Livre de Colum McCannMille et une facettes de la vie et de la mort en terre d’Israël

Livre de Colum McCann / Mille et une facettes de la vie et de la mort en terre d’Israël
Le ciel de Gaza Foto: AFP/Jack Guez 

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Colum McCann est un écrivain irlandais, vivant essentiellement à New York. Avec „Apeirogon“ il nous donne un livre poignant sur la vie et la mort en terre d’Israël.

C’est un roman, donc une fiction, mais qui se base sur des histoires réelles surpassant les relations douloureuses entre l’Etat juif et les territoires palestiniens occupés. Le „peuple sans terre“ des survivants de l’abominable Holocauste a conquis une large partie de l’ancienne Palestine, sous mandat britannique après la fin de l’empire ottoman. Qui n’était pas vide, mais bien peuplée par des Palestiniens musulmans, chrétiens, druzes, bédouins et bien d’autres se revendiquant tous de la Terre sainte.

McCann ne refait pas l’histoire. Son livre est non partisan, mais très politique dans le sens noble du terme. Le titre „Apeirogon“ se réfère à une figure géométrique possédant un nombre infini de côtés. L’auteur n’essaye pas d’inventorier tous les côtés, toutes les facettes des relations entre les Israéliens („peuple de victimes“) et les Palestiniens („victimes des victimes“).

Il procède par petites touches, raconte en 1.001 chapitres et citations protéiformes une histoire „spectaculairement banale“ des destins entrecroisés de deux familles, l’une juive, l’autre musulmane. Rami Elhanan est israélien, juif, fils d’un rescapé de la Shoah. „Diplômé de l’Holocauste“, comme il dit de lui-même, il a fait la guerre du Kippour et en est revenu apolitique. „Il lisait les journaux pour être indifférent aux nouvelles.“ Jusqu’au jour où trois kamikazes palestiniens se font exploser dans une rue animée de Jérusalem. Parmi les victimes se trouve sa fille chérie, Smadar.

Refus de l’œil pour œil, dent pour dent

La tragédie le déboussole: „Qu’est-ce qui a pu pousser quelqu’un à être à ce point enragé, furieux, à bout, désespéré, bête, pathétique, pour se faire exploser à côté d’une fille qui n’avait même pas encore 14 ans?“ „Est-ce que tuer quelqu’un, tuer tous les Arabes me ramènera ma fille?“ „Est-ce qu’infliger une souffrance à autrui allégera la souffrance insupportable qui vous mine?“ Bassam Aramin est palestinien. Il a été dépossédé des biens de sa famille, a fait sept ans de prison pour avoir, à 16 ans, „agressé“ une patrouille militaire israélienne. „Je suis passé de la prison au mariage, allez comprendre.“ Il est resté militant pour la cause palestinienne, tout en devenant un adepte de la non-violence. „Je me suis rendu compte que nos adversaires (…) préfèrent la violence parce qu’ils peuvent l’affronter. (…) C’est la non-violence qu’il est difficile d’affronter, et ce, qu’elle provienne des Israéliens ou des Palestiniens, ou des deux. Elle les désarçonne.“ Sa fille Abir, dix ans, est mortellement touchée par une balle en caoutchouc tiré par un soldat de 18 ans, alors qu’elle sortait d’un magasin où elle s’était acheté des bonbons. Tout comme Rami, l’Israélien, Bassam, le Palestinien refuse le biblique „œil pour œil, dent pour dent“.

Les deux pères vont partager leur désespoir à travers le „Cercle des parents“, une bien réelle organisation „des endeuillés, Israéliens et Palestiniens, juifs, chrétiens, musulmans, athées“, bref „des être humains qui portent le même fardeau“. „Certaines personnes ont tout intérêt à maintenir le silence. D’autres ont tout intérêt à répandre la haine fondée sur la peur. La peur fait vendre, et elle fait les lois, et elle prend les terres, et elle construit des colonies, et elle aime faire taire tout le monde.“ (…) „Nous employons le mot sécurité pour faire taire les autres.“ „Ce sont les vivants qui enterrent les morts.“ Leurs deux enfants à jamais partis, les deux pères vont se faire les ambassadeurs du vivre ensemble: „Le désespoir n’est pas un plan d’action. C’est une tâche digne de Sisyphe que de susciter de l’espoir.“

„Un Etat, deux Etats, pour le moment peu importe – on met fin à l’Occupation et on commence à redonner une possibilité de dignité pour chacun d’entre nous“, clame l’Israélien: „Je suis juif. J’ai un grand amour pour ma culture et mon peuple, et je sais que dominer, opprimer et occuper, ce n’est pas juif. Etre juif, ça veut dire respecter la justice et l’équité. Aucun peuple ne peut dominer un autre peuple et obtenir la paix et la sécurité. L’occupation n’est ni juste ni soutenable. Et être contre l’Occupation n’est en aucun cas une forme d’antisémitisme.“ Le Palestinien donne écho: „Quand ils ont tué ma fille, ils ont tué ma peur. Je n’ai aucune peur. Je peux tout faire, maintenant. Un jour Judeh vivra en paix, cela viendra. Parfois j’ai l’impression qu’on essaie de prendre l’eau de l’océan avec une petite cuiller. Mais la paix est une réalité. Question de temps. (…) Est-ce que les Palestiniens ont tué six millions de Juifs? Est-ce que les Juifs ont tué six millions de Palestiniens? Les Allemands, eux, ont tué six millions de Juifs, et regardez, aujourd’hui il y a un diplomate israélien à Berlin et un Ambassadeur d’Allemagne à Tel-Aviv.“

Colum McCann jongle avec les sujets les plus divers, intègre dans ses mille et une histoires et anecdotes un tissu surprenant d’informations factuelles sur les routes des oiseaux migratoires passant par la Palestine, les barrages sur le Jourdain ou encore la chute inexorable du niveau de la mer Morte. Ou en appelant à la rescousse Einstein, la Colombe dessinée par Picasso et les souvenirs de J.L. Borges lors de sa visite en Israël. Où il découvrit „qu’il suffit de deux miroirs opposés pour construire un labyrinthe“. Le conflit entre Israël et les Palestiniens n’est pas sorti du labyrinthe. Mais le livre de Colum McCann est magnifiquement humain, avec son empathie constante pour „les plus fragiles, les moins glorieux“.

* Colum McCann: „Apeirogon“, Editions Belfond.