Sonntag2. November 2025

Demaart De Maart

There is no alternative: Rentrée littéraire avec deux tragédies contemporaines

There is no alternative: Rentrée littéraire avec deux tragédies contemporaines

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Shakespeare ne passe jamais de mode – l’année dernière, la metteure en scène Myriam Muller nous avait gratifié d’un excellent „Mesure pour mesure“ et à partir du 17 octobre, Othello est à découvrir au Grand Théâtre dans une co-production luxembourgeoise. La pérennité de Shakespeare sert aussi de cadre intertextuel polyphone à deux productions romanesques de cette rentrée, qui utilisent la mise en abyme du grand auteur pour faire vibrer des similitudes avec notre époque.

L’hiver du mécontentement 

Nous sommes à Londres à la fin de l’année 1978. La ville est lestée par le froid, les grèves et le chômage. Candice fait partie d’une troupe de théâtre exclusivement féminine – les Shakespearettes, parce que toutes femmes qu’elles sont, elles ne peuvent se définir que par rapport à un grand homme, semble dire Thomas B. Reverdy – qui va mettre en scène un „Richard III“ dans lequel Candice tiendra le rôle éponyme.

Au cours des répétitions quotidiennes dans le théâtre Warehouse, dans le contexte d’une Angleterre souffrant de chômage et de grèves, un jour, Candice rencontrera Margaret Thatcher qui, jusqu’à son apparition en chair et en os vers le milieu du roman, n’est jamais évoquée que par des périphrases („la dirigeante du Parti conservateur“), comme si la nommer était déjà lui accorder trop de place, comme s’il fallait repousser, comme dans le „Tartuffe“ de Molière, le moment de son entrée en jeu. Si Thatcher se montre en compagnie de membres de la Royal Shakespeare Company, ce n’est évidemment pas à cause de son intérêt pour ceux qui défendent et propagent l’héritage du grand génie britannique mais parce que, se préparant pour sa campagne électorale, elle cherche à se débarrasser de son accent „pointu“ de fille d’épicière.

Puisque le Sun avait désigné l’hiver 1978-79, avec sa montée en flèche du chômage et ses grèves incessantes comme l’hiver du mécontentement, expression-clé elle-même issue de la pièce de Shakespeare, Reverdy a sauté sur l’occasion pour tisser un roman polyphonique où se croisent documentations historiques (un chapitre est intégralement constitué de titrailles de journaux d’époque, un autre propose un abécédaire de la politique (post-)thatchérienne), destins fictionnels inventés et analyse de la pièce de Shakespeare, le roman amalgamant leçons sur l’emprise et l’attirance du pouvoir façon Machiavel et invention fictionnelle pour une œuvre intertextuelle qui dit que politique et théâtre, c’est un peu la même chose.

Ce texte choral est d’actualité parce qu’il trace, avec l’avènement de l’ère Thatcher, le début d’une conception radicale de la politique telle qu’elle se pratique aujourd’hui encore à tous les niveaux, une politique qui caresse dans le sens du poil les riches et qui blâme les pauvres. Il est d’actualité encore parce qu’il montre aussi le début de la fin d’une certaine gauche, le sentiment de trahison et d’abandon que vécurent des ouvriers qui par la suite tourneront vers une droite sans autre programme que celui, passif, de voir leurs rivaux socialistes prendre l’eau et d’attendre les rescapés avec des vestes de sauvetage en nombre bien trop limité. Il est d’actualité enfin parce qu’il met le doigt sur le moment où la politique est devenue une machine rhétorique, un gigantesque coup de pub plus qu’une façon de gouverner pour améliorer nos conditions de vie.

C’est là la force du texte: la façon dont il parvient à faire tenir sa polyphonie par un sujet de la prime importance. Mais c’est là aussi une de ses faiblesses principales: car „L’hiver du mécontentement“ est un roman dont le sujet est plus grand que ce qu’il parvient à accomplir. La diversité du roman fait négliger à Reverdy les personnages dont il peuple sa fiction, qui demeurent en fin de compte moins convaincants que les analyses historiques. Certes, il y a Candice, la comédienne qui veut s’échapper d’un destin familial génétiquement pré-tracé par une brute de père, une mère soumise et une sœur qui répète le mode de vie de ses parents là où Candice répète des pièces de théâtre.

