„Berlin Alexanderplatz“ / Un nouvel anti-héros de cinéma

Burhan Qurbani
Dans son adaptation du roman-culte, Burban Qurbani transpose l’histoire d’un homme invisible; englouti dans un univers de parias et de petits criminels, dans un contexte très actuel. Entretien.
Tageblatt: Y avait-il une urgence à faire ce film?
Burhan Qurbani: J’ai lu le roman à l’âge de 17 ans. Il fait partie de mon être conscient et inconscient. Quand je suis venu à Berlin, j’ai emménagé près du Parc Hasenheide, très bourgeois, avec un cinéma, un mini-golf, une plaine de jeux pour enfants et une communauté noire vivant dans la pègre. Je voulais filmer ce lieu. Mais j’étais sûr que ce film allait sans doute être applaudi et très vite oublié. Si vous partez d’un pan de l’histoire de la littérature allemande et que vous y imprégnez une histoire contemporaine, l’aspect culturel ne pouvait être ignoré. C’est peut-être une provocation. Mais je pense que cela marche.
Le personnage de Francis dans le roman est un marginal, traumatisé par Verdun, condamné pour avoir tué sa femme. Sorti de prison, il arrive avec un petit bagage dans la ville et tombe dans la pègre. Comme Francis dans mon film, il tente de faire partie de la classe moyenne mais n’y parvient pas. Tous deux sont invisibles, engloutis dans un univers de parias, de petits criminels. Ils veulent avoir un statut social et en fait ils se rendent compte qu’il recherchent, non pas les promesses superficielles de la société, mais une place légitime, un „chez soi“. En Allemagne, 20% de la population sont d’origine étrangère. Ceux qui ont peur des migrants aujourd’hui ont tort. Ils sont déjà venus. Le monde est globalisé. Les migrants ont laissé des traces dans d’autres cultures. Les pays touchés par l’immigration ont un nouvel ADN. C’est la façon la plus belle de vivre dans une société meilleure, tournée vers le futur.
Le monde est globalisé. Les migrants ont laissé des traces dans d’autres cultures. Les pays touchés par l’immigration ont un nouvel ADN. C’est la façon la plus belle de vivre dans une société meilleure, tournée vers le futur.réalisateur
Le roman comme le film de Fassbinder sont des œuvres majeures de la culture allemande. Avez-vous hésité d’en faire une adaptation cinématographique?
Je n’étais pas conscient de ce que je faisais. Nous ne pensions pas avoir les droits (ndlr: le fils d’Alfred Döblin a donné son accord). Tout s’est fait pas à pas. J’avais des cauchemars. En voulant une version contemporaine, nous avons changé la couleur de peau de Franz mais aussi son être intérieur. Nous étions convaincus que le public et la presse allaient nous détester. Cette appréhension nous a libérés et poussés à mener notre projet jusqu’au bout. Francis, lui aussi, tient bon. Je n’étais pas tellement inspiré par le film-série de Fassbinder. J’ai grandi avec le nouveau cinéma, celui de Coppola, Scorsese. Leurs films racontent des histoires d’immigrants. Ils utilisent les clichés pour en faire quelque chose de neuf. Cela aide à penser. Enfant de la Seconde Guerre mondiale, le point de vue de Fassbinder est beaucoup plus allemand. Le livre de Döblin, écrit en 1929, se termine par l’émergence du régime nazi. Nonante ans après, nous avons trouvé d’autres pistes de réflexion, autour de l’immigration.
La culpabilité occupe une place centrale …
Francis est une victime post traumatique. Il survit alors que sa femme meurt dans la mer. Il a le sentiment de l’avoir tuée. D’où la culpabilité du survivant. J’éprouve ce sentiment envers ma famille. Je suis né en Allemagne. Mes parents sont venus dans la République fédérale en 1980. A cette époque, les immigrés afghans étaient les bienvenus. Quelques années plus tard, la plupart de mes proches ont dû aller dans des camps de réfugiés, au Pakistan, en Iran. Beaucoup se sont battus pour arriver en Europe. Je n’ai pas connu cet enfer. J’éprouve une certaine culpabilité par rapport à cela. Je ne mérite pas ce que j’ai reçu. C’est pourquoi je me suis beaucoup investi dans le film autour du concept de la culpabilité. J’exerce le plus beau métier du monde puisque je peux mettre cette souffrance dans la fiction, l’évacuer sur le plan personnel et donner une chance au public de participer à l’émotion. Alfred Döblin, d’origine juive, s’est converti au catholicisme. Dans son roman, il aborde la culpabilité avec bienveillance. Il y a beaucoup de subconscient dans un travail artistique.
Francis veut plus qu’un lit et un sandwich …
Reinhold a des envies matérialistes de l’Ouest: une voiture, des petites amies, l’argent … Francis, lui, a besoin de vivre. Son orgueil est de dire: „Je n’appartiens pas à la marge, mais au cœur de la société.“ Il survit. Il continue d’apprendre et de vouloir grandir de manière décente dans un monde indécent. Il se bat, il a une petite amie allemande, il décide de s’appeler Franz. Il dira: „Je suis le rêve allemand. Je suis l’Allemagne.“ Lorsque nous avons pris la décision de prendre un personnage blanc et un personnage noir, nous nous engagions dans une histoire post coloniale. Toutefois, notre film a une couleur politique plus profonde. Quand Francis sort de prison, il retrouve sa fille, miraculeusement vivante. Même si cela s’apparente à un conte, cet enfant, mi-blanc, mi-noir, représente un futur possible, une nouvelle vie. Nous avons choisi une fin utopiste. Un symbole d’espoir.
Le film

Francis (Welket Bungué), originaire de Guinée Bissau, a survécu à un naufrage en tentant d’atteindre l’Europe. Son désir est de vivre une vie normale, de ne pas se sentir comme un „réfugié“. Il se retrouve à vivre à Berlin sans papiers, sans droits et travaillant illégalement. Jusqu’à ce qu’il rencontre Reinhold (fabuleux Albrecht Schuch), un psychopathe accro au sexe, trafiquant de drogue dans le parc Hasenheide. Francis est noir, immigré. Il tombe dans le milieu des dealers de drogue et de la prostitution. La rencontre avec deux femmes, Eva, l’Africaine, et Mietze, l’Allemande, poussera Francis à essayer de garder foi dans ses intentions de rester bon, persistant à (se) dire que rien n’est joué.
Peut-on choisir son destin? La rédemption est-elle possible? Après la série télévisée fleuve de Rainer Werner Fassbinder (1980) (1), le réalisateur allemand Burhan Qurbani adapte à son tour le roman d’Alfred Döblin. Fils de réfugiés afghans et conscient de la difficulté de la vie en dehors de ses racines, le cinéaste apporte une vision contemporaine, quitte à prendre le risque de favoriser le stéréotype raciste selon lequel un Noir, immigré, ne peut finir que dans la pègre. Ce long film (trois heures) en cinq parties, ovationné à la Berlinale 2020, est une occasion pour Qurbani de mener – et partager – une réflexion intense sur les relations entre pouvoir, amour et vie. Dans une Allemagne moderne et multiculturelle.
Le roman a d’abord été adapté à l’écran, en 1931, par Piel Jutzi avec Heinrich George dans le rôle de Franz Biberkopf.
C. Le B.
„Berlin Alexanderplatz“ de Burhan Qurbani. Avec Welket Bungué, Albrecht Schuch, Annabelle Mandeng.
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