Entretien„Workingmen’s Death“ à l’italienne

Entretien / „Workingmen’s Death“ à l’italienne
Les frères de Serio

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C’était pendant la 77e édition de la Mostra cinématographique de Venise que fut présenté „Spaccapietre“ ou „Una promessa“ des frères Gianluca et Massimiliano de Serio pendant les „Giornate degli autori“, une sélection hautement intéressante indépendante de la sélection cinématographique officielle.

„Spaccapietre“ raconte la triste histoire d’un père et de son fils vivant dans la région des Pouilles qui doivent faire face à la perte de leur femme et mère. Une jeune femme qui vient justement de mourir sur le champ comme journalière. Le père est sans le sou, qui ne peut plus travailler à son ancien poste à cause d’un accident qui lui a presque coûté la vue. Il se voit prendre le chemin de sa femme. Il promet à son fils d’aller retrouver sa femme. Ensemble, ils débarquent aux champs au milieu de travailleurs immigrés clandestins d’un côté et de caporaux criminels de l’autre, qui mènent le camp avec une poignée de fer.

Le nouveau film des frères de Serio n’est pas un film pour les âmes fragiles. „Spaccapietre“ est une œuvre qui ronge les cœurs de tous ceux qui restaient dans le déni de certaines réalités contemporaines. Le long-métrage des deux réalisateurs est bien sûr ancré dans une tradition du cinéma italien qui fait référence au film néoréaliste des années d’après-guerre et le film politique des années 60 et 70, mais il n’en reste pas moins d’une contemporanéité alarmante. Et même si la tristesse du regard de l’enfant est au milieu de l’œuvre, c’est ce même regard, combiné à celui des réalisateurs, qui permet au film de trouver des moments merveilleux, emprunts d’un réalisme magique touchant. Ce sont ces moments qui font de „Spaccapietre“ plus que la somme de ses parts glauques et désespérantes.

Nous avons rencontré Gianluca et Massimiliano de Serio lors du festival de Venise pour discuter d’histoire orale, parler du renouveau du cinéma italien contemporain, de son intérêt pour la vie rurale, évoquant aussi comment les deux réalisateurs se positionnent face à la réalité des travailleurs rencontrée au long du projet.

Tageblatt: La violence du film est malheureusement quotidienne et réaliste. D’où venait votre urgence de vouloir ajouter la réalité de cette violence à l’histoire de deuil?

Gianluca de Serio: Le cinéma est un travail sur l’image et le son. C’est en quelque sorte un travail de visibilité. Pour faire un portrait d’une réalité cachée, qui existe pourtant dans notre société, il nous fallait être vraiment réaliste afin de porter cette invisibilité à la lumière.

Massimiliano de Serio: Et pourtant, ça n’est jamais assez. Parce que la réalité est bien pire.

G. d. S.: Evidemment. Ce qu’on voit au cinéma reste toujours une stylisation, une synthèse de la vie.

A quel point avez-vous réalisé que ce que vous faites ressortir à la lumière du jour a quelque chose de fabuleux?

M. d. S.: La clé du film pour nous – et ça a été comme ça depuis la conception jusqu’à sa mise en scène et au montage – était toujours le gamin, son regard, sa place et son rôle porteur de l’histoire. Ça nous paraissait normal de mélanger tout ça et de mettre le film dans cette suspension entre le réalisme et le regard de l’enfant. Un enfant qui est en train de changer complètement de vie après une sorte de transition violente après la mort de sa mère. Tout est mélangé dans son regard et son désir de retrouver cette même mère. Un désir impossible. Pour nous c’était presque un automatisme que de vouloir entrer dans la profondeur de la réalité grâce au regard visionnaire de l’enfant. Mais de l’autre côté on ne cherchait pas à s’adonner à un registre précis, puisqu’on n’aime pas vraiment les films qui donnent des réponses toutes faites et définitives au niveau du message, du contenu ou du style. Pour nous, faire un film est le fruit d’une recherche très complexe et nous voulons rendre justice à cette complexité en gardant toujours un esprit de découverte, qui équivaut en sorte à celui du spectateur.

„Spaccapietre – Une promessa“ est donc aussi une histoire de coming-of-age?

G. d. S.: Si l’on considère le personnage du gamin, l’on se rend compte qu’il fait un parcours qui n’est pas un parcours en avant classique, mais au contraire un parcours en arrière. Il ne devient pas plus grand au cours de la route, mais peut-être plus spirituel.

Un regard en arrière pour vous aussi? Si j’ai bien compris il s’agit aussi d’une part de l’histoire (restée invisible) de votre famille à vous.

