Expulser vers le Kosovo, c’est prendre la plus lourde des responsabilités

Expulser vers le Kosovo, c’est prendre la plus lourde des responsabilités

Jetzt weiterlesen! !

Für 0,59 € können Sie diesen Artikel erwerben.

Sie sind bereits Kunde?

Dans le cadre des expulsions des réfugiés vers le Kosovo, la Ligue des Droits de l'Homme (ALOS-LDH) réagit en condamnant fermement l'attitude du gouvernement luxembourgeois.

Aujourd’hui, 4 novembre 2009, 22 personnes, parmi lesquelles des enfants en âge de scolarisation ont été expulsées vers le Kosovo. Selon les responsables politiques luxembourgeois, cette expulsion collective se justifierait par le fait que le Kosovo figure aujourd’hui, 10 ans après l’intervention de l’OTAN, sur la liste des pays considérés comme « sûrs ».

Dans la perspective des droits humains, un certain nombre de questions et de réflexions se posent par rapport à une telle affirmation.

La visite de Monsieur Thomas Hammarberg, Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, en mars dernier au Kosovo a conduit à la publication d’un rapport rendant compte de la situation des droits humains dans ce pays venant d’acquérir son indépendance. Plusieurs éléments alarmants se dégagent de ce constat et mettent en cause la thèse du « pays sûr ».

Une situation politique et sociale problématique

Le Kosovo reste aujourd’hui un territoire divisé géographiquement et socialement. Le symbole de la division physique demeure le pont au coeur de la ville de Mitrovica: le côté sud est contrôlé par la majorité d’ethnie albanaise qui administre aussi le reste du territoire depuis l’indépendance, tandis que du côté nord du pont l’ethnie serbe est largement majoritaire. Paradoxalement, le pont sert de frontière entre ces deux communautés qui vivent l’une à côté de l’autre, mais certainement pas ensemble.  Cette division physique se traduit et se reflète à tous les niveaux de la société par deux systèmes scolaires, deux systèmes judiciaires, deux systèmes monétaires et finalement deux systèmes politiques, le premier suivant le gouvernement à Pristina tandis que le deuxième se réfère à Belgrade. Cette situation pour le moins ambiguë a des conséquences sur les droits fondamentaux des résidents au Kosovo. Si les droits des minorités et l’égalité entre ethnies sont inscrits et garantis dans la constitution du Kosovo, la réalité sur le terrain reste toutefois loin de ces idéaux. D’après M. Hammarberg, les tensions interethniques sont réelles et se sont accentuées depuis février 2008, raison pour laquelle il en appelle aux gouvernements européens de d’éviter tout retour forcé vers le Kosovo, en particulier si les personnes appartiennent à une ethnie minoritaire.

Une scolarisation précaire des enfants

La scolarisation des enfants n’est pas assurée de manière continue, objective et surtout pour ce qui est des conditions de sécurité. Certains parents doivent accompagner leurs enfants à l’école pour les protéger sur leur chemin d’écolier. Le peu d’exemples d’écoles interethniques se limitent à une gestion des espaces communs entre communautés, mais sans le partage simultané des salles de classe. Peut-on prétendre dans ces conditions que les droits des enfants, en l’occurrence le droit à l’éducation est assuré? Rappelons que parmi les expulsés de ce matin figuraient des enfants arrachés à leur école luxembourgeoise en pleine année scolaire.

Les carences du système judiciaire

La division du système judiciaire a de lourdes conséquences pour toute la population au Kosovo. Hormis le fait que l’existence de deux systèmes parallèles représente une situation inconcevable dans n’importe quelle démocratie, cette dichotomie favorise avant tout le crime organisé. Le pays souffre largement de problèmes liés à la corruption, au trafic d’êtres humains et de marchandises, ce qui fait douter la population par rapport  à  la capacité et l’intégrité du système.

L’inégalité de facto des droits politiques, économiques et sociaux

La division politique a été visible lors des dernières élections locales reflétant la division au niveau international sur le statut du Kosovo. Cette impasse sur le statut a obligé les instances internationales sur le terrain à adopter une position de neutralité et surtout prive le Kosovo  de l’accès aux financements et aux investissements internationaux. Qui voudrait investir dans un pays dont le statut n’est pas clair sur le plan international et reconnu par toutes les nations? Le pays a pourtant largement besoin d’appuis économiques équitablement distribués sur tout son territoire, pour rétablir ses infrastructures et créer une économie locale. Un exemple: l’électricité est fournie de manière discontinue et des coupures ont lieu tous les jours.

L’absence d’électricité se traduit dans la plupart des cas par des hivers sans chauffage dans un climat pouvant atteindre assez régulièrement les moins 20 degrés. Par ailleurs aucune activité économique régulière ne peut se développer sans un approvisionnement énergétique régulier. Peut-on dès lors juger qu’il s’agit là de conditions de vie dignes et « sûres » ? L’exemple peut être reconduit dans de nombreux domaines, notamment dans celui de l’accès aux soins et à la santé.

Le droit à la propriété privée bafoué

Pendant les hostilités, nombreux sont ceux qui ont fui la guerre et ses conséquences dévastatrices. Beaucoup de propriétés ont été occupées illégalement pendant le conflit armé, les terres ont été cultivées par des occupants irréguliers et de nouvelles constructions illégales ont vu le jour sur des propriétés privées. A ce jour, par manque de coordination entre Pristina et Belgrade peu sont ceux qui se sont vus restituer leurs biens immobiliers et leurs droits de propriété.

Le Kosovo reste donc aujourd’hui un pays divisé et qui divise, sécurisé mais certainement pas sûr et stable. Dans ces quelques lignes, nous avons énuméré l’insécurité des personnes, l’insécurité scolaire, l’insécurité judiciaire et politique, l’insécurité économique et finalement l’insécurité quant aux possibilités d’une vie dans la dignité au long terme. Si le contraire était vrai, pourquoi 14000 soldats de l’OTAN resteraient-ils sur le terrain et des constats critiques comme celui du Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe se feraient-ils entendre?

La Ligue des Droits de l’Homme (ALOS-LDH) tient à se joindre à l’initiative engagée par un collectif d’associations luxembourgeoises (ACAT, ASTI, CARITAS, CLAE) contre toute expulsion vers le Kosovo. Elle se pose en outre la question si le Luxembourg respecte ses engagements en termes de protection de droits humains et s’engage dans la mesure de ses moyens de donner voix à ceux qui ce matin ont été expulsés et de dénoncer le cas échéant toutes les atteintes aux Droits de l’Homme qui découleraient de l’expulsion de ce matin.
L’embarquement des personnes expulsées ne met pas fin à la responsabilité morale des autorités publiques luxembourgeoises. Au contraire, il l’engage.

Communiqué par la Ligue des Droits de l’Homme (‚ALOS-LDH)