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Expo photos / Paradis perdu
Carla van de Puttelaar, „Rembrandt Series“, 2015. Collection MNHA.

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Il est question de nus féminins, certes, mais inspirés de Rembrandt, de Cranach et autres grands maîtres, en tout cas, tous transcendés par le clair-obscur. Tout l’art de la photographe néerlandaise Carla van de Puttelaar, c’est de traduire un paradis perdu. Au Musée national d’histoire et d’art.

Dans la très vieille histoire du nu féminin, la photographe néerlandaise Carla van de Puttelaar (née à Zaandam en 1967) écrit une page particulière et ce, depuis 2002 – en tout cas, c’est cette année-là que l’artiste, diplômée de la Gerrit Rietveld Academy d’Amsterdam, décroche le Prix de Rome. Depuis, son travail jouit d’une reconnaissance mondiale. Mais la notoriété n’est pas cela seulement qui légitime l’actuelle rétrospective que lui consacre le MNHA (Musée national d’histoire et d’art) – qui, du reste, jette régulièrement un œil sur le medium, fût-ce à l’occasion du Mois européen de la photographie Luxembourg (dont la 8e édition aura lieu en mai 2021).

En fait, ce qui a séduit le MNHA – et qui nous captive en retour – c’est un regard de lumière capable de transformer un corps blanc comme le marbre en un objet de désir ou, mieux, comme un abyme de vulnérabilité, où la beauté extérieure devient le miroir idéal/idéalisé de la beauté intérieure.

Il s’agit de corps, les corps de femmes jeunes, des corps nus, parfois drapés dans des étoffes de la Renaissance vénitienne, mais il s’agit tout autant de visages, tous auréolés d’une longue chevelure et aux yeux tous clos. Ce sont des beautés endormies ou plutôt, des créatures en flottaison, entre conscience et rêve. Et c’est précisément ce moment de l’entre-deux, ce temps en suspension qui caractérise la démarche de Carla van Puttelaar, raccord en cela avec le caractère inexorablement éphémère de toute beauté.

Ce sont donc des corps, aussi immobiles que des marbres, mais pas exempts d’imperfections ou de traces pour autant – la photographe ne boude ni les piercings ou hématomes, ni les ongles rongés, ni les atouts naturels que sont les taches de rousseur. En fait, ce sont des marbres qui auraient pris vie, avec tous les accents de l’enfance de la vie: de la candeur, oui, mais aussi de la lucidité ou de la fronde, de l’innocence, oui, mais aussi de la détermination et de la sensualité, oui, mais pas d’impudeur.

Une histoire de peau

„Brushed by Light“ – le titre de l’expo est explicite –, c’est un manifeste de (la) grâce. Et c’est, au-delà du corps, une histoire de peau. Sous tous ses angles, de la surface organique à cette autre enveloppe de protection qu’est le textile – je vais y revenir. En tout cas, toujours la peau est de velours, comparable à une soie divinement lumineuse, d’autant que Carla qui ne travaille qu’à la lumière naturelle, la fait jaillir de fonds d’un noir dévorant. La référence picturale est inévitable, celle, historique, des vieux maîtres hollandais. Parfois, partant du corps, la photographe s’attarde sur les mains et les bras, en résulte une image étonnamment moderne ou, plutôt, un somptueux mélange intemporel qui porte le poids de l’histoire dans la modernité de l’image.

Et tout n’est pas encore dit. Il y a l’intérêt de l’artiste pour la puissance durable du portrait – du portrait de femme(s) bien entendu – et „sa capacité à raconter des histoires incalculables“. La preuve avec „Artfully Dressed: Women in the Art World“: cette série photographique initiée en 2017 (avant le mouvement #MeToo) entend „célébrer les femmes éminentes et brillantes du monde de l’art“ – à ce jour, elle en compte 450 –, dont la visibilité serait rehaussée par le vêtement, qu’il s’agisse de costumes d’époque ou de tissus magnifiques prêtés par de grands designers textiles. Aussi spectaculaire qu’inédit, l’ensemble, dont la portée est aussi politique qu’empathique, ne fait l’économie d’aucun ressenti, théâtral ou intime, fort ou mélancolique.

Sinon, s’agissant du poids de l’histoire – cette dimension de l’héritage des maîtres, surtout du XVIIe siècle, flamands et italiens, est d’ailleurs ce qui, aussi, a motivé l’expo du MNHA –, Carla van de Puttelaar prend plaisir à revisiter Rembrandt – travail mené depuis 2016, à la demande du Rembrandt House Museum –, et Giovanni Battista Salvi da Sassoferrato, mais aussi Cranach et sa „Vénus“ ainsi que Théodore van Loon et sa  „Pietà“ – œuvres appartenant du reste à la collection du MNHA.

Supplément d’âme

Autant de madones que la photographe décroche de leur socle surnaturel pour leur conférer, par la magie d’un singulier traitement de la lumière, une dimension humaine: ce sont des beautés, certes, mais en rien irréprochables, et ce sont des individualités, non pas des êtres désincarnés, otages d’un inassouvi à la fois spirituel et sensoriel, voire charnel (non pas sexuel).

Au tout, le supplément d’âme insufflé est de l’ordre du silence et de la lenteur. Carla saisit pour l’éternité ce qui préside à la naissance d’une chrysalide. Elle parle d’une projection autobiographique. Et d’aucuns de parler „d’une vision féministe … à travers un regard féminin“. Toujours est-il que dans son travail d’inspiration, Carla s’autorise des infidélités, des brins de fantaisie: il en va ainsi de „Morning Rituals“ où trois jeunes femmes, vêtues d’une blouse de nuit très XIXe siècle et penchées au-dessus d’un broc en vue de faire leur toilette, composent une sorte d’arrêt sur image très cinématographique.

Au final, „Brushed by Light“, c’est 78 photographies déclinées en séries. Dont „Ophelia“: un thème shakespearien, où l’héroïne dort au milieu des iris, symboles de pureté. Une fleur parmi les fleurs. Egale à la peau et au tissu, la fleur cristallise toute l’attention de Carla van de Puttelaar, par analogie à la poésie et à la fragilité de ses nus. Du coup, ses pétales fanent, au point de se confondre avec l’écorce d’un arbre. Au terme (plus ou moins chronologique) de l’expo, cinq vidéos font écho à la série „Tactile Light“: une sorte d’ode au toucher, de sublimation de la caresse. Et c’est ainsi que se boucle l’aperçu du sensible développement artistique de Carla van de Puttelaar. Où, résolument, le voyeurisme n’est pas de mise.

Info

Musée national d’histoire et d’art, Marché-aux-Poissons, Luxembourg: Carla van de Puttelaar, „Brushed by Light“ photos, jusqu’au 18 octobre, www.mnha.lu