Le retour de la gauche

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Sans surprise, la motion de censure que l’opposition parlementaire avait déposée a été repoussée hier soir, n’ayant recueilli que 231 voix alors qu’il en aurait fallu 289 pour renverser le gouvernement Fillon. Mais le débat a confirmé la montée de la tension entre la droite et la gauche à l’Assemblée nationale, et la journée de...

L’arithmétique excluait tout suspense, comme presque toujours dans la vie parlementaire de la Ve République: l’UMP détient à elle seule au Palais-Bourbon une majorité qui, sans être aussi écrasante que ne l’escomptaient ses dirigeants après la victoire de Nicolas Sarkozy à l’élection présidentielle de 2007, met tout de même largement à l’abri le gouvernement de toute mauvaise surprise. Et ce ne sont pas les trois maigres voix du MoDem, dont celle, bien sûr, de François Bayrou, qui étaient susceptibles d’y changer grand chose.
Certes, tout le monde a pris note que l’ancien ministre de l’Education nationale d’Edouard Balladur, longtemps thuriféraire et jeune espoir d’une droite catholique bon teint, se situe désormais clairement aux côtés du PS. Du moins dans ses votes (par exemple à propos de la Loi de finances), car il a eu tendance, dans son intervention d’hier, et en dépit de sa décision de demander lui aussi la démission du gouvernement, à renvoyer dos à dos les deux grands partis – PS et UMP – entre lesquels il faut bien dire qu’il a quelque mal à faire exister une démarche qui se veut authentiquement centriste mais qui continue à se chercher. Et cela en dépit du score personnel brillant qu’il avait obtenu au premier tour de la présidentielle.
Hier au Palais-Bourbon, le débat aura été largement aussi vigoureux que l’on pouvait s’y attendre. Jean-Marc Ayrault, le président du groupe socialiste, a invité le gouvernement „à écouter, et pourquoi pas à entendre, une voix utile, la voix de l’opposition“, au moment où „la France traverse une tempête financière dont l’essentiel des conséquences est encore devant nous“, cependant que „rien, dans la politique suivie, ne semble en mesure d’en empêcher les ravages économiques et sociaux“.

„N’entendez-vous pas…“

M. Ayrault a aussi dénoncé l’incapacité du pouvoir à s’entourer d’autres avis que ceux de ses propres fidèles, reprenant un thème qu’avait développé voici quelques jours Martine Aubry, nouvelle première secrétaire du PS, lorsqu’elle avait comparé la façon dont le plan anti-crise a été élaboré en France et dans d’autres pays: Barack Obama, Angela Merkel, José Luis Zapatero, ont, eux, largement consulté leur opposition pour asseoir leur dispositif sur un consensus le plus large possible.
Le président du groupe socialiste a aussi dénoncé „l’atmosphère de cour qui est en train de se répandre du haut en bas de l’Etat“ sous la présidence de Nicolas Sarkozy, et la tendance du pouvoir à „faire taire tous les contre-pouvoirs“ en „refusant de reconnaître son échec“. M. Ayrault a en outre fait très clairement référence aux grèves et manifestations prévues pour demain et qui s’annoncent massives selon tous les indices: „N’entendez-vous pas, a-t-il demandé au premier ministre, monter le mécontentement et la colère du pays?“ Et les députés de gauche ne se sont pas fait faute d’interrompre plusieurs fois la réponse de M. Fillon ou l’intervention du président du groupe UMP, Jean-François Copé, d’une interpellation collective ironique: „A jeudi! A jeudi!“
A droite, on s’est surtout appliqué à développer le thème maintes fois utilisé ces dernières semaines: l’heure est grave, mais le gouvernement est au travail et „les Français, embarqués sur le même navire et traversant la même tempête, doivent se serrer les coudes“, pour reprendre la formule de M. Fillon. Lequel a par ailleurs déclaré que cette motion de censure était à la fois, pour le PS, un moyen de faire son retour sur la scène politique dont il était bien absent ces dernières semaines, et de „panser les blessures du congrès de Reims“. Quant à Jean-François Coppé, il a, lui, ironisé sur les „appels du pied du PS à l’extrême gauche, cette force politique à la fois totalement nouvelle et totalement ringarde“, ajoutant: „Nous avons un peu connu cela, nous, avec l’extrême droite, et nous verrons bien si vous êtes aussi solides pour refuser toute alliance avec l’extrême gauche que nous l’avons été avec l’extrême droite.“

Le consensusmenacé

Il n’est sans doute pas complètement faux de dire que les socialistes ont voulu, en déposant cette motion de censure, manifester qu’ils étaient de nouveau „au travail et en ordre de bataille“, comme l’avait annoncé Martine Aubry; et cela au risque d’illustrer aussi leur impuissance structurelle dans un système majoritaire verrouillé, et face à un pouvoir peu enclin au vrai dialogue. Mais le débat aura aussi fourni à François Fillon une bonne occasion de rappeler son existence à une scène politico-médiatique toujours occupée, voire fascinée en dépit des irritations, par le vibrionnant „omniprésident“, comme disait François Hollande.
Reste que le vrai rendez-vous semble désormais celui de demain, non plus dans l’hémicycle mais dans la rue. Cette perte de substance, de crédibilité, d’efficacité et peut-être même de dignité de la vie parlementaire française a de quoi inquiéter, tant à gauche qu’à droite, même si chacun des deux camps accuse l’autre d’en être le principal responsable. Comme l’a illustré l’incident de la semaine dernière qui avait vu (lors du débat sur la „nécessaire rationalisation du travail parlementaire“, comme dit le gouvernement, ou sur „la restriction, voire la suppression, du droit d’amendement“, comme l’assure l’opposition, l’un et l’autre en forçant un peu la note) des députés de gauche quitter spectaculairement l’hémicycle après être allé chanter la Marseillaise devant la tribune, comme aux temps héroïques …
Au-delà de l’échec annoncé de la motion de censure d’hier, et du succès probable du mouvement social de demain, que, selon les sondages, même les électeurs de droite assurent comprendre, c’est le fonctionnement même des institutions qui semble grippé. Nicolas Sarkozy avait pourtant assuré vouloir donner plus de pouvoir au Parlement, à mesure qu’il en prenait davantage pour lui-même, le grand perdant de ce rapprochement avec le système américain semblant devoir être le gouvernement. Mais c’est désormais la Ve République elle-même qui serait menacée, non certes dans son existence, du moins dans le consensus auquel elle avait abouti (grâce à … François Mitterrand et l’alternance de 1981, en fait), si l’idée devait finir par s’imposer que décidément, les vrais débats, ceux qui emportent les décisions, se déroulent dans la rue plutôt qu’au Parlement.
Tout cela sur fond de crise économique et sociale mondiale, et de montée d’une extrême gauche, trotskiste dit-on, en tout cas résolument anti-capitaliste, anti-réformiste et anti-européenne, qui compte bien occuper l’espace laissé libre par l’effondrement du parti communiste. Et ne faire aucun cadeau, non seulement à la droite comme il va de soi, mais aussi, voire surtout, à la gauche modérée.