M. d. S.: Oui, c’est un film archéologique pour nous, dans le sens où on va en arrière pour fouiller dans le sous-terrain des ruines de notre identité familiale. On y a retrouvé notre grand-mère qui était une travailleuse saisonnière à la campagne dans une situation d’exploitation similaire à celle que vivent nos personnages. Le garçon du film nous aide à entamer notre propre parcours en arrière en mettant notre passé devant nous.

Comment avez-vous réconcilié ces deux volets? Le volet de l’histoire orale qui vous a été transmis avec la réalité recherchée d’aujourd’hui en préparation du tournage.

M. d. S.: C’était progressif. On a lu dans des articles dans des journaux sur une femme qui travaillait à la campagne et qui était morte en travaillant dans le champ. Tout de suite on a fait le lien avec l’histoire de notre famille. Notre grand-mère est morte dans les champs dans les années 50 en étant enceinte de jumeaux. On a immédiatement voulu construire une histoire autour. Après, on a décidé de faire des repérages sur les lieux et on est rentré littéralement dans cette réalité contemporaine avec un voyage dans les ghettos où habitent les travailleurs saisonniers. On se voyait confronté à une exploitation sans fin. La construction de l’histoire à deux niveaux temporels nous semblait finalement nécessaire.

Le retour à la campagne est un vrai leitmotiv du cinéma italien contemporain. „Semino il vento“ de Danilo Caputo (présenté à la Berlinale et à Villerupt aussi, ndlr) a aussi comme thème la relation entre les humains et la nature. D’où vient ce renouveau?

G. d. S.: Le cinéma italien s’est très longtemps concentré sur la vie bourgeoise. Très loin de la vie, si on veut. Peut-être parce que les réalisateurs sont tous bourgeois eux-mêmes et racontent des histoires issues de leurs vies. Mais je pense que les jeunes réalisateurs d’aujourd’hui – après 20 ans de Berlusconi tout de même – ont envie de sortir de la ville. Ils voient la nature et la campagne comme une part invisible de leur pays. Et peut-être quelques-uns – et nous nous voyons ainsi – voient cette ambiance sous un angle politique et pas exotique. Il y a ceux bien sûr qui romantisent cette campagne. Mais nous croyons que cet univers rural est plein de contradictions. Il y a la beauté mais aussi plein de saleté.

Vous deux êtes des hommes urbains trouvant un refuge dans la province?

M. d. S.: Nous sommes des enfants de la ville qui habitent la ville avec des ancêtres venus de la campagne. Ces racines font de sorte que la lutte des droits des travailleurs et la notion de pauvreté sont restés en nous. On vit une vie bien meilleure que nos grands-parents et nos parents. Mais en même temps on a beaucoup d’intérêt à travailler sur des histoires de gens dans lesquels nous nous reflétons. C’est pourquoi notre vision de la campagne ne sera jamais la vision de la campagne comme lieu de fuite de la ville où l’on cherche à restaurer l’âme et à retrouver la paix. Ce n’est pas une image heureuse où on habiterait une villa, un lieu de villégiature paisible.

Comme vous l’avez dit, votre film ne donne pas des solutions et réponses faciles sur ses personnages et les réalités rencontrés. Comment voyez-vous le futur des travailleurs saisonniers?

M. d. S.: Ce n’est pas une réalité uniquement italienne. Je suis presque sûr que c’est également le cas au Luxembourg. Les travailleurs saisonniers et l’exploitation sont partout. La dimension s’empire une fois qu’on jette un regard en Amérique du Sud ou en Asie. L’argent est partout et s’en fiche du travailleur. C’est vrai que chez nous les racines historiques sont très visibles dans la forme très italienne – celle du Capralato – qui se manifeste récemment par des projets politiques avec une conscience pour les travailleurs, une sensibilité des consommateurs et des médias indépendants. Tout cela sont des pas dans la bonne direction. Mais ces pas ne vont pas résoudre les conflits et la violence avec laquelle les gens se voient confrontés sur place. Je ne suis pas encore très optimiste.

G. d. S.: Il nous faut un changement de regard. J’utilise la terminologie du regard très consciemment. Aussi dans le contexte du film où le regard reste primordial. C’est le regard qui change et qui fait son parcours. Mais je pense aussi que c’est le travailleur qui détiendra la solution. Et qui sait, peut-être que cette solution sera violente.

Infos

Les projections dans le cadre du Festival du film italien de Villerupt:
le vendredi 30 octobre à 18.30 h au MJD Audun-le-Tiche
le samedi 31 octobre à 17.00 h au Cinéma Paradiso
le jeudi 5 novembre à 13.45 h au Cinéma Rio
et le vendredi 6 novembre à 18.00 h au Kinepolis-Longwy

Le film a également eu une sortie nationale en France. Il est par exemple au programme au Scala à Thionville demain jeudi 29 octobre ainsi que le mardi 3 novembre à 20.00 h.