Mahtab GhorbaniUne vie sur la ligne blanche

Mahtab Ghorbani / Une vie sur la ligne blanche
En résidence pour deux mois à l’abbaye de Neumünster, le temps de mettre un point final à un roman, Mahtab Ghorbani goûte le calme et la sécurité Photo: neimënster

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Lors des portes ouvertes à l’abbaye de Neumünster ce samedi 18 juin, l’écrivaine iranienne Mahtab Ghorbani partagera avec le public des extraits du roman qu’elle est en train d’achever lors de sa résidence dans le Grund. Il y sera question des prisons iraniennes où tant d’intellectuelles ont connu l’isolement et la torture. Portrait sur le vif. 

„Mon cerveau fonctionne très bien ici.“ Depuis qu’elle a pris ses quartiers à l’abbaye de Neumünster pour une résidence de deux mois, Mahtab Ghorbani se sent en sécurité comme jamais. Et elle n’est pas loin de goûter au maximum de liberté qu’elle n’ait jamais éprouvée en trente-neuf ans d’une vie contrariée. Avant 2016, année de sa fuite clandestine d’Iran, elle n’a connu que le régime islamiste qu’elle qualifie volontiers de totalitaire, tant il entend régenter la vie des citoyens et faire taire les insoumis.e.s. Née et élevée dans un milieu intellectuel, rédactrice dès 8 ans de son journal intime, elle avait tôt les prérequis pour ne pas plaire au régime.

Son cas a commencé à s’aggraver lorsqu’à dix ans, un écrivain ami de sa mère, après avoir lu un de ses travaux d’école, y décèle un talent pour l’écriture et lui fait promettre de poursuivre dans ce domaine. „Depuis ce jour, j’ai voulu être écrivaine“, dit-elle. Elle se met à dévorer en cachette les uns après les autres les titres de la bibliothèque maternelle, à commencer par „Germinal“ d’Emile Zola en poursuivant avec des livres que le régime a censurés, les considérant comme des poisons pour la jeunesse, ainsi „La mère“ de Maxim Gorki ou „La chouette aveugle“ de Sadegh Hedayat pour ne citer qu’eux. Elle écrit des poèmes puis, à la majorité, poursuit la flamme du combat politique qui avait déjà mené ses parents en prison. 

La prison, instrument du régime

En Iran, c’est à la taille de la prison que l’on mesure l’intensité intellectuelle d’une ville. Téhéran, „ville rebelle et très vivante, aux deux visages, celui de la pauvreté et celui de la richesse, comme Paris“, en possède une immense. Et on n’en ressort pas toujours, sauf comme fut l’un des derniers artistes à l’expérimenter, le poète de 43 ans, Baktash Abtin, proche de Mahtab Ghorbani, en ce début d’année. L’écrivaine iranienne de 39 ans a connu son premier séjour en prison en 2003. Elle avait donné des interviews et lu des poèmes sur la version persane de la chaîne américaine „Voice of America“. C’est en prison qu’elle a compris toute la justesse d’une blague qui dit mieux que les longues déclarations l’arbitraire qui caractérise la Justice et ses mouroirs que sont les prisons: „Une prisonnière demande un livre à un responsable de la bibliothèque de la prison. Il lui répond: On n’a pas le livre, par contre on a son auteur.“

C’est ensuite, lors du mouvement vert de contestation de la réélection du président Ahmadinejad en juin 2009, qu’elle est envoyée une seconde fois en prison. Pour un séjour plus court de six mois cette fois. Mais c’est pour avoir écrit un personnage bien plus charismatique, à savoir l’ayatollah Khomeini en personne, qu’elle fera un troisième séjour plus long quelques années plus tard. Dans ce puissant texte, rédigé en farsi, et publié en 2021 dans le livre „Mille vies inachevées“, elle parle d’un homme venu semer le désespoir dans son pays: „Oui, quelqu’un est venu/qui ne ressemblait à personne/et dont les mains sentaient la mort/et la noirceur de son aba/était aussi vaste que notre terre joyeuse/tellement vaste qu’elle s’est abattue/sur la chevelure de toutes les filles de ce pays.“

