Depuis la suggestion jusqu’à la férocité, Emma Dante nous secoue, oblige le spectateur à prendre position. C’est un travail salutaire, par les temps qui courent. Et à l’heure où l’on apprend que, en France, la majeure partie des auteurs joués sont des morts de longue date, Musset, Marivaux, Shakespeare, Molière bien entendu, rendons grâce à cette créatrice qui nous hisse au sommet du théâtre contemporain. Le rendez-vous est rare, il mérité d’être pris.
Une démarchevisionnaire
| Emma Dante Le Pulle / mPalermu Théâtre du Rond-Point Jusqu’au 18 avril 2bis avenue Franklin D. Roosevelt, F-75008 Paris Tél.: (+33) 01 44 95 98 21 http://www.theatredurondpoint.fr |
Le spectacle est en palermitain surtitré. Il est surtout un feu d’artifice, une invention de gestes, une énergie sans précédent, avec des acteurs hors pair, aux corps comme désarticulés, marionnettes d’une existence qu’ils n’ont pas vraiment choisie, et qu’ils enrichissent de leur humanité.
C’est sur fond de sensualité, entre prostituées, dans une confusion onirique de la sexualité, comme un effacement subtil de cette pseudo-normalité à laquelle la société nous a habitués, que nous abordons une scène dépouillée d’artifices et qui peu à peu se dilate sous l’ampleur des actions entreprises: celle du corps à l’œuvre, mais aussi celle du rêve.
Les motifs reviennent, de manière obsédante, jouer de leur tabou. Trois petites fées, aussi adorables que des poupées mécaniques, portant un phallus dans leur culotte, sont chargées de veiller sur une population lascive et mélancolique, folle de vie, une population de prostituées, des hommes aux soutiens-gorges aux couleurs acidulées, aux perruques bouclées …
Et, irrémédiablement nous sommes interpellés par cette fameuse bisexualité psychique qui sommeille en chacun de nous. Féminin et masculin, mais surtout des êtres aux prises avec leurs corps.
Tous les poncifs éclatent, dans un feu d’artifice, avec une certaine emphase, un certain romantisme parfois, que l’on songe au Lac des cygnes, aux chansons un brin populaires, qui disent cette futilité de quatre sous, des ritournelles qui mieux que tout donnent de l’existence une certaine couleur.
Emma Dante, en véritable chef d’orchestre – et l’on pense inévitablement à Kantor, dans cette distanciation qu’il opérait par sa simple présence sur scène, parmi les comédiens – Emma Dante, en grande organisatrice, apparaît parfois, chante, présente, puis disparaît, laissant ce petit monde poudré, rêveur, à lui-même, monde dont nous déjouons les codes en même temps que lui.
Sur un air légerde conte
Magnifique hommage à ces êtres de la nuit, salis par un passé difficile, par une enfance meurtrie. Magnifique évocation de l’homosexualité, de ce mariage à l’église. Et d’une plastique inouïe, les tableaux sont comme autant de rêves. Cet homme travesti en jeune promise qui va se marier à l’église, et que l’on accuse de cochonneries.
Et les témoins sur scène, ses amies, en robe de mariée, soufflent dans des poupées gonflables, en guise de partenaires. Comme une vaste ronde érotique et macabre à la fois. Vertigineuse solitude à laquelle répond, à la fin, un plateau vide avec une croix blanche au mur. Quelle folie et quel génie!
Quel courage, que de dénoncer la famille également, comme le terreau de possibles abominations. Répétons-le, tout ceci se fait sur un air léger, comme dans les contes. Avec l’humour et la force de la vie. Dans un entretien, Emma Dante, Sicilienne, dit: „(…) je crois que les thèmes que je raconte dans mes spectacles, même s’ils partent d’une situation locale, sont universels: la famille comme agrégation sociale de plusieurs individus, la peur de la mort, l’interrogation sur dieu – quelle que soit la religion – l’inceste, la violence sexuelle, le tabou de l’homosexualité, la mafia, la misère la plus noire, la piété. Ce sont des thèmes de toujours, avec la différence que leur narration, ici, part de Palerme où de profondes racines s’enfoncent dans les viscères de la terre.“
Emma Dante est une figure incontournable du théâtre contemporain
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