Le feu couvant de Rouen: L’incendie de l’usine Lubrizol suscite l’inquiétude et la colère

Le feu couvant de Rouen: L’incendie de l’usine Lubrizol suscite l’inquiétude et la colère

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La population de la région de Rouen, en Normandie, reste très préoccupée par les suites possibles, sur le plan sanitaire, du grand incendie de l’usine Lubrizol, produisant des lubrifiants pour moteurs dans la très proche banlieue de la grande cité normande. Le sinistre n’a fait ni mort, ni blessé, mais les dégâts matériels sont considérables.

De notre correspondant Bernard Brigouleix

Ç’avait été, jeudi dernier, une de ces „nouvelles de la nuit“ qui font l’ouverture des journaux de radio et de télévision du matin, très spectaculaire avec ses flammes gigantesques et son énorme panache de fumée noire et grasse: une usine avait pris feu pour une raison inconnue, mobilisant un nombre considérable de pompiers. Une information éclipsée quelques heures plus tard, et pour plusieurs jours, par l’annonce de la mort de Jacques Chirac.

On avait tout juste appris des autorités que les gaz brûlés, tout en produisant une odeur désagréable et de disgracieuses traînées sur la végétation, ne présentaient pas de danger. Les écoles des communes les plus proches du sinistre étaient tout de même fermées en vertu du traditionnel „principe de précaution“, et, pour la même raison, la vente des légumes et du lait produits sur place provisoirement interdite. Mais aucun indice préoccupant, insistait-on du côté du gouvernement, n’avait été relevé, même si l’on reconnaissait que le nuage ainsi formé avait été poussé par le vent jusqu’en Belgique, voire aux Pays-Bas.

Paradoxe: il n’en aura pas fallu davantage pour lancer, puis entretenir, une vague d’inquiétude, et bientôt de colère, pour ne pas dire une véritable psychose, dans la population locale. Comme toujours en pareil cas, les fausses nouvelles ont bientôt pullulé sur Internet, avec notamment un faux communiqué très alarmant de l’Agence régionale de santé, ou encore une photo représentant des oiseaux morts jonchant le sol, dont on devait découvrir, après qu’elle eut fait le tour des réseaux sociaux, qu’elle avait été prise non aux environs de Rouen la semaine dernière, mais … en Louisiane, et en 2011!

Une communication défaillante

Il n’empêche: pour irrationnelles et excessives qu’elles aient été – d’aucuns allant jusqu’à faire le parallèle avec la catastrophe de Tchernobyl, à la gravité longtemps niée par le pouvoir soviétique, et qui a certainement fait, en 1986, des dizaines de milliers de morts, contre aucun dans ce cas – ces réactions montrent que la communication de crise n’a pas du tout été à la hauteur de l’événement. Le gouvernement va répétant qu’il entend jouer la carte d’une totale transparence; mais les assurances qu’il a prodiguées à la population l’ont été dans la confusion, l’approximation, et plus d’une fois la contradiction entre ministres, experts, préfet …

En outre, beaucoup d’informations font encore défaut, car il est difficile pour les scientifiques d’analyser les débris calcinés de l’usine et des composants chimiques qui ont très longuement brûlé. Ont en effet disparu en fumée, a-t-on appris hier, quelque 5.253 tonnes d’hydrocarbures et d’autres produits, dont la liste a été publiée par la préfecture et dont aucun ne serait réellement dangereux pour l’homme, pris séparément, mais dont l’„effet cocktail“, autrement dit le mélange, surtout à haute température, peut présenter des risques que l’on peine à évaluer.

Quant à la direction de Lubrizol, elle n’est sortie de son silence que pour assurer que le feu avait en fait été déclenché de l’extérieur. Sans prononcer le mot d’„attentat“, mais en achevant de semer la confusion, dans la mesure où aucun commencement d’explication n’était apporté à l’appui de cette affirmation. Bien commode en l’occurrence pour décharger la firme, dont la branche française est le premier exportateur de la région, mais dont le siège est installé dans l’Ohio, et qui est la propriété du milliardaire américain Warren Buffett.