L’espionnage global

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Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, l’Amérique entend dominer le monde. Elle ne l’a fait qu’à moitié jusqu’à la chute du Mur de Berlin. La mondialisation, elle, a consacré son triomphe.

Mais voilà, qui domine se fait nécessairement des ennemis. Il n’y a peut-être plus de guerre froide ni de guerre tout court, mais, planétairement parlant, la lutte pour l’hégémonie politique et économique bat son plein. Et dans elle, si pour le moment, on n’aligne pas des armées, ce qu’on appelle l’intelligence tient le haut du pavé. Autrement dit l’espionnage. Et, à l’ère du tout technologique, l’espionnage haut de gamme, technologique, sans agents secrets interposés.

Danièle Fonck

dfonck@tageblatt.lu

Cela fait partie des réalités. Il est donc étonnant de voir l’étonnement de ceux qui découvrent aujourd’hui, après les révélations du Spiegel, du Guardian, du Monde et d’autres journaux, alimentés par les confidences d’Ed Snowden, ce transfuge de la NSA, l’Agence de sécurité nationale des Etats-Unis, que nos amis américains mettent leurs yeux et leurs oreilles partout.

Partout, cela veut dire aussi dans les affaires des pays amis. On fait donc comme si l’on était étonné, voire franchement choqué, d’apprendre que Big Brother est allé butiner du côté des institutions européennes à Bruxelles, dans les couloirs et les conciliabules du G-20 aussi, et que la France, l’Allemagne ou l’Italie puissent être ses cibles favorites en Europe. On oublie par là que cela fait belle lurette que les bases d’interception de données de toutes sortes sévissent un peu partout dans le monde, et donc aussi en Europe, sous la houlette des Etats-Unis.

Une vieille histoire

Quand, en 1988, un journaliste écossais – la presse déjà – révéla que, sur le sol britannique, était installée une base d’écoutes de données, le fameux réseau Echelon, cela faisait plus de 40 ans que les Etats-Unis s’appuyant sur des alliés comme le Canada, l’Australie ou la Grande-Bretagne étaient à l’écoute de la planète, à l’insu, supposément, de tout le monde. Et si tout cela était censé viser l’Union soviétique et ses satellites, cela servait aussi, et surtout, à l’espionnage économique des pays dits amis, ceci pour garantir la suprématie américaine en la matière. A tel point que le Parlement européen a cru bon s’en inquiéter. Un rapport de l’UE décrivait alors comment les services d’intelligence américains interceptaient appels téléphoniques, fax et, plus tard, e-mails.

La suite, on la connaît. Deux résolutions du Parlement européen, de 2001 et de 2002, sont restées lettre morte. Les attentats de septembre 2001 à Manhattan étaient passés par là. George Bush pouvait clamer, sans que cela choque personne, que dans la guerre contre le terrorisme, les libertés individuelles pouvaient être mises hors circuit. La fronde contre le réseau Echelon était, solidarité oblige, enterrée.

Depuis, les progrès technologiques ont fait des pas de géant et les Etats-Unis, aidés en cela par des opérateurs comme Google, Skype ou Facebook, avec leurs banques de données personnelles gigantesques, peuvent contrôler l’ensemble des communications du globe. Cela dit, d’autres pays, dans cette course folle au cyber-espionnage, tentent timidement de leur emboîter le pas. La guerre technologique a donc de beaux jours devant elle.

Pourquoi alors, les pays visés aujourd’hui, la France et l’Allemagne surtout, montent-ils sur leurs grands chevaux et menacent même de compromettre l’adoption d’un imminent accord de libre-échange entre l’UE et les Etats-Unis? Que les oreilles américaines s’infiltrent dans les moindres recoins des chancelleries et des ministères européens, François Hollande et Angela Merkel le savent fort bien. Veulent-ils faire peser l’embarras de Barack Obama dans la balance des négociations pour imposer certaines exceptions dans l’accord?

Celui par qui le scandale est arrivé, Ed Snowden, attend entre-temps dans l’aéroport de Moscou qu’un pays veuille bien lui servir de terre d’asile. Héros – à l’instar d’un Julian Assange, figure emblématique de Wikileaks – pour les pourfendeurs des tendances liberticides qui hantent la planète, il n’est, pour l’administration américaine, qu’un vulgaire traître de la patrie. Et comme il n’a balancé que ce qui se savait déjà, du moins en haut lieu, les gouvernements européens ne se pressent pas au portillon pour l’accueillir dans leurs pays. Car, tout compte fait, ils lui reprochent, non d’avoir révélé un secret de Polichinelle, mais d’avoir dévoilé à l’opinion publique à quel degré tout ce qu’elle fait et dit est sous surveillance permanente. Et pour cela, chaque citoyen épris de liberté devrait le remercier. Il devrait, en outre, se souvenir que les amis aussi espionnent. Le premier pas s’appelant simplement „la rumeur“.