/ Le mécontentement et l’inquiétudeprennent l’allure d’un raz-de-marée
La contestation sociale française aura connu hier une nouvelle journée record, avec la plus grande participation cumulée aux manifestations enregistrée depuis l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République, et même largement avant. Les estimations, comme toujours, divergent sensiblement selon qu’elles émanent du ministère de l’Intérieur, qui n’a compté que 1,2 million de manifestants dans l’ensemble de l’Hexagone, ou des organisations syndicales qui en ont recensé, elles, „plus de trois millions“.
Mais de toute façon, même en considérant que la vérité est quelque part entre les deux chiffres, même les sources policières donnent au bas mot 200.000 protestataires de plus que le 29 janvier, puisque tel était le précédent grand rendez-vous social d’importance nationale.
Du moins dans la rue, car il y avait eu, depuis, la table-ronde organisée à l’Elysée entre les différents partenaires sociaux, précédée d’une séries d’annonces télévisées faites par le chef de l’Etat. Mais si les syndicats ont décidé de renouveler hier leur démonstration de force, c’est justement parce que cette séance de concertation du 18 février ne leur a guère apporté que des déceptions et des frustrations.
Autre fait significatif: cette impressionnante marée humaine n’a pas seulement déferlé hier sur la capitale, avec sans doute au moins 300.000 manifestants, mais, encore plus que la fois précédente, sur pratiquement toutes les grandes et moins grandes villes de province. Tout particulièrement, bien sûr, là où des conflits, licenciements massifs ou fermetures d’entreprises – comme celle, annoncée, de Continental dans l’Oise – ont pris une ampleur particulière, et un retentissement national. Mais même dans des bourgades réputées paisibles et sans histoires, et en mobilisant des salariés dont certains, cadres notamment, ne sont pas des habitués des cortèges protestataires …
Sans doute les grèves ont été, elles, plutôt moins suivies qu’en janvier, où déjà leur relative modération contrastait avec la vigueur de l’opposition sociale exprimée dans les cortèges. Mais plusieurs remarques viennent nuancer cette observation. La première est que plusieurs syndicats avaient renoncé à y appeler partout, en particulier dans des secteurs pourtant d’une grande „visibilité” politique et médiatique comme les transports publics, afin de permettre à ceux qui souhaitaient se rendre sur les lieux des manifestations de le faire sans encombre.
Le secteur privétrès présent
En second lieu, et le phénomène sera sans doute analysé en détail dans les jours qui viennent, le secteur privé, lui, a participé plus massivement au mouvement, qu’il s’agisse des grèves ou d’ailleurs des manifestations. Alors que l’un des arguments sans cesse opposé aux syndicats par le pouvoir, la droite et le patronat, à l’issue de ce genre de journée, était jusqu’à présent que seul les fonctionnaires et assimilés, assurés de salaires relativement confortables et d’emplois garantis, en assuraient le succès.
Enfin, il n’est pas impossible en effet que le rôle de la grève soit en train d’évoluer en France, où elle a longtemps été considérée comme un simple recours de base, passablement systématique, fût-ce à simple titre „préventif“ ou „d’avertissement“, pour l’expression du mécontentement social, plutôt que comme un acte lourd de sens et à ne mettre en oeuvre qu’après avoir épuisé d’autres voies. Les salariés, qui sont dans leur masse beaucoup plus responsables qu’on ne le dit souvent du côté patronal, ont en outre conscience du fait que la période n’est pas propice à toute démarche tendant à affaiblir l’économie française.
Fillon: „Pas de nouveau plan de relance“
Mais l’ampleur de la démonstration collective d’hier montre bien à quel point la relative modération des grèves ne doit pas faire illusion: dans leur très grande majorité, les salariés (sans même parler des chômeurs, plus nombreux chaque jour) sont à la fois très inquiets, et très irrités par ce qui leur apparaît, au mieux comme la légèreté et l’attentisme du gouvernement, au pire comme une politique „de classe“, comme on aurait dit du temps du marxisme triomphant, en tout cas bienveillante aux riches et impitoyable aux plus modestes. C’est à cette inquiétude, et à cette irritation, que le premier ministre François Fillon a tenté, hier soir sur TF1, d’apporter quelques apaisements. Mais, tout comme dans les quotidiens nationaux du jour des placards publicitaires financés sur le budget de Matignon s’étaient appliqués à le faire, il s’est surtout borné à rappeler quelques acquis de la précédente séance de concertation … tout en marquant qu’il n’était pas question d’aller plus loin.
„Il n’y aura certainement pas de nouveau plan de relance“, a-t-il notamment déclaré, non sans déplorer que Martine Aubry, la Première secrétaire du PS qui avait mis en cause l’incapacité du gouvernement à répondre à l’inquiétude des Français, „essaie de faire croire que nous sommes dans une crise nationale alors que cette crise est mondiale, et qu’elle va conduire l’ensemble de la planète, cette année, à connaître une récession dont nous n’avions plus idée depuis 1945.”
Que fairedu succès syndical?
Assurant que les effets du plan de relance déjà annoncé n’allaient pas tarder à se faire sentir, et qu’il ne fallait pas compromettre les chances de la France de saisir toutes les chances d’un retour de la croissance, sans doute début 2010, M. Fillon a aussi assuré que le rôle de l’Etat, en la circonstance, „n’est pas de s’opposer à toutes les restructurations industrielles, mais de vérifier qu’elles sont économiquement justifiées.” Ce qui, a-t-il précisé, ne lui semble d’ailleurs pas être le cas pour Continental; mais il n’a pas évoqué le cas de Total et des 555 emplois détruits par le géant pétrolier français.
Les syndicats vont maintenant devoir réfléchir à ce qu’ils font de leur nouveau succès populaire. Car si ce succès n’est pas niable (et n’était d’ailleurs pas nié hier soir par la droite), le risque serait désormais pour eux d’apparaître comme plus aptes à mobiliser les salariés dans la rue qu’à faire avancer concrètement leur pouvoir d’achat ou la défense de leurs emplois.
Ils sont actuellement de plus en plus perçus, en France, et compte tenu des querelles internes qui continuent de paralyser le PS et de ternir son image, comme la seule vraie force d’opposition à un sarkozisme de moins en moins triomphant. Il leur reste à maîtriser cette importance nouvelle qu’ils sont en train de prendre, ou au moins de retrouver après une longue éclipse; et, plus encore, à l’utiliser efficacement.
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