Nouvelle mobilisation, nouveau test pour Sarkozy

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Ce jeudi devrait être marqué, un peu partout en France, par une nouvelle mobilisation sociale de grande ampleur, faisant suite à celle du 29 janvier, et à l’amorce, jugée très décevante par les syndicats, d’un dialogue social le 18 février dernier à l’Elysée. De notre correspondant Bernard Brigouleix, Paris

Les appels à cesser le travail ont été si nombreux que certains parlent déjà de grève générale, et on s’attend à des manifestations au moins égales à celles qui avaient réuni au total, selon les estimations, entre 1 et 2,5 millions de protestataires fin janvier.
Assez imprudemment, Nicolas Sarkozy s’était flatté, voici quelques mois devant des journalistes, de ce que les manifestations de mécontentement social, sans avoir certes disparu en France, ne se voyaient du moins à peu près plus. Le 29 janvier dernier lui avait déjà apporté un premier démenti, même si ledit mécontentement, déjà fort et qui n’a certainement fait qu’empirer depuis, s’était davantage manifesté dans la rue que par les grèves, inégalement suivies hormis la Fonction publique comme il est de tradition. La journée d’aujourd’hui pourrait bien marquer une nouvelle avancée à cet égard.
Pourtant, le chef de l’Etat, hier en Conseil des ministres, s’est borné à assurer qu’il comprenait „l’inquiétude des Français face à une crise d’une violence exceptionnelle“, et à égrener à nouveau la liste des mesures déjà prises, comme le versement d’une prime dite ’de solidarité active‘ de 200 euros, la revalorisation du minimum vieillesse, la suppression du deuxième tiers de l’impôt sur le revenu pour les contribuables les moins fortunés (la moitié des foyers fiscaux français ne payant de toute façon aucun impôt direct). Mais il n’a pas laissé espérer de nouveau rendez-vous prochain avec les partenaires sociaux.
Manifestement, l’Elysée, et donc le gouvernement, n’entendent rien changer à leur stratégie face à la crise venue d’outre-Atlantique: un certain accompagnement social, que les acteurs concernés trouvent bien minimaliste, et une politique d’investissements à long terme, en faveur des infrastructures de transport et de production notamment, mais pas de relance méthodique de la consommation.

Total, Continental,Parisot …

Et accessoirement, pas de remise en cause d’un „bouclier fiscal“ protégeant les très hauts revenus des hyper-ponctions antérieures, et qui commence à être jugé inutilement impopulaire, voire provocant, jusque dans les rangs de la majorité. Se sont ajoutés à cette rigidité gouvernementale, ces derniers jours, un certain nombre de gestes terriblement contre-productifs pour le patronat. Il y a eu l’annonce, par l’infiniment prospère groupe Total (encore 13 milliards d’euros de bénéfices en 2008, notamment grâce à la flambée du prix des hydrocarbures!) de 555 suppressions de postes pour cette année; suppressions, et non pas licenciements, certes, mais il faut tout l’absolu mépris social du géant pétrolier français pour n’avoir pas senti combien une telle mesure allait, par les temps qui courent, contribuer à embraser le climat et à nuire encore plus à son image déjà très négative dans l’opinion.
Il y a eu aussi une cascade de fermetures d’usines, effectives ou programmées, la plus douloureuse numériquement étant celle de l’usine de pneumatiques Continental de Clairoix, dans le département de l’Oise (1.120 salariés). Certaines pouvaient à la rigueur s’expliquer par la conjoncture, d’autres non; toutes ont contribué à détériorer encore le climat social français, et à mobiliser, selon toute vraisemblance, pour la journée d’aujourd’hui.
Enfin, la „patronne des patrons“, Laurence Parisot, présidente du Medef, a tenu mardi des propos qui n’auraient sans doute pas mis le feu aux poudres dans un climat moins tendu, mais qui ont été, pour le coup, très mal perçus par les syndicats: „La journée du 19 mars, a-t-elle déclaré, aura aussi un coût en termes de démagogie et d’illusions créées, c’est une facilité mais je ne crois pas que ce soit une réponse à la crise.“
Le secrétaire général de la CFDT, François Chérèque, a aussitôt qualifié ces propos d’„insupportables“, celui de la CGT, Bernard Thibault, d’„archaïsme d’un autre âge“, et la première secrétaire du PS, Martine Aubry, d’„indécents, peut-être même indignes“.
C’est dans ce contexte où le chômage repart à la hausse en France – moins que chez ses voisins anglais ou espagnols, fait-on observer à droite, mais cela ne console personne –, où ceux qui ont la chance de garder leur emploi voient les salaires stagner tandis que, pour tous, les prix de détail, dans le secteur de l’alimentation notamment, grimpent bien plus vite que ne le laissent entendre les indices officiels, qu’intervient la mobilisation de ce jeudi.

Les manifestations plus que les grèves?

Tout la laisse imaginer très forte; dans le cas contraire, ce serait d’ailleurs un signal très décourageant pour les syndicats, et aussi pour l’opposition de gauche même si, justement, les grandes centrales veillent à ne pas laisser „récupérer“ leur combat social par quelque parti politique que ce soit, même présumé ami.
En fait, il n’est pas exclu que, comme cela avait été le cas il y a sept semaines, les manifestations de rue soient paradoxalement plus spectaculaires que les grèves: d’ores et déjà, dans certains secteurs pourtant publics ou semi-publics, il semble qu’un certain service aux usagers soit assuré (la ligne du TGV Est et la desserte aérienne notamment). Mais sur l’ensemble de la France, ce sont au total 213 manifestations urbaines qui sont prévues, soit 18 de plus que le 29 janvier. Celle de Paris joindra, en un parcours très classique, et très emblématique, les places de la République, de la Bastille puis de la Nation. Elle devrait mobiliser plusieurs centaines de milliers de personnes.
La difficulté, pour le pouvoir, est qu’à s’être campé dans une posture inflexible, il risque justement de ne plus pouvoir montrer qu’il sait prendre en compte, même à la marge, même symboliquement, des inquiétudes et des exigences des protestataires. Plus précisément, c’est Nicolas Sarkozy lui-même qui, à force de jouer l’„omniprésident“, se trouve en première ligne. Au risque de découvrir un peu tard qu’avoir un premier ministre à qui on laisse suffisamment de responsabilités pour jouer le cas échéant le rôle de fusible, c’est commode.
Naturellement, le règne sarkozien ne joue pas aujourd’hui son va-tout. Même si d’aucuns, dans la majorité (et, dit-on, jusqu’à l’Elysée) commencent à redouter que la jonction des mécontentements salariaux et étudiants, eux aussi très forts actuellement, ne finisse par produire une sorte de nouveau „Mai 68“. Pour bien des raisons, on n’en est vraiment pas encore là.
Ces grandes journées de mobilisation ne constituent même pas encore tout à fait, pour le chef de l’Etat, les jalons d’une descente aux enfers de l’impopularité absolue: cette descente a commencé avant, elle se poursuit également sur d’autres terrains, et elle n’est certes pas (encore?) absolue. Mais sauf fléchissement imprévu de la contestation, ce jeudi devrait tout de même marquer une nouvelle étape dans la remise en cause d’un président dont la chance essentielle aura pour l’instant résidé dans la faiblesse de l’opposition politique, et le handicap principal, dans un certain autisme social. Quelque chose comme un grand test pré-électoral, en particulier si, comme on s’y attend, le secteur privé, traditionnellement moins enclin à la grève et à la protestation que le secteur public, et où l’UMP puise l’essentiel de ses forces, y participe lui aussi massivement.