Histoire du temps présent / En exil à Paris au temps de la Grande Guerre (1915-1918)
Des comités de secours se sont formés dans la communauté luxembourgeoise à Paris au cours de la Première Guerre mondiale pour venir en aide aux nombreux volontaires luxembourgeois qui se sont engagés dès le mois d’août 1914 pour aller se battre aux côtés de la France. Ces associations n’ont pas manqué de jouer par la suite un rôle politique indéniable, lorsque les puissances de l’Entente ont eu à s’occuper de la „question luxembourgeoise“, en 1917-1918. Mais quel a été au juste leur rôle?
Paris compte avant la Première Guerre mondiale une importante communauté luxembourgeoise composée pour l’essentiel d’ouvriers et d’artisans, de gouvernantes et de femmes de chambre. Rien que dans le département de la Seine se trouvent établis quelque 22.000 Luxembourgeois, auxquels il convient d’ajouter encore environ 10.000 compatriotes demeurant en province. Lorsqu’éclate la Première Guerre mondiale et que le G.-D. de Luxembourg se trouve aussitôt occupé par l’armée du Kaiser, plusieurs centaines de Luxembourgeois se portent volontaires pour aller combattre aux côtés de la France contre cette Allemagne qui vient de violer la neutralité luxembourgeoise. Les volontaires luxembourgeois de France, auxquels vont se joindre un certain nombre de compatriotes réussissant à rallier le territoire français, parfois par le détour de la Suisse, vont être incorporés par la suite dans des régiments de la Légion étrangère.
Dans les premiers temps de la guerre, il n’existe aucune structure ou association de secours luxembourgeoise capable d’assurer de manière constante aides et secours aux légionnaires et à leurs familles. Cet état de choses ne change vraiment qu’au milieu de la guerre, lorsque deux associations de secours luxembourgeoises sont fondées successivement à Paris, à l’été 1916. Dans les deux cas, des personnalités luxembourgeoises ayant subi les brimades de l’occupant militaire allemand et ayant pris la décision de quitter le pays et de se réfugier dans la capitale française, vont jouer un rôle déterminant lors de l’établissement de ces sociétés de secours.
Deux hommes d’action en exil
L’une de ces personnalités est l’imprimeur et éditeur Paul Schroell, fondateur du Escher Tageblatt. Dès le début de la guerre, Schroell se voit exposé aux brimades de l’occupant militaire allemand qui ordonne la fermeture de l’imprimerie et des bureaux du quotidien, le 13 août 1914, et procède à son arrestation le lendemain au motif de „Betätigung feindlicher Gesinnung gegen die deutsche Macht“. Libéré de la prison d’Ehrenbreitstein au bout de quelques semaines, l’éditeur eschois subissant encore les mesures d’intimidation de l’occupant et les tracasseries de la censure militaire allemande, décide au mois de février 1915 de prendre le chemin de l’exil et de se réfugier à Paris, en passant par la Suisse. C’est dans la capitale française que Paul Schroell procède alors, le 28 août 1916, de concert avec le bijoutier Albert Breisch, l’assureur Paul Siegen, le journaliste sportif bien connu Alphonse Steinès et le bibliothécaire et historien Frantz Funck-Brentano, à la fondation d’une association de secours pour aider les légionnaires luxembourgeois, l’„Œuvre des Soldats luxembourgeois engagés volontaires au service de la France“.
L’autre homme d’action de la colonie luxembourgeoise à Paris sera Paul Flesch, ancien architecte de la Ville d’Esch-sur-Alzette et conseiller municipal. Libre-penseur notoire et francophile déclaré, Flesch lui aussi est menacé de prison et décide en avril 1915 de se réfugier à Paris. Ensemble avec des relations luxembourgeoises déjà établies à Paris, ainsi qu’avec des personnalités du monde politique français, Paul Flesch y fonde, le 28 juillet 1916, le „Comité Franco-Luxembourgeois“. Organisation de secours aux volontaires luxembourgeois combattant dans les rangs de l’armée française, le Comité Franco-Luxembourgeois entend également œuvrer pour un rapprochement entre la France et le Luxembourg, tant sur le plan économique que culturel. Sur le plan politique, le Comité ne tarde d’ailleurs pas à prendre position contre la grande-duchesse Marie-Adélaïde et à réclamer un changement de régime politique au Luxembourg par la proclamation de la république.
Ce qui distingue encore le Comité Franco-Luxembourgeois, c’est le réseau étendu de ses relations dans le monde politique français. Au sein de son conseil d’administration et de son comité de patronage siègent au côté de médecins, ingénieurs et hommes d’affaires luxembourgeois, nombre de ministres, députés et sénateurs français. Un rôle de premier plan est dévolu au sein du Comité à Victor Charbonnel, publiciste et grand héraut de la Libre Pensée en France, une connaissance de longue date de Paul Flesch.
