Un grand test social et politique pour Sarkozy

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Cette journée de jeudi devait être marquée, en France, par des arrêts de travail massifs, et de grandes manifestations syndicales et politiques, contre les effets de la crise mondiale, mais aussi la façon dont Nicolas Sarkozy et son gouvernement entendent y répondre./ De notre correspondant Bernard Brigouleix, Paris

Au-delà d’un rituel de grève qui est une des spécificités françaises, ce mouvement pourrait bien, par son ampleur, traduire un profond malaise social. Depuis le début de la semaine, les journaux s’emploient, dans l’Hexagone, à décrire par le menu le „jeudi noir“, la „galère absolue“, qui attend les usagers des transports en commun et des services publics en général pour aujourd’hui, et les petites astuces pour y échapper au moins partiellement: organiser le co-voiturage avec des voisins, prendre une journée de congé pour garder et faire déjeuner les enfants, ou tout simplement … faire grève soi-même.
Jusque-là, rien que d’archi-banal pour les Français, accoutumés depuis des décennies, et tous gouvernements confondus, à voir leur existence professionnelle hachée par ces arrêts de travail de ceux des salariés dont ils ont justement besoin pour aller au travail. Ce qui est nouveau cette fois-ci, c’est au fond la réunion de trois choses.

La grande questiondu privé

D’abord la popularité de la grève: 69% des Français, selon le dernier sondage, la soutiennent ou au moins la comprennent. Près de neuf sur dix des sympathisants de gauche, ce qui ne surprendra personne, mais aussi largement plus d’un électeur de droite sur deux, ce qui peut donner matière à réflexion au gouvernement. Les responsables de la majorité présidentielle ont beau dire que ce chiffre traduit surtout une inquiétude populaire après tout fort compréhensible compte tenu de la conjoncture internationale, ce qui n’est sans doute pas entièrement faux, il y a là de quoi s’interroger, à l’Elysée ou à Matignon.
En second lieu, tout semble indiquer que les salariés du secteur privé, d’ordinaire prompts à se poser en victimes des défaillances à répétition des services publics, et à vitupérer ces „privilégiés“ de fonctionnaires grévistes assurés, eux, de leur emploi, d’un salaire relativement élevé et d’un régime de retraite très favorable, soient disposés ce jeudi à s’associer assez massivement à la grève et aux manifestations de mécontentement.
Nombre d’observateurs font d’ailleurs de la participation du secteur privé le véritable instrument de mesure du succès ou de l’échec de la journée d’action syndicale. Si les fonctionnaires et assimilés restent entre eux, le clivage sera plus profond que jamais entre les salariés protégés et bien payés du secteur public et les autres; si, au contraire, les titulaires d’emplois „à risque“, autrement dit ceux du secteur privé, se joignent à eux, même de façon marginale, cela signifiera que le rejet de la politique sarkozienne est profond, et que les réformes vont sans doute devoir attendre – ou trouver, en tout cas, d’autres chemins que celui, si fréquent, du passage en force.
Enfin, le contexte politique dans lequel survient cette journée de protestation sociale que tout annonce très forte a quelque chose de particulier. Un sondage publié hier à propos des intentions de vote aux élections européennes de juin prochain est révélateur à cet égard: l’UMP continue certes d’y devancer le PS d’environ trois points, mais une éventuelle fédération de l’extrême gauche anti-capitaliste et anti-européenne (communistes orthodoxes, Parti de Gauche de Jean-Luc Mélenchon, trotskistes d’Olivier Besancenot et quelques petits groupes „révolutionnaires“) y recueillerait 14,5% des intentions de vote, devançant les centristes de François Bayrou et, beaucoup plus largement, les Verts de Daniel Cohn-Bendit.

Une occasion pourle PS de rebondir

C’est dire l’ampleur du désarroi dans lequel l’électorat le plus à gauche a été plongé par l’effondrement du PCF, et, sans doute plus encore, par les féroces et très publiques luttes intestines du PS. Dans ces conditions, si les socialistes ne veulent pas laisser leurs adversaires d’extrême gauche tirer un fort profit électoral de cette situation, à leur détriment au moins autant qu’à celui de la droite, ils ont intérêt à s’investir massivement dans ce qu’il est convenu d’appeler les „luttes populaires“.
Si les manifestations et grèves de ce jeudi atteignent l’ampleur qu’on leur prédit, ce peut être pour le PS l’occasion tant attendue de rebondir. Encore lui faudra-t-il fédérer des mécontentements sociaux qui sont vifs, et nombreux, mais justement: d’autant plus épars qu’ils sont nombreux, de l’Education nationale à la Santé, de la Justice aux Transports publics … et à l’industrie privée, où suppressions d’emploi et mises au chômage technique commencent à affoler même les plus paisibles des salariés. De ce point de vue, et même si pour l’instant le mouvement d’aujourd’hui doit cesser dès ce soir, ce jeudi constituera à coup sûr un test social et politique majeur.