Littérature / Tatiana de Rosnay: „Les images nous arrivent plus vite que les mots“

L’autrice franco-britannique met en avant une héroïne septuagénaire, confrontée aux nouvelles technologies et leurs dangers
Dans un futur assez proche, Paris est victime d’une attaque terroriste. Clarissa, romancière à succès, frise la dépression. Elle vient de se séparer de son deuxième mari pour cause d’infidélité. Elle cherche „une chambre à soi“, comme disait Virginia Woolf, qu’elle admire. Elle atterrit par hasard sur une résidence pour artistes gérée par une société qui recourt à la robotique. Clarissa se sent épiée en permanence. Son nouveau refuge ultra connecté l’angoisse, la confine. Ecrire lui devient quasiment impossible.
Entre suspense psychologique, désillusion amoureuse et réflexion sur le métier d’écrivain, Tatiana de Rosnay voue une fois de plus un culte pour les lieux de vie – „L’Appartement témoin“, 1992; „La Mémoire des murs“, 1998; „Le Voisin“, 2010 – et l’influence qu’ils ont sur ceux qui les habitent. Cette fois, l’héroïne, septuagénaire, est confrontée à la modernité technologique et à ses dangers: „Une plongée dans l’intimité physique et mentale d’une écrivaine un peu parano“, précise l’auteur franco-britannique. Rencontre.
Tageblatt: Quelle résonance a l’histoire de Clarissa dans la période actuelle?
Tatiana de Rosnay: J’ai commencé à écrire ce roman il y a près de deux ans. Je n’imaginais pas un instant que nous allions vivre un confinement. Je suis partie sur une exploration des dérives de l’intelligence artificielle, nées de conversations avec mon père toujours passionnantes (NDLR: Joël de Rosnay, biologiste, futurologue, écrivain). Je décris Paris dans un avenir proche, ébranlée par un attentat terroriste. Les rues sont désertes. C’était très troublant de voir que nous sommes maintenant dans la situation de mon héroïne, avec pour tout contact les ordinateurs et téléphones ouverts en permanence.
Les villes ressemblent un peu à des prisons, même à l’heure du déconfinement …
Ce n’est pas fini. Nous nous sommes trompés avec le mot déconfinement. C’est une histoire de vocabulaire. On a cru à tort que le mot déconfinement voulait dire pouvoir reprendre la vie d’avant. Là, nous sommes à Paris, masqués, condamnés à se retrouver à pas plus de cinq personnes. Beaucoup de jeunes ramènent le danger chez ceux qui sont un peu plus fragiles. Nous avons perdu notre insouciance. Nous sommes coincés dans ce no man’s land. Je reviens de la campagne, seule face à la nature. Une parenthèse merveilleuse. De retour à Paris, je me sens encore confinée. Nous sommes masqués, plus qu’avant. Je ne peux pas voyager, ni à New York ni à Londres. Je suis masquée et heureuse de l’être mais un peu stressée. Qui ne le serait pas?
Néanmoins, vous avez pu écrire …
Pendant le confinement, j’étais dans une sidération totale. Je n’avais absolument pas prévu d’écrire. J’ai renoué avec l’écriture grâce à une nouvelle, „Léo et le cerf“, écrite pour un recueil destiné à aider les soignants de l’hôpital public (1). Cette courte histoire, en résonance avec ce qu’on vivait, m’a permis de permis de reprendre le dessus.
Dans votre roman, le narrateur dit: „La littérature n’avait plus sa place, lire ne réconfortait plus.“
Le narrateur n’est pas l’auteur … Dans une situation assez cauchemardesque, j’ai voulu montrer que dans ce monde très noir, à cause de la vitesse de propagation des images sur les réseaux sociaux, n’importe qui pouvait tomber dessus. L’image prend feu sur Twitter et compagnie. Celles qui nous marquent nous arrivent plus vite que les mots. La désaffection du mot par rapport à la puissance de l’image fait peur. On a affaire à de moins en moins de gens qui lisent. Les lecteurs solides lisent un livre par mois. Qui va nous lire plus tard? Au lieu de porter secours à une personne en danger, on préfère filmer la scène. La course aux „like“ est une obsession. Avant, on n’avait pas d’appareil pour faire ses courses. Aujourd’hui, on est tous capables de filmer, enregistrer à l’insu de quelqu’un. Cela nous donne une puissance assez immonde. Le piège de cette technologie des écrans est terrifiant.
(1) „Des mots par la fenêtre“, collectif de 64 auteurs, éditions 12-21. En faveur de la Fondation Hôpitaux de Paris – Hôpitaux de France. Version numérique et papier.
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