La détention ne l’a pas dissuadée d’honorer les invitations aux lectures et c’est avec des coups sur la tête que  des sbires du régime lui ont fait comprendre qu’elle devait renoncer à son art si elle voulait rester dans son pays. Pour protéger sa fille, elle décide de franchir la frontière avec un passeur en 2016. Via la Turquie et l’Italie elle arrive en France, où elle est accueillie par un nouvel enfermement. Celui d’une chambre de 6 m2 au camp de réfugiés d’Ivry-sur-Seine. L’expérience fut rude, mais unique. Avec les mots qui sont devenus „la matière de [sa] vie“ elle pense un jour écrire un texte qui porterait pour titre le numéro de sa chambre: 119. Elle y compterait la misère et la solidarité, et une ouverture à l’autre comme elle n’en avait jamais connue auparavant, faite de personnes et de situations qui ne se rencontrent que dans ce milieu fermé.

Pour l’heure, elle achève un autre livre à l’abbaye de Neumünster. C’est un roman qui repose sur une base documentaire solide, près de 400 entretiens avec d’anciennes prisonnières ou leurs proches, qui éclaire la situation des détenues politiques en Iran. Cet ouvrage écrit en farsi, qui sera traduit en français, ne sera bien évidemment pas autorisé en Iran, pas plus que ses précédents qui s’y vendent sous le manteau. D’ailleurs, même avec l’obtention du statut de réfugiée, elle doit rester sur ses gardes. Plusieurs exemples montrent que le régime iranien a le bras long et que dans le pays où l’ayatollah Khomeini était en exil avant de s’emparer du pouvoir en 1979, elle n’est pas forcément à l’abri d’une mauvaise aventure. D’autant plus depuis que le régime iranien s’est souvenu de son nom, à la suite de la mort de Rouhallah Zam, un opposant iranien virulent, réfugié à Paris, auteur d’un site d’information auquel elle a collaboré, et finalement tombé dans un guet-apens en Irak, et pendu après un passage en prison. 

Elle a alors dénoncé dans la presse cette volonté étatique de tuer pour dissuader les opposants au régime. Ce sont les mots qu’utilisait également Amnesty International à l’issue des manifestations de novembre 2018, violemment réprimées. Cette violence, c’est un secret de la longévité du régime. „Il y a un régime totalitaire et religieux. A chaque fois que les gens allaient dans la rue, il les tuaient“, répond-elle quand on lui demande pourquoi les manifestations n’obtiennent pas satisfaction. Mais ce n’est pas la seule raison, selon Mahtab Ghorbani. „Ensuite, les pays du monde ont beaucoup aidé le régime iranien.“

Si elle est partie pour sa fille, Mahtab Ghorbani espère revoir l’Iran rapidement. La langue lui manque. „Ma valise est prête“, dit-elle. Et si dans ce pays qu’elle retrouverait alors, les lieux de torture que sont les prisons pouvaient devenir des centres culturels comme ce fut le cas de Neimënster, alors ce sont des phrases d’allégresse qui viendraient désormais inonder ses carnets. 

Au programme

Lors des portes ouvertes de l’abbaye de Neumünster dédiées aux résidences d’artiste ce samedi 18 juin, Mahtab Ghorbani lit des extraits de son ouvrage en cours de réalisation à 17.00 h. La chorégraphe Anne-Mareike Hess présente pour sa part le documentaire „Le corps en état d’urgence“, réalisé par la journaliste Anne-Laure Rolland et le photographe Bohumil Kostohryz (15.00 et 16.30 h). Il y aura aussi des workshops: Álvaro Marzán („Introduction à la couleur“, 14.30-16.00 h), Viktoryia Bahdanovich („Couronnes de fleurs“, 15.00-18.00 h), Antoine Grimée („L’univers de la bande dessinée“, 15.00-18.00 h) et Maryna Zaitseva („Entre peinture et photographie“, 15.00-18.00 h) … et d’autres rencontres et vernissages. Programme complet: www.neimenster.lu.