Un beau cadeau pour de Villepin

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S’exprimant mercredi soir à la télévision depuis New York, où il se trouvait pour prendre part à l’assemblée générale de l’ONU, Nicolas Sarkozy a évoqué à propos de l’affaire Clearstream les „coupables traduits devant un tribunal correctionnel“, au mépris de la présomption d’innocence pourtant inscrite dans le Code civil. Il n’en aura évidemment pas fallu...

C’est tellement ’gros‘ que nombre d’observateurs (sans parler de l’entourage présidentiel) ont voulu croire, dans un premier temps, à une provocation délibérée du chef de l’Etat, lequel aurait eu une nouvelle idée de manoeuvre, surprenante certes mais qui allait, pensait-on, révéler son efficacité, pour enfoncer encore davantage celui qui l’avait accusé de faire preuve d’„acharnement“ contre lui, l’ancien premier ministre Dominique de Villepin. Mais il a bien fallu se rendre à l’évidence: ce que l’esprit de Nicolas Sarkozy lui a soufflé, c’est tout simplement une énorme bourde, un lapsus freudien dont son adversaire – c’est de bonne guerre – a évidemment aussitôt fait son miel.

Immunité présidentielle

La chose est d’autant plus surprenante que même sans faire du président français ce qu’il n’est pas, c’est-à-dire un juriste pointilleux, on ne saurait oublier que ’dans le civil‘, il est lui-même, en principe, avocat (comme M. de Villepin l’est d’ailleurs devenu). Et qu’il ne peut à ce titre, ni surtout à celui de premier magistrat de France, oublier les termes de l’article 9 alinéa premier du Code civil: „Chacun a droit au respect de la présomption d’innocence. Lorsqu’une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme coupable (…), le juge peut prescrire toutes mesures aux fins de faire cesser l’atteinte à la présomption d’innocence“, et cela aux frais du responsable …

La France, contrairement aux pays anglo-saxons, a mis du temps à faire entrer ce principe dans les moeurs, politiques et journalistiques en particulier. Il n’y a pas si longtemps encore, les journaux même les plus sérieux n’hésitaient pas à faire des titres du genre: „L’assassin a été arrêté“ (ou: „comparaît en cour d’assises“). Mais enfin, cette page semblait tournée.

Il est vrai que M. Sarkozy s’était déjà signalé par un premier manquement à ce principe le jour de la capture d’Yvan Colona en affirmant tranquillement: „La police vient d’arrêter l’assassin du préfet Erignac.“ Ce qui lui vaut d’ailleurs un recours en justice qui ne pourra être examiné qu’à l’expiration de son mandat présidentiel. Car c’est bien là que le bât blesse. Le système français prévoit l’immunité judiciaire du chef de l’Etat aussi longtemps qu’il siège à l’Elysée. Ce qui peut à la rigueur se concevoir, au moins dans la logique de la Ve République, à condition que la justice puisse faire sereinement son travail après.

Le problème est que, totalement protégé de toute poursuite – ce qui fait que le recours formé par la défense de M. de Villepin n’a évidemment aucune chance d’aboutir avant … 2012 au mieux, 2017 si M. Sarkozy est réélu pour cinq ans – le président de la République n’a tout de même pas hésité à se porter partie civile dans le procès lié à l’affaire Clearstream, où comparaît l’ancien premier ministre. Et que, de ce fait, beaucoup de Français, sans pour autant ’blanchir‘ M. de Villepin comme lui-même a assuré qu’il le serait, risquent tout de même de comprendre assez mal la position de ce chef d’Etat qui peut attaquer en justice si bon lui semble, y compris de simples citoyens, mais contre qui, sur le plan judiciaire toujours, nul ne peut rien.

Haine entre deux hommes

C’est d’ailleurs sur ce réflexe que compte l’ancien premier ministre, dont l’un des avocats, Me Metzner, a fait dès la fin de l’audience de mercredi des déclarations au vitriol. „C’est cela le respect de votre tribunal?”, s’est-il exclamé. „C’est cela qu’un président de la République donne à la France comme spectacle de la justice? La présomption d’innocence est un droit fondamental et M. Sarkozy la bafoue en direct devant des millions de Français. On avait déjà voulu pendre M. de Villepin à un croc de boucher, maintenant on le dit déjà coupable!“

L’opposition socialiste et centriste, observant avec une certaine jubilation ces règlements de compte qui, pour une fois, ne concernent pas les différentes fractions du PS ou les partisans et adversaires d’une alliance PS-MoDem, mais celles de l’UMP, a souligné combien la position personnelle de Nicolas Sarkozy, qui comme chef de l’Etat préside le Conseil supérieur de la magistrature et le Conseil d’Etat, sans parler de sa fameuse immunité, devait lui interdire d’intervenir de la sorte, et en se portant partie civile, et en lançant à la télévision des propos qui le mettent d’ailleurs en contradiction avec la loi dont il est censé, par ses fonctions, être le premier protecteur.

Mais au-delà de la polémique, cette ’affaire dans l’affaire‘ vient illustrer au moins deux choses. D’abord la difficulté qu’éprouve M. Sarkozy à maîtriser son verbe dès lors qu’il s’exprime, non plus dans l’exaltation d’une campagne électorale qui admet de chacun tous les à-peu-près, mais dans le cadre forcément beaucoup plus contraignant de la sphère judiciaire. Ensuite la virulence de la haine qui oppose l’homme de l’Elysée et celui qui régna sur Matignon. Aucun des deux ne fera le moindre cadeau à l’autre, se disait-on à l’ouverture du procès; Nicolas Sarkozy vient tout de même d’en faire un beau à son ennemi intime – bien involontairement, il est vrai, et même si sa spectaculaire bévue n’a pas les retombées judiciaires qu’elle aurait pu avoir dans un autre contexte.