Mais son personnage s’empêtre dans des clichés – par exemple dans ce passage de focalisation externe où un narrateur omniscient commente son désir de solitude qui ne serait évidemment qu’un désir d’amour. Et il y a Jones, le musicien un peu bohème qui vivote de boulot en boulot et dont Reverdy écrit, à la fin, qu’il est à bout, ce dont on ne se rend pas vraiment compte puisque l’auteur ne s’en occupe pas vraiment. Voulant tout faire à la fois – analyse politico-sociologique renforcée par un commentaire de texte et exemplifiée par des destins romanesques –, Reverdy ne fait que gratter à la surface. Par ailleurs, côté langue, là aussi, ça reste assez plat: l’auteur recourt trop souvent aux mêmes artifices – des constructions de phrases anaphoriques pullulent un peu partout, les grèves et embouteillages sont trop souvent „monstrueux“, les renvois à notre époque trop voyants, les prolepses trop peu subtiles. Ça se lit agréablement et c’est certes, de par les sujets abordés et de par l’intelligence de la construction, un roman important – mais c’est loin d’être une œuvre-phare.


L’hiver du mécontentement, de Thomas B. Reverdy, Flammarion, 220 pages, 18 euros, ISBN 978-2-0814-2112-7. En lice pour le prix Goncourt et le Grand Prix du roman de l’Académie française. Intéressant, sans plus. Lire aussi, sur le même sujet: Tim Lott, Rumours of a Hurricane.


Midi

„Midi“ de Cloé Korman, dont c’est le troisième roman, part d’une autre pièce de Shakespeare („The Tempest“) pour, là encore, par des procédés de renvois intertextuels, mais aussi d’enchevêtrements entre réel et fiction, montrer à la fois la force et les dangers de textes fictionnels. Si le procédé est similaire à celui du roman de Reverdy, le livre de Korman est d’une teneur bien différente, autant par la beauté du style que par l’empathie avec laquelle ce roman touchant met en scène un ballet de figures humaines imparfaites. Rappelant dès son début les romans de Kazuo Ishiguro de par la manière dont un passé traumatique remonte à la surface avec une tenace lenteur, „Midi“ commence par évoquer l’arrivée de la jeune Claire Novales en compagnie de son amie Manu à Marseille, où elles passeront l’été à travailler dans un théâtre associatif que gère le séduisant et énigmatique Dominique Müller.

Ce théâtre, où des enfants de dix à douze ans monteront, avec l’assistance des trois adultes, „La Tempête“ de Shakespeare, est censé stimuler la créativité des enfants, soutenir leur aptitude à s’organiser et à vivre en collectivité. Pourtant, Claire n’est pas dupe et se dit que leur théâtre sert surtout à ce que des parents „qui ne partaient pas en vacances“ et qui n’ont pas respecté les délais d’inscription pour des activités estivales sportives a priori plus palpitantes puissent „caser leurs enfants“ pendant la journée. 15 ans plus tard, Claire est mariée, a deux enfants et travaille comme médecin dans un hôpital où, un jour, un patient atteint d’une hépatite en phase terminale, demande qu’elle vienne s’occuper de lui.

Il s’agit de Dominique et, avec lui, c’est tout un pan du passé qui lui revient en mémoire et, surtout, un événement-clé tragique qui fait la jointure entre l’état présent et désolant de Dominique et le passé pas si insouciant sous le soleil de Marseille, qui n’éclaire pas que „la tête pleine de taches d’ombre et de bière et les yeux couleur grenadine“ de l’alter ego naïf de la narratrice, mais aussi les petits et grands tracas domestiques que ces enfants charrient avec eux à un âge où leur personnalités restent encore majoritairement des reflets de la vie que mènent leurs parents. Korman décrit l’enfance ou la préadolescence comme un moment où tout est encore possible – et où rien ne l’est déjà plus, tellement les jeunes sont confinés et limités dans des rôles prépensés auxquels ils peuvent ou bien se confiner ou alors dont ils peuvent s’échapper.

