Passion livresUn été à Barcelone

Passion livres / Un été à Barcelone
Milena Busquets Photo: Catherine Hélie Gallimard

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En 2015, la romancière espagnole Milena Busquets connaissait le succès grâce à son premier titre „Ça aussi, ça passera“, remarqué à la Foire de Francfort et rapidement traduit dans une trentaine de langues. Elle y racontait l’été vécu par une jeune femme juste après la disparition de sa mère, en compagnie d’une kyrielle de joyeux lurons – enfants, nounous, ex-maris, amies, amants de passage – dans la maison de vacances familiale de Cadaqués. „Gema“, son deuxième roman traduit en français, prolonge le premier par le même mélange de mélancolie et d’insouciance feinte, les mêmes réflexions tout en finesse sur la filiation, l’amitié, la perte, le désamour.

La narratrice, une quadragénaire célibataire, est partagée entre son quotidien d’écrivaine, ses deux fils nés de pères différents et son amant comédien que tout le monde lui envie, mais qu’elle commence à trouver légèrement encombrant. Un souvenir lointain surgit à l’improviste, celui d’une camarade de classe du Lycée français de Barcelone, morte à 15 ans, foudroyée par une leucémie. La figure de Gema, avec son teint pâle et sa chevelure noire somptueuse, envahit jusqu’à l’obsession les pensées de son amie d’adolescence, qui se lance dans une enquête sur les traces de la disparue – et donc, par ricochet, dans un récit de deuil, étrangement porté par une sorte de légèreté nonchalante.

Née à Barcelone en 1972, Milena Busquets est décidément une romancière solaire, fascinée par les promesses – rarement tenues – d’un été qui ne s’achève jamais: „Il ne faisait pas encore trop chaud, mais je savais, comme l’amiral Boom de Mary Poppins, que le vent était sur le point de tourner. La vie fonçait vers l’été, la seule saison absolue qui n’était dans l’attente de rien.“ Au fil de l’enquête qui piétine, le temps ondule et se dilate, à l’instar de ce trajet en taxi jusqu’à Montjuïc qui semble à la fois „ne pas avoir de fin et durer un clignement d’yeux, comme toutes les choses importantes“. 15 ans, c’est l’âge où „nous savons déjà tout ce que nous saurons sur l’amitié, nous ne nous améliorons pas en tant qu’amis, nous ne pouvons qu’empirer. L’amour sentimental peut sans doute s’améliorer avec le temps, mais pas l’amitié, l’amitié atteint sa plénitude radieuse et absolue pendant l’enfance“.

Grande admiratrice de Proust, Milena Busquets écrit de belles pages sur la mémoire, ce „remue-ménage perpétuel et traître“, ce „jeu de pousse-pousse“ qui ne s’arrête jamais, puisque „dans le fond nous ne gardons en tête que bien peu de choses, trois ou quatre, tout le reste nous l’inventons ou l’empruntons“. Tout comme „Ça aussi, ça passera“, „Gema“ est un récit doux-amer sur la difficulté de savoir à quelle distance exactement on veut vivre par rapport à ceux qui s’en vont et à ceux qui restent. Chez Milena Busquets, il n’est point question de réparation ou de consolation, encore moins d’oubli, car chaque été qui passe – chaque page que l’on tourne – est là pour confirmer que nous sommes davantage ce que nous avons perdu que ce que nous avons pu préserver.

Corina Ciocârlie

Milena Busquets

„Gema“
Traduit de l’espagnol par Robert Amutio
Gallimard, 2021
144 p., 14,50 €