Retour du fils prodigue dans l’OTAN

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Le premier ministre français, François Fillon, a engagé hier la responsabilité de son gouvernement devant les députés à propos d’une déclaration de politique étrangère dont le volet essentiel était en fait la confirmation du fait que la France allait réintégrer le commandement militaire intégré de l’OTAN, dont le général de Gaulle l’avait fait sortir en...

C’est ce que l’on appelle jouer à fronts renversés. C’est aujourd’hui la droite gaulliste, ou qui se veut en tout cas l’héritière du général, qui opère ce grand retour dans le giron otanien. Et c’est la gauche socialiste, ainsi que la droite démocrate-chrétienne de François Bayrou, qui condamne cette opération.
Alors que François Mitterrand lui-même avait, en 1966, déposé une motion de censure, avec la bénédiction des centristes, pour condamner la démarche gaullienne.

La fin de lamenace soviétique

Mais les temps ont radicalement changé, explique-t-on des deux côtés. A droite, François Fillon a pris soin, hier, de dire que, „si la France ne s’est jamais départie de son amitié à l’égard des Etats-Unis, elle ne confond pas l’amitié avec la naïveté. Entre fascination et appréhension, a poursuivi le premier ministre, il existe une voie pragmatique pour renouveler les instruments et les objectifs de la relation franco-américaine, et euro-américaine.“ Et il a annoncé aux Américains „une France alliée mais pas vassale, fidèle mais non soumise, fraternelle mais jamais subordonnée.“
Au-delà de ces formules, l’idée qui sous-tend la démarche sarkozienne – car nul doute que cette réintégration est l’oeuvre personnelle du chef de l’Etat – est que, puisque la France est de toute façon partie prenante dans de nombreuses opérations de l’OTAN, autant faire partie des instances dirigeantes, et avoir son mot à dire dans la gestion d’opérations où des soldats français, avec d’autres, risquent, et parfois perdent, leur vie.
En outre, la droite avance que si de Gaulle pouvait légitimement craindre une certaine hégémonie américaine, menaçante pour l’indépendance de la force française de dissuasion nucléaire, cette période est aujourd’hui bien révolue, pour trois raisons au moins.
D’abord parce que ladite force de dissuasion, pour modeste qu’elle soit au regard des grands arsenaux nucléaires mondiaux, existe bel et bien. Ensuite parce que les Etats-Unis, défaits jadis au Vietnam, embourbés aujourd’hui en Irak, et de surcroît dirigés par un nouveau président autrement plus sensible que son prédécesseur aux états d’âme des alliés de Washington, ne constituent plus une menace pour l’indépendance nationale. Et enfin parce que la défense européenne, si lente à se mettre en place, passe qu’on le veuille ou non par l’OTAN, non par un découplement d’avec les Etats-Unis.
Mais à ce raisonnement, on l’a bien entendu hier au Palais-Bourbon et ailleurs, la gauche oppose des arguments qui ne sont pas moins solides. D’abord, dit-elle, c’est justement parce que le monde a changé, et considérablement, que la fidélité imposée jadis aux alliés européens de Washington par la césure du Vieux-Continent et la menace soviétique, avec son Pacte de Varsovie, n’est plus de mise aujourd’hui. Rallier le camp américain (car qu’on le veuille ou non, l’OTAN reste et restera certainement sous leadership américain de fait) aujourd’hui que la menace fondatrice de l’Alliance a pratiquement disparu n’est pas utile.
Mais c’est même, fait-on valoir en outre à gauche, une démarche qui va priver la France d’une originalité appréciable, dont elle a bien profité durant ces plus de 40 années durant lesquelles la vision gaullienne avait prévalu – contre l’analyse de la gauche de l’époque, c’est vrai, mais il y avait justement aujourd’hui un consensus autour de ce concept original de pays occidental, fidèle à son alliance quand l’essentiel était en cause, mais n’hésitant jamais à affirmer son originalité par rapport à Washington en cas de besoin.

L’irritationdes gaullistes

„Dans la configuration que prépare Nicolas Sarkozy, nous aurions été obligés de participer à l’invasion de l’Irak sous le commandement de George Bush fils“, entend-on dire. Propos sans doute abusif: l’Allemagne, grand voisin et partenaire, membre fondateur de l’OTAN en 1949 comme la France, n’a pas hésité à se démarquer solidement de la stratégie américaine et n’a aucunement participé à l’offensive en Irak.
Mais le problème, en réalité, n’est pas tant dans cette réintégration du commandement militaire de l’Alliance atlantique que dans ce qu’il faut bien appeler le tropisme américain de Nicolas Sarkozy. En fait, la France est, depuis bien des lustres déjà – pratiquement depuis la mort de de Gaulle – redevenue très proche de Washington. A quelques exceptions près, certes, dont le fameux discours de Dominique de Villepin, alors ministre des Affaires étrangères, devant le Conseil de sécurité de l’ONU juste avant le déclenchement de la deuxième guerre d’Irak. Mais elle n’aimait pas trop avouer cette proximité, d’ailleurs non dépourvue de nuances, droite et gauche confondues.
La nouvelle posture de l’Elysée suscite donc, y compris chez les vieux gaullistes, une certaine irritation. Surtout lorsque l’opinion a l’impression que le chef de l’Etat est surtout fasciné, chez les Américains, par certains côtés les plus discutables de leur personnalité collective. „Quelque part, ce retour dans l’état-major de l’OTAN, c’est la version diplomatico-militaire du ‚bling-bling‘ sarkozien“, disait hier soir dans les couloirs de l’Assemblée nationale, avec une amère ironie, un député socialiste.
A quoi l’on répond, chez les „orthodoxes“ de l’UMP, que la France sera ainsi associée à des décisions qui la concernent déjà de toute façon, et qu’elle va pouvoir se faire attribuer certains hauts postes stratégiques qui, depuis 1966, lui échappaient inévitablement. „C’est un simple ajustement“, a assuré M. Fillon devant les députés.
Mais pour Martine Aubry, nouvelle première secrétaire du PS, qui était flanquée pour la circonstance de deux anciens chefs du gouvernement, qui furent l’un et l’autre proche de François Mitterrand, Lionel Jospin et Laurent Fabius, il s’agit là d’une véritable „rupture“, d’une banalisation de la position de la France, susceptible de „mettre à mal son indépendance et son influence dans le monde“.