Il convient aussi de porter toute l’attention au contexte général de cette période du milieu de la guerre, pendant laquelle s’établissent les associations de secours luxembourgeoises à Paris. Les Luxembourgeois de France sont obligés de constater un changement de tonalité dans les nouvelles que la presse française consacre au G.-D. de Luxembourg et ils se rendent compte qu’ils risquent bien de pâtir d’une inflexion de l’opinion publique à leur égard. Certains organes de presse se sont mis à publier des articles désobligeants à propos du Luxembourg, dénonçant l’attitude pro-allemande de la grande-duchesse de Luxembourg, alors que la presse française l’avait présentée au début du conflit plutôt comme „princesse martyre“. La différence d’attitude et de comportement des autorités gouvernementales luxembourgeoises et belges est également mise en évidence. Alors que la Belgique a défendu héroïquement sa neutralité violée par l’agresseur allemand, le Luxembourg aurait laissé passer les envahisseurs l’arme au pied. Les autorités luxembourgeoises feraient preuve d’une attitude totalement passive à l’égard de l’occupant allemand et le laisseraient libre d’agir à sa guise sur le territoire grand-ducal. Surtout, elles invoqueraient abusivement des considérations de neutralité à l’égard de l’occupant allemand.
A l’engagement militaire de quelque 1.500 Luxembourgeois au sein de l’armée française revient alors une signification toute particulière. Aux yeux du Comité Franco-Luxembourgeois, les volontaires luxembourgeois porteraient témoignage de la francophilie du peuple luxembourgeois. Leur engagement militaire aux côtés de la France aurait valeur de preuve que le Luxembourg et les Luxembourgeois ne sont pas Allemands et ne souhaitent certainement pas le devenir.
Pour l’historien il est frappant de constater que l’inflexion précitée de la presse française à propos du Luxembourg intervient précisément à l’époque où débutent les campagnes de propagande et les démarches des milieux annexionnistes belges. „L’Alsace-Lorraine de la Belgique, c’est le Grand-Duché de Luxembourg!“, voilà la revendication des annexionnistes belges adressée aux autorités françaises et reprise par la presse française. Pour les associations de soutien aux légionnaires luxembourgeois, les prétentions des milieux annexionnistes belges sont totalement inacceptables. C’est pourquoi la colonie luxembourgeoise à Paris organise en 1917 et encore en 1918 plusieurs grandes manifestations de protestation, à l’occasion desquelles les orateurs demandent avec insistance à ce que le principe de l’autodétermination des peuples soit respecté, de même que le maintien de l’indépendance et la souveraineté luxembourgeoise soit assuré, „en union étroite avec la France“. Ces manifestations de protestation trouvent en retour un écho indéniable dans la presse parisienne et auprès des milieux gouvernementaux français ce qui ne manquera pas de poser problème aux annexionnistes belges en 1918.
Le Comité Franco-Luxembourgeois a encore osé prendre des initiatives sur le plan diplomatique afin d’attirer l’attention sur le sort réservé au peuple luxembourgeois obligé de subir l’occupation militaire allemande, ainsi que sur les violations allemandes des traités internationaux assurant la souveraineté et la neutralité du Grand-Duché. Après l’entrée en guerre des Etats-Unis, le Comité Franco-Luxembourgeois réussit ainsi, en juin 1917, à obtenir l’assurance du Secrétaire d’Etat Robert Lansing que les Etats-Unis n’allaient pas considérer le Luxembourg comme territoire ennemi.
Manifestation de protestation contre la dynastie
L’attitude pro-allemande reprochée à la grande-duchesse Marie-Adélaïde accentua les sentiments hostiles à la dynastie des Nassau au sein de la communauté luxembourgeoise à la fin de la guerre. La goutte qui fit déborder le vase fut l’annonce, au mois d’août 1918, des fiançailles de la princesse Antonia, sœur de la grande-duchesse, avec le prince Rupprecht de Bavière, accusé par les puissances de l’Entente d’être responsable de crimes de guerre, en sa qualité de chef d’armée.
A l’occasion d’une grande manifestation de protestation réunissant un millier de Luxembourgeois de Paris dans la grande salle des Sociétés Savantes, le 1er septembre 1918, Paul Flesch et Frantz Funck-Brentano firent adopter par l’assemblée la motion suivante réclamant l’abdication de la grande-duchesse Marie-Adélaïde: „Hautement sûrs d’exprimer le sentiment national, nous proclamons que la grande-duchesse Adelaïde de Nassau (sic) s’est mise violemment en opposition avec le peuple luxembourgeois; par suite nous réclamons sa déchéance, et nous saluons le jour prochain où nos sublimes légionnaires et les armées alliées la chasseront du pays avec les hordes allemandes.“ Cette manifestation de protestation rencontra un écho indéniable dans la presse française et, de l’avis des observateurs de l’époque, contribua à la fin de la guerre à ce que les Alliés ne confondent les sentiments du peuple luxembourgeois avec l’attitude germanophile de la cour grand-ducale.
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