L’histoire du temps présent2 août 1980, 10.25 h

L’histoire du temps présent / 2 août 1980, 10.25 h
Photos d’une partie des victimes de l’attentat du 2 août 1980 Photo: www.strage.it

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Nos vacances de cet été en Italie furent différentes des années précédentes. Pas seulement à cause du Covid-19. Aussi parce que les derniers jours de ces vacances ne furent pas consacrés au repos mais au recueillement.

Le 2 août 2020 on célébrait le 40e anniversaire de l’attentat le plus meurtrier de l’histoire de l’après-guerre de la République italienne. Le 2 août 1980, à 10.25 h, une bombe explosa dans la salle d’attente de la gare centrale de Bologne. 85 personnes sont tuées, plus de 200 sont blessées. Les victimes sont principalement de nationalité italienne, mais parmi elles se trouvent également des touristes allemands, français, suisses, anglais, espagnols et japonais.

Horst Mäder, un cheminot allemand de 36 ans de Haselhorn, près de Minden en Westphalie, attendait avec sa famille une correspondance ferroviaire qui devait les ramener chez eux après des vacances sur la Riviera adriatique. Sa famille, c’étaient sa femme Margret, 39 ans, et leurs enfants Holger, 16 ans, Eckhardt, 14 ans, et Kai, 8 ans. Ce furent les premières vacances à l’étranger que cette famille se concédait. Le train pour l’Allemagne ne partant que deux heures plus tard, ils s’étaient installés dans la salle d’attente. Margret, Eckhardt et Kai étaient assis ensemble sur un banc, Holger à quelques mètres d’eux. Puis, Horst décida qu’ils allaient faire un tour au centre-ville. Mais d’abord il s’en alla seul consigner les valises. Il venait juste de sortir de la salle d’attente quand la bombe explosa. Légèrement blessé, il retourna dans la salle d’attente, complètement ravagée. Il cria les noms des siens et commença à creuser. Holger était toujours en vie, grièvement blessé, son père l’a déterré de ses propres mains. Puis il a déterré les autres, tous les trois morts, et a perdu connaissance.

Cet attentat m’avait profondément choqué à l’époque, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, ce type d’attentat, en italien „strage“, „massacre“, représente comme l’exprime le philosophe Norberto Bobbio, „de tous les actes criminels celui qui se rapproche le plus du mal radical: c’est le crime le plus atroce, un meurtre délibérément commis contre des dizaines d’innocents“. Ensuite, en 1980, à presque 16 ans, j’avais voyagé pour la première fois seul en train jusqu’à Rome quelques semaines auparavant pour me rendre chez ma grand-mère. Dans mon compartiment, on était surtout des jeunes, je me souviens d’une femme israélienne et d’un couple belge avec qui j’ai discuté longuement. Enfin, le 1er août, la veille de l’attentat, j’étais rentré de l’île d’Elbe, où on avait passé une semaine au camping, à Rome sur l’arrière de la Vespa 125 de mon cousin Alessandro. C’était mon premier voyage à moto, et le fait que les autres motards nous saluaient bien qu’inconnus m’avait impressionné. Aux amis inconnus de Bologne, voilà le titre du poème que j’ai publié en l’honneur des victimes en octobre 1980 dans notre magazine de jeunes eschois De Kregéilert.

Stratégie de la tension et guerre froide

L’attentat de Bologne fut la strage la plus meurtrière commise par des terroristes d’extrême droite dans le cadre de la soi-disant stratégie de la tension, qui cherchait à déstabiliser et détruire le système politique en Italie, au cours de ces „années de plomb“. La série avait commencé en 1969 avec des bombes dans des trains et au pavillon FIAT de la Foire de Milan. Les plus meurtriers à côté de Bologne furent les attentats à la Banca nazionale dell’Agricoltura à Milan (Piazza Fontana) en 1969, 17 morts, plus de 80 blessés, contre le train Italicus en 1974, douze morts, plus de 150 blessés et contre une manifestation syndicale à Brescia en 1974 également, huit morts et plus de 100 blessés. En 1974, les enlèvements et assassinats des terroristes d’extrême gauche des Brigate Rosse débutèrent aussi et étaient dirigés contre des industriels, des magistrats et des hommes politiques, faisant plus de 80 victimes de 1974 à 1988.

Sur le plan international, la guerre froide était entrée en 1979-1980 dans une nouvelle phase avec l’invasion de l’Afghanistan par l’Armée rouge et la décision de l’OTAN de déployer des fusées nucléaires à moyenne portée en Europe occidentale. En 1980, l’OTAN et la Libye de Kadhafi menaient une guerre non déclarée dans l’espace aérien au-dessus de la Méditerranée. Cette guerre, les 81 passagers innocents du vol Itavia 870, qui décolle le 27 juin 1980 de Bologne pour Palerme, l’ont payée de leur vie. A 20.59 h, l’avion devient la cible d’un missile air-air tiré par erreur au cours d’un combat aérien entre des avions de l’OTAN et des MiG libyens. L’avion se déchire en trois morceaux et tombe dans la mer près de l’île d’Ustica au large de la Sicile. Un mois avant l’attentat de la gare de Bologne, la ville fut donc déjà endeuillée par la strage d’Ustica. Les familles des victimes ont dû se battre pendant 33 ans avant que deux jugements en responsabilité civile de la Cour de cassation italienne n’attribuent en 2013 l’explosion à un missile air-air d’un avion de chasse de l’OTAN, à la nationalité non identifiée – mais les soupçons se portent contre la France. L’Etat italien fut condamné à payer 100 millions d’euros d’indemnités aux familles des victimes pour ne pas avoir défendu correctement son espace aérien.

