D’un bout à l’autre

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Grosses têtes et petites âmes

De nombreux chefs d’Etats et de gouvernements croient devoir snober les funérailles de Fidel Castro. Par idéologie peut-être ou alors parce qu’ils estiment que Cuba est déjà en train de réintégrer le giron américain. Ils ont tort. On peut désapprouver la ligne politique de quelqu’un et respecter l’homme. On peut même ne pas aimer quelqu’un et le respecter. Et, de surcroît, en politique mieux vaut avoir le sens de l’Histoire et se souvenir qu’au-delà de ses chefs, chaque peuple mérite le respect, a fortiori ce peuple admirable, courageux, fier, joyeux et si cultivé qu’est justement le peuple cubain.

Or, l’on oublie volontiers aujourd’hui que le „comandante“ a été obligé de faire la révolution pour débarrasser ses compatriotes de ce sinistre dictateur que fut Batista, libérer les Cubains du joug sous lequel ils vivaient, les soustraire d’une pauvreté extrême, leur rendre un minimum de joie de vivre. Certes, Castro a mal tourné par la suite, devenant le personnage autoritaire que l’on sait et qui a étouffé dans l’œuf toute critique, empoisonnant ses opposants et en en contraignant beaucoup à l’exil. Avait-il un autre choix? Oui, car quiconque a la liberté de la bonté, de la tolérance et de l’humanité, même si ces qualités se perdent dans ce monde où l’autoritarisme des faux grands et des petits durs est à la mode.

Pourtant Castro aimait par-dessus tout son peuple, son île et nul ne lui enlèvera jamais le mérite d’avoir su en préserver l’indépendance et donc la culture et à assurer aux Cubains un système d’éducation et de santé que certains pays occidentaux libéraux et dits civilisés pourraient envier encore en 2016.

N’est pas un mythe qui veut. Beaucoup s’y essaient en jouant des muscles et du verbe sans avoir cette personnalité hors pair, le sens du dévouement et l’amour des gens. Regardons simplement autour de nous. Nos politiques, nos associatifs, nos syndicats, nos peuples de réflexion, nos lobbies: aiment-ils ceux qu’ils disent servir? Se souviennent-ils encore qu’ils sont de simples serviteurs? Combien oublient que seul compte l’être humain, qu’il n’y a dès lors pas de recette unique, applicable à tous?

Nos chantres de la pensée unique, pour d’obscures raisons convaincus de disposer d’un savoir „all-round“ et d’être toujours dans leur bon droit qu’ils définissent eux-mêmes, sont-ils si différents d’un Castro qui, dix heures d’affilée, distillait ses leçons? Notre monde est entré dans une phase bien dangereuse. Non point parce que de nouveaux illettrés racontent n’importe quoi sur les réseaux sociaux. Mais parce qu’il n’y a presque plus d’élites dignes de ce nom qui pourraient tirer vers le haut des sociétés qui se nivellent vers le bas. Le manque de savoir-vivre est omniprésent; l’accès à la culture se complique tout en se démocratisant. A force de fausse égalité, l’école est confrontée à un terrible clivage et le succès du privé en devient l’expression flagrante. La classe ouvrière luttait avec dignité pour que ses enfants s’élèvent. Dans les nouvelles classes moyennes, trop nombreux sont ceux qui – parce qu’ils pensent posséder la science infuse – deviennent les acteurs d’un retour en arrière.

On est plus souvent confronté à la question de savoir qui aurait le pouvoir – mot magique pour naïfs – qu’à la question de savoir à qui et à quoi sert le pouvoir. Preuve que la médiocrité grignote de plus en plus de terrain. Signe aussi de la décadence de notre système démocratique. Et qui dit décadence dit effondrement.