FranceLes défilés du 1er mai n’ont pas vraiment permis de retrouvailles à gauche

France / Les défilés du 1er mai n’ont pas vraiment permis de retrouvailles à gauche
Le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez (m.), à la tête du cortège le 1er mai à Paris Photo: AFP/Alain Jocard

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Le traditionnel défilé syndical du 1er mai, qui n’avait pu avoir lieu l’an dernier pour cause de confinement, s’est déroulé samedi en France dans des conditions plus normales. Mais il a été émaillé d’incidents inédits, la CGT étant notamment attaquée par des membres des Black Blocs, ce groupuscule extrémiste ultra-violent qui s’était déjà illustré il y a deux ans lors des manifestations des „Gilets jaunes“.

Sans attendre de miracles de cette Fête du travail, les préoccupations des Français restant pour l’instant plus sanitaires que sociales, la gauche politique et syndicale comptait tout de même sur l’occasion pour marquer son retour sur la scène publique, à quelques semaines des élections régionales et départementales et à un an de la grande échéance présidentielle. Or elle n’aura finalement guère eu de raisons de se féliciter des manifestations auxquelles le 1er mai venait de donner lieu. Et cela pour trois raisons au moins.

La première est tout simplement la modestie des effectifs mobilisés dans la rue. Et cela même à Paris, où le cortège n’a rassemblé que 17.000 personnes selon la Préfecture de police; selon l’estimation plus flatteuse de la CGT, les protestataires n’auraient tout de même été que 25.000 dans la capitale. Même constat pour la province, puisqu’ils n’étaient guère que 3.500 à Marseille et à Nantes, 3.000 à Lyon, 2.000 à Rennes et à Lille, un peu moins encore à Bordeaux … Avec un total national dépassant légèrement à peine les 100.000 personnes, on est donc resté loin des foules de naguère.

La CGT prise pour cible

En second lieu, la CGT, proche du Parti communiste, s’est retrouvée pour la première fois en situation de cible. Elle était pourtant considérée depuis des décennies comme la grande maîtresse de l’organisation des défilés syndicaux (même si elle n’est plus aujourd’hui que la deuxième centrale derrière la CFDT). Avec, en particulier, un service d’ordre musclé dont la police n’était pas la dernière à saluer l’efficacité face à tout débordement – gauchiste en particulier.

Il est vrai que les casseurs des Black Blocs s’en prennent à tout ce qui leur semble incarner une forme d’autorité, de pouvoir ou de richesse et que leur niveau de culture politique avoisine manifestement le zéro absolu. Mais en agressant – outre, comme d’habitude, des policiers – des militants cégétistes, dont 21 ont été blessés, et en vandalisant une des camionnettes du syndicat, taguée de l’inscription „CGT collabo“, ils ont cruellement confirmé que la centrale cégétiste ne tenait plus nécessairement la rue et que c’en était bien fini, en tout cas de leur côté, d’une certaine tradition anarcho-syndicaliste qui avait longtemps imprégné l’histoire du mouvement ouvrier.

Comme de juste, ces agressions physiques, complétées par des slogans comme „A bas les syndicats“, „A mort la CGT“, cependant que la police procédait à 46 interpellations parmi les assaillants, ont suscité l’indignation de la classe politique; bien au-delà, pour le coup, des limites de la gauche et de l’extrême gauche. Le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, a estimé que les violences étaient le signe d’une „perte de repères“ et a récusé l’accusation d’une mauvaise gestion de la manifestation par les forces de l’ordre. La ministre du Travail, Elizabeth Borne, a de son côté jugé „scandaleux que les casseurs, des Black Blocs, aient voulu voler ce moment aux organisations syndicales“.

Mélenchon: „Revenir comme président“

La troisième raison qui aura donné un arrière-goût un peu amer à cette journée, en principe consacrée à des retrouvailles et à l’exaltation de luttes communes, est qu’à aucun moment ne s’est manifestée l’aspiration à ce que l’on avait appelé autour de François Mitterrand „l’union de la gauche“. Les leaders des principaux partis de la famille étaient bien là, certes, mais chacun avec, en tête, ses propres projets, sa propre stratégie, pour ne pas dire sa propre candidature à l’élection présidentielle.

Ç’aura été particulièrement vrai pour Jean-Luc Mélenchon, qui s’était rendu à Lille pour soutenir les candidats de La France insoumise aux prochains scrutins locaux et qui a osé lancer aux participants au défilé, avant d’égrener quelques-unes de ses propositions de campagne: „Je souhaite que le 1er mai 2022, je puisse revenir à Lille comme président de la République!“ D’une certaine façon, pour lui tout était dit; mais pour un certain nombre d’autres dirigeants de gauche aussi, à commencer par Yannick Jadot, qui, chez les Verts, cherche à apparaître comme le candidat „naturel“ de sa famille … et au-delà.

„Les bons traités“, disait subtilement Talleyrand, „sont ceux qui mettent d’accord des arrière-pensées.“ De ce point de vue, au lendemain du 1er mai, la gauche française semble encore bien loin d’un „bon traité“.