LuxFilmFestLes quatre saisons du refuge

LuxFilmFest / Les quatre saisons du refuge
 Photo: Haut Les Mains Productions

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Gevar est Syrien. Avec sa femme et son fils, il a dû fuir la Syrie et demander refuge en France, où il est désormais installé à Reims. C’est là que Qutaiba Barhamji, son compatriote, le suit avec sa caméra dans son quotidien. Une routine qui s’articule principalement autour de l’entretien d’une parcelle de terre que Gevar a loué dans un jardin communautaire.

 Avec son bon visage et son doux sourire, Gevar remplit des caisses en bois de terreau, qu’il saupoudre méticuleusement de semis. Dans des verres en plastique, il fait germer des graines, qu’il dispose en rang sur son balcon, pour qu’elles prennent le soleil, avant de les arroser précautionneusement. C’est encore l’hiver, il faut attendre le retour du printemps pour pouvoir les planter en terre.

Cet homme qui a dû laisser derrière lui tous ses repères, toute sa vie, toute „sa mémoire“, cet homme qui cherche aujourd’hui à s’intégrer dans ce pays d’accueil non choisi qu’est la France, trace consciencieusement au crayon de papier un plan qu’on pourrait prendre pour celui de sa nouvelle demeure. A tort: il s’agit de sa petite parcelle de terre qu’il entreprend d’organiser. Aubergines, courgettes, citrouilles – il partage le sol entre les différentes catégories de légumes, prenant bien soin d’attribuer à chacune l’espace qui lui est dû: „On trouvera de la place pour les oignons.“ 

Lui qui, après la Révolution, a dû tout quitter du jour au lendemain et sait qu’il ne pourra pas retourner chez lui, réfléchit à la hiérarchisation de la mise en terre. Les pommes de terre sont à planter en premier, car leurs puissantes racines dévorent tout pour