Je repense à „La Tempête“ comme à une curieuse expérience de l’espace et du temps, nous ramenant à l’échelle de petites communautés humaines, bien avant le temps des peuples et des nations, où la distribution des rôles sociaux entre un très petit nombre d’êtres humains permet à chacun d’accéder au titre de roi ou de reine, de ministre, de vice-roi et de vice-reine. Isolé chacun dans un endroit de l’île d’où le reste de l’humanité a disparu, les membres de l’équipage font tous à leur façon quelques vœux pour un royaume idéal, celui dont ils seraient roi.“ Ce passage, évidemment, est vrai pour l’analyse de la pièce de Shakespeare, mais décrit aussi la communauté du théâtre associatif lors de cet été – car chaque enfant, à cet âge, veut être le roi de son royaume.

On trouve, parmi ces enfants, le jeune timide qui n’arrive pas à dire son texte en public, la starlette qui fait le conservatoire et qui, encouragée par les parents, se considère supérieure aux autres, le jeune impudent qui rayonne d’insolence.
Mais on y trouve aussi, et c’est là le centre noir et émotionnel du texte, la victime potentielle, qu’on choisira évidemment pour jouer le personnage de Caliban et qui s’en réjouit, car „on lui parle enfin, à elle, Joséphine, même si c’est pour l’appeler d’un nouveau nom“, sans savoir que c’est ce rôle qui lui fera à la fois reproduire et confirmer le statut d’exclue, qui accélérera et se répercutera sur les événements du réel. Car, on le devine assez vite, Jo est une enfant violentée, qui porte les stigmates d’une violence incontrôlée.

„Midi“ est aussi et avant tout un texte sur des adultes qui, parce qu’ils ne savent pas affronter eux-mêmes le monde et ses complexités, soit reportent leurs frustrations sur leur progéniture, soit sont trop préoccupés par leurs propres soucis pour voir plus loin que le bout de leur nez, où se trament d’indicibles violences, à peine enfouies sous l’accoutrement grossier – trop ample, trop laid, alors que la mère est toujours aux petits soins – de la petite Jo sur qui les regards adultes ont vite fait se braquer. Là où le roman d’Adeline Dieudonné („La vraie vie“, recensé samedi dernier) dépeignait la violence domestique à travers l’immédiateté du regard d’une jeune ingénue, le récit de Korman filtre la vie cauchemardesque de la petite Jo à travers le double regard de la jeune Claire un brin trop impressionnée par Dom pour prendre les décisions justes et le regard actualisé, mélancolique et sans indulgences de la Claire d’aujourd’hui.

Côté style, Korman remporte un pari risqué: elle a pris le parti, a priori banal, de multiplier les métaphores maritimes, ce qui aurait pu se solder, sous la plume d’un auteur moins doué, par une profusion de banalités là où Korman exploite ce champ sémantique de façon à la fois méticuleuse et poétique, l’explorant comme l’on ferait la cartographie poétique d’un domaine sémantique précis. La mélancolie qui imprègne un style qui transmet l’urgence et la noirceur du récit tout en laissant entrevoir une transcendance propre à la littérature, qui parvient à faire briller les plus sombres histoires en peignant une tragédie humaine avec les mots justes, brossant un portrait empathique mais sans pitié d’êtres qui ne sont pas préparés pour les affres de la vie.


Midi, de Chloé Korman, Editions du Seuil, 216 pages, 18 euros, ISBN 978-2-02-140355-8. Figurait dans la première sélection du Renaudot mais en a été (scandaleusement) exclu pour la deuxième, où figure toujours le mièvre roman de Vanessa Schneider. A lire absolument.