Exposition / Mark Rothko à la fondation Louis Vuitton: Un chant métaphysique

Mark Rothko, Self Portrait, 1936 – Huile sur toile – 81,9 x 65,4 cm – Collection de Christopher Rothko
Un ensemble prestigieux d’œuvres de Mark Rothko (1903-1970), jusqu’à ses toiles les plus monumentales, sont présentées ici. Cette rétrospective permet de comprendre et d’évaluer un parcours sans concession, hanté par une quête métaphysique.
„Je ne m’intéresse qu’à l’expression des émotions humaines fondamentales“, écrit Mark Rothko. Effectivement, cet immense artiste aura couché son angoisse existentielle sur l’espace de plus en plus immense de ses toiles, provoquant chez le spectateur, immergé dans la couleur et la lumière, une sensation d’abîme. Tout le monde connaît les œuvres de Rothko, pour les avoir au moins vu reproduites, mais l’expérience que l’on vit face à elles est une vibration impossible à décrire, comme un chant métaphysique qui nous oblige doucement, mais sûrement jusqu’au vertige.
Cette rétrospective nous permet d’emblée de mesurer l’exigence de Mark Rothko, dès sa première période, figurative. On le découvre dans un autoportrait, carrure massive, regard perçant derrière des lunettes aux verres colorés, présence pour le moins énigmatique qui rayonne d’une aura qui ne fera que s’accroître. De cette aura impossible à reproduire et qui fait l’essence même de son art.
L’imprégnation d’une violence sourde
Mark Rothko, à l’origine Markus Rotkovitch, est né d’une famille juive, en 1903, à Dvinsk, autrefois dans l’Empire russe, aujourd’hui appelé Daugavpils, en Lettonie. Il suit des études religieuses. La famille émigre aux Etats-Unis, à Portland, dans l’Oregon, en 1912-1913. Dans le catalogue de l’exposition, le critique d’art Riccaro Venturi narre un souvenir rapporté par le peintre Alfred Jensen: „Les cosaques prirent les juifs de leur village et les emportèrent dans la forêt où ils durent creuser une grande tombe. Rothko raconta qu’il peignit cette tombe carrée dans la forêt de façon si vivante qu’il n’était plus certain que le massacre n’ait pas eu lieu de son vivant. Il disait qu’il avait toujours été hanté par l’image de cette tombe, et que d’une certaine manière il était coincé dans son tableau.“ Cette imprégnation d’une violence sourde transparaît comme autant de champs du visible impossibles à donner autrement que par l’espace et la profondeur de la couleur, aux lisières incertaines, comme si à partir des frontières poreuses, se jouait à chaque fois, par la couleur, la vibration de la matière, la lumière qui en émane, une transfiguration possible à partir du tragique, des persécutions, d’une existence ramenée à son essence-même.
Rothko connaît donc une première période figurative. Remarquable par sa façon de dépouiller la scène de l’anecdote. Sur fond de crise, à New York, il peint des scènes urbaines où la figure humaine semble spectrale, donnée dans sa forme essentielle. „Entrance to Subway“ (1938, huile sur toile) valorise l’espace architectural, où les figures se confondent avec les éléments urbains, ce qui tend à comprimer le lieu et donner une impression d’enfermement. Fort de sa réflexion philosophique et picturale, Mark Rothko se tourne vers la mythologie et le néo-surréalisme au début des années 1940, cherchant à inventer, avec ses amis Adolph Gottlieb et Barnett Newman, un „mythe contemporain“. Une esthétique surréaliste apparaît, avec des formes flottantes apparentées à des totems, qui tente de répondre à la barbarie de l’époque. Mais Rothko n’est pas convaincu. „J’appartiens à une génération qui s’intéressait beaucoup à la figure humaine. Celle-ci ne convenait pas à mes besoins. Quiconque l’employait, la mutilait.“ (M. Rothko)
„Une planéité nouvelle“
Ainsi, à l’instar de De Kooning, Pollock, Motherwell, Newman et d’autres peintres, Rothko se tourne vers une peinture non réaliste pour traiter de thèmes universels. A propos de ces champs de couleur, color-field, le critique d’art Clément Greenberg écrit, en 1955: „La chaleur sombre de la couleur estompe les valeurs et donne à la surface une planéité nouvelle, qui vibre et respire.“ Mark Rothko concevait ses tableaux comme des organismes vivants. Délaissant toute notion d’encadrement, il s’agit d’un espace peinture, d’un objet dont les dimensions grandissent jusqu’à la monumentalité, laissant percevoir des seuils, des tombeaux pour une humanité, une violence contenue. Un chant s’élève par la grâce de la vibration de la couleur. Les frontières sont brouillées par un sfumato, nous passons d’un espace à l’autre, nous voyageons au creux de la toile, sous les différents espaces entraperçus se trame l’infini. Cette „surface“ porte en elle la profondeur existentielle. Ces œuvres ouvrent sur une contemplation métaphysique.
„La couleur n’est pas ce que je recherche. Ce que je recherche, c’est la lumière.“ (M. Rothko)
Et sous la lumière parfois tamisée des salles, des tons les plus mats apparaissent. Rothko mêle ou juxtapose huile et acrylique, pour un brillant et une matité accentuant la profondeur de lieux indéfinissables, pour un langage quasi énergétique. Il s’en élève une lumière indicible.
La dernière série d’œuvres de Rothko, Black and Gray, à l’acrylique, peinte avant sa mort, en 1969-1970, de plus petit format, nous reprojette à l’extérieur. Mais forts de l’expérience immersive des précédentes périodes, nous cherchons dans la toile cet imperceptible champ fait de multiples horizons. La métaphysique est toujours à l’œuvre, d’autant plus que des sculptures de Giacometti y font écho, dans la même quête essentielle. La présence de Giacometti rappelle la commande passée à Rothko d’une peinture monumentale, en 1969, pour le siège parisien de l’Unesco, œuvre qui aurait côtoyé une sculpture de Giacometti. Rothko renonce à ce projet, mais continue néanmoins ce travail, jusqu’à son suicide, en 1970.
L’œuvre de Mark Rothko n’en finit pas de rayonner. C’est une expérience essentielle. Il faut faire le voyage.
Infos
Mark Rothko
Jusqu’au 2 avril 2024
Fondation Louis Vuitton
8, avenue du Mahatma Gandhi
Bois de Boulogne
F-75116 Paris
www.fondationlouisvuitton.fr
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