/ Derrière l’euphorie
Danièle Fonck
dfonck@tageblatt.lu
Au Chili, le dernier accident a été négocié différemment. Pour la première fois. Non pas côté patronal, puisque les entrepreneurs des mines ont osé déclarer qu’ils ne paieraient pas les salaires de leurs ouvriers coincés au fond du gouffre. Plutôt du côté politique où le très médiatique président de la République a véritablement mis en scène le sauvetage en le programmant jusque dans le moindre détail.
Certes, il aura fallu un peu de temps pour creuser un conduit et construire la nacelle servant à remonter les mineurs. Néanmoins, le temps fut calculé de sorte à écrire un scénario précis: les familles furent sur place, les caméras de CNN, de BBC et même d’Al Jazeera furent installées pour filmer chaque remontée, chaque embrassade et capter chaque mot, le président – en look minier – fut à l’accueil, l’ordre de sauvetage – les beaux parleurs d’abord, les affaiblis ensuite, les costauds en derniers – orchestré, la fête devenant accessible à tout le pays, à tout le continent et au-delà à la terre entière.
Tel pour le mariage de Lady Di ou du prince Charles, le citoyen-téléspectateur globalisé fut associé à la victoire de l’homme moderne contre la Terre.
Au-delà de la joie
Point n’est besoin de se mettre dans la peau des familles concernées et moins encore dans celle des 33 mineurs pour partager l’émotion, la joie, le soulagement. Reste qu’au-delà de l’euphorie justifiée, bien des questions de fond demeurent et ne sont pas abordées.
Comment se fait-il qu’au XXIe siècle, des hommes doivent encore travailler dans des conditions quasi moyenâgeuses au péril quotidien de leur vie?
Pourquoi n’existe-t-il aucune règlementation internationale s’imposant à tous les exploitants de mine et concernant les conditions de travail, de sécurité et de santé?
Car ce qui est advenu au Chili hier, se reproduira demain en Russie, en Chine et ailleurs.
Qui dit mine dit enjeu financier et en l’occurrence, les sommes en jeu sont colossales. Cela explique peut-être l’envergure du spectacle qui a permis de détourner les questions pénibles et sans réponses.
Que deviendront les 33 demain, c.-à-d. dans six mois, dans un an, lorsqu’ils auront surmonté leur traumatisme? Qui aura subvenu à leurs besoins, à leurs frais, à l’absence de salaires entretemps? Dans quel secteurs seront-ils réaffectés ou sont-ils prédestinés à renforcer le nombre des chômeurs?
Ni le souriant président, ni son staff ne se prononcent pour l’instant. Il est à noter que nul image n’a montré ou simplement esquissé la tête d’un des responsables de la catastrophe, à savoir l’un des patrons ou actionnaires de la mine de San José.
La télévision est en ce sens un merveilleux outil qu’elle peut prendre à témoin la terre entière d’un événement important. Elle est d’autant plus dangereuse qu’elle permet de fixer l’attention sur un acte précis en occultant tout le reste et souvent ce qui importe réellement.
Nous a-t-elle rappelé que ladite mine avait déjà été fermée et qu’on avait dû y amener des travailleurs non syndiqués pour y travailler, les autres refusant de descendre?
L’issue du drame fut heureuse. L’inverse aurait pu se produire tout aussi bien. En aurait-on alors fait des gorgées chaudes pendant 38 jours?
Non, on n’aurait même plus fait le récit des funérailles!
- Pokal-Finalspiele - 23. Mai 2016.
- Untere Divisionen - 22. Mai 2016.
- BGL Ligue / Ehrenpromotion - 22. Mai 2016.