on en est venu à l’idée d’un scénario qu’il a écrit avec un ami, auquel je n’ai pas participé. Par contre, on a été en contact tout le temps pour avoir un imaginaire commun.

Quelle vision aviez-vous du personnage de Christine?

Christine qui fumait avec sa ceinture de survie dans le Jardin des Plantes m’a marquée particulièrement. Tout ce qu’elle disait, je l’ai retranscrit. Mais on a décidé de s’éloigner d’elle, par respect. Petit à petit, il fallait lui trouver une silhouette. Je suis partie dans un imaginaire d’un autre temps, celui des gravures anciennes qu’on trouve dans les contes de Grimm, dans „Les mystères de Paris“ d’Eugène ou dans de beaux livres qui s’ouvrent sur des sorcières.

J’ai très vite imaginé Christine, une femme solitaire, courbée sous un gros manteau – j’avais une bosse dans le dos –qui n’a plus de voix, rien qu’une sorte de grognement. On ne sait presque rien de son passé. Elle a été chercheuse scientifique, elle a perdu un enfant … L’apparition du gamin révèle une humanité qu’elle avait perdue. On a fait un film qui ressemble à un conte poétique. C’était la traversée de Paris.

Vous avez beaucoup travaillé sur la voix?

Passer du grave à l’aigu ou du grognement à l’expression compréhensible, c’est tout simple. Il suffit de le décider. Christine habite dans un trou, elle ne parle plus. Le premier mot qu’elle dit c’est un grognement. Petit à petit, les mots reviennent. Et puis, dans la relation avec cet enfant migrant, finalement elle renaît. Lui ne parle pas français. Ensemble, ils apprennent à parler.

Etait-ce difficile d’entrer dans le personnage?

On a cherché à ce que cela reste crédible tout en étant un conte. Rester sur cette ligne-là était une priorité. On a pensé à „La petite fille aux allumettes“ d’Andersen, au „Kid“ de Charlie Chaplin, aussi à des poèmes de Victor Hugo, tout ça dans une ville contrastée, ces deux miséreux qui traversent un Paris merveilleux. La misère a toujours existé. Aujourd’hui, on est choqué de la voir encore parce qu’on se dit que, normalement, c’est quelque chose qui devrait passer et qui existe encore. C’est ça qui est trop dur.

C’est inacceptable, cette société soi-disant progressiste, moderne où on fait de la surconsommation, où on jette n’importe quoi, avec ces gens qui dorment dans la rue. Cela ne tient plus. Ce n’est pas concevable qu’on en soit là, que des gens aient des richesses immenses et que d’autres n’ont rien et dorment dehors. J’ai eu besoin de raconter cela dans l’ancien comme un conte. Notre seul message c’est être avec eux, ceux qui n’ont rien. C’est un rôle qui ne m’a pas marquée spécialement. C’est un film que les enfants peuvent voir, il peut être montré dans les écoles. Il raconte la réalité d’une façon poétique.

Vous avez tourné avec des sans-abris?

Oui, avec plusieurs. Cela s’est passé simplement. On n’a pas eu de mauvaises réactions. On est allé tourner toutes les scènes du petit déjeuner qui se fait à l’église, le samedi matin à 7 heures. D’autres ont fait les figurants pour la journée de tournage. C’était chouette parce qu’ils ont raconté plein de choses. Certains ont déjà vu le film. Ils étaient émus, ils ont trouvé que c’était juste.

Montrer la misère dans un film de fiction a-t-il plus de force?

Je ne sais pas si cela fait avancer les choses. C’est quand même mieux d’en parler que de ne pas en parler, d’essayer de comprendre cette réalité. Il y a une dignité de tous les personnages dans le film, mis à part le gardien municipal. Il est humain puisqu’il aide Christine. Mais dès qu’il voit un petit enfant noir, il a une attitude de rejet. Ce personnage est profondément raciste. Et donc il les jette tous les deux dehors parce ce qu’il n’a pas supporté de voir le petit. Ce sont les réfugiés qui vont accueillir le gamin. C’est fictionnel mais c’est le fruit d’observations que Claus a faites dans les camps de réfugiés à Calais.

Vous aviez conscience qu’une telle misère existe?

Du haut de mon balcon dans le 6e arrondissement de Paris, en tant que bourgeoise de quartiers chics, je vois une famille de Roumains abritée en bas par des bonnes sœurs. Ils dorment dehors tout le temps, ils font la manche la journée. Je me suis dit que c’est possible. Il faut que moi aussi je raconte ça. C’est là que j’ai pris contact avec Claus. A ma façon, je fais suivre.

Que peuvent faire les autorités pour améliorer le sort des sans-abris?

Je n’en sais rien. La société est arrivée au bout de quelque chose, elle ne tient plus. Ce n’est pas normal qu’il y ait des gens dehors. Le problème est loin d’être résolu. On est dans une société qui ne sait plus ce qu’est le partage. Moi, je donne beaucoup dans la rue. On peut aider des associations en tant que bénévole, on peut apporter des repas … cela ne suffit pas.

Comment, en tant qu’artiste, vivez-vous cette période de crise sanitaire?

J’étais au théâtre au mois de mars après quatre mois d’écriture et de travail („La carpe et le lapin“ avec Vincent Dedienne, ndlr). Cela s’est arrêté au bout de trois semaines. Pour le moment, je sors les films („Des hommes“ de Lucas Belvaux, bientôt à l’affiche, ndlr). Je me repose et me prépare pour la suite. J’ai l’impression qu’on patauge, que personne ne sait ce qu’il faut faire. On n’a pas toujours les bons renseignements, on entend des choses contradictoires. Les médecins n’ont jamais le même avis. Je ne regarde plus la télévision. Ce n’est pas facile d’être un homme politique aujourd’hui ni même un médecin, apparemment. On subit et on va espérer que cela ne dure pas trop longtemps.