40 ans après l’attentat de Bologne, mon épouse et moi avons répondu cette année à l’appel de l’„Associazione tra i Familiari delle Vittime della Strage della Stazione di Bologna del 2 Agosto 1980“ et nous avons participé le dimanche 2 août à la cérémonie commémorative, placée sous la devise „Bologna non dimentica“, pendant laquelle la gare a été rebaptisée „Bologna Centrale – 2 agosto 1980“.

Grâce à l’association des victimes, à la ville de Bologne et à quelques magistrats courageux, les procès sur cet attentat eurent une issue différente de ceux des attentats antérieurs, où les accusés furent systématiquement acquittés. En 1988, quatre terroristes, tous des militants d’organisations néofascistes, ont été condamnés à la prison à vie. A part eux, des hauts fonctionnaires ou officiers des services secrets ont été condamnés pour avoir mis les enquêteurs sur de fausses pistes („depistaggio“, en Italie un délit, non au Luxembourg). Parmi eux se trouvait un colonel des services secrets militaires italiens, deux autres agents des services secrets et, le plus connu d’entre eux, Licio Gelli, grand maître de la loge maçonnique fasciste P2 („Propaganda due“). Gelli a détourné l’argent du Banco Ambrosiano, dont la Banque du Vatican était l’actionnaire principal, et qui a fait faillite en 1982, en entraînant d’ailleurs le secteur bancaire luxembourgeois dans un scandale international. Avec cet argent, Gelli a financé des attentats terroristes et des assassinats politiques. Gelli fut également l’un des cofondateurs de la structure paramilitaire anticommuniste Gladio en Italie.

Au procès en appel de 1989, les quatre terroristes condamnés furent acquittés, tandis que la peine des depistatori comme Licio Gelli fut réduite de dix à trois ans. Six ans plus tard, en 1995, la Cour de cassation a néanmoins confirmé la condamnation de deux des terroristes à la perpétuité: Valerio Fioravanti et Francesca Mambro. L’Association des victimes a continué son combat et les procès des années 2000 ont entraîné la condamnation d’autres complices terroristes mais, surtout, ont permis de démasquer une partie des mandants. L’année 2020 a été riche en rebondissements, avec la condamnation à la réclusion à perpétuité (en première instance) d’un autre exécutant matériel du massacre, Gilberto Cavallini, ainsi qu’un nouveau procès entamé contre le néofasciste Paolo Bellini, qui avait été acquitté en 1992 mais fut identifié récemment par les enquêteurs sur un film super 8 d’un touriste allemand. Ce film montre Paolo Bellini le 2 août 1980 à la gare de Bologne peu de temps après l’explosion. Un autre nouveau procès s’ouvre bientôt. La „Procura Generale della Repubblica“ de Bologne accuse d’avoir commandé, financé ou couvert l’attentat, à côté des piduisti déjà décédés comme Licio Gelli, mort en 2015 à l’âge de 96 ans, l’ex-général des services secrets Quintino Spella, l’ex-chef du bureau d’investigations de Gênes Piergiorgio Segate et l’ex-administrateur des sociétés immobilières servant de couverture aux services secrets Domenico Catracchia.

Surtout, l’énorme travail de digitalisation de tous les actes du procès réalisé par l’Association des victimes a permis de retrouver, également cette année, un document manuscrit séquestré par les enquêteurs chez Gelli dès les années 1980 qui prouve qu’un million de dollars ont été versés par Gelli et ses hommes du P2, en liquide, aux terroristes en juillet 1980 comme acompte pour l’attentat et quatre millions supplémentaires dans les mois suivants, versés aux terroristes comme à des membres de la loge fasciste chargés de mettre les enquêteurs sur de fausses pistes (les Palestiniens ou les Libyens ou encore les Brigades rouges associées à la Rote Armee Fraktion, etc.).

Licio Gelli, Gladio et les Bommeleeër

Licio Gelli a vécu quelques années après l’attentat de Bologne à Luxembourg-ville, de 1984 à 1986, en toute impunité. Tiens, quel hasard: Ce furent les mêmes années où des Bommeleeër étaient très actifs au Luxembourg et où se tint, en septembre 1986, au Luxembourg un congrès de la World Anti-Communist League (WACL) – un autre congrès y avait déjà été organisé en septembre 1983 –, avec la présence de Licio Gelli et de Stefano delle Chiaie, chef de l’organisation néofasciste „Avanguardia nazionale“ et ami intime de Klaus Barbie, impliqué dans une série d’attentats des années 1960 aux années 1980 en Italie et dans des opérations paramilitaires à travers le monde entier. Le député du LSAP Marc Zanussi, décédé en 2004, avait posé en 1999 des questions au gouvernement luxembourgeois sur les liens entre Licio Gelli, Gladio et les attentats terroristes de 1984 à 1986 au Luxembourg. Sans recevoir de réponses convaincantes. Les enquêteurs semblent n’avoir jamais pris cette piste au sérieux, du moins jusqu’à présent. Comme si les attentats des Bommeleeër avaient été perpétrés dans une sorte de vase clos politique national et non en pleine guerre froide mondiale …

Le 2 août de cette année, au cours d’une cérémonie commémorative émouvante sur la Piazza Maggiore à Bologne, la présidente du Sénat Maria Elisabetta Alberti Casellati, du parti Forza Italia, a exigé la pleine vérité et justice sur l’attentat, ses exécutants, ses mandants et ses financiers mais aussi la déclassification de tous les documents des services secrets. Elle a notamment dit ceci:

„Bologne n’est pas qu’une affaire judiciaire. Bologne est devenue un sujet historique. Et l’histoire ne s’écrit pas avec des secrets d’Etat, avec des silences et des omissions. L’histoire s’écrit avec l’encre indélébile de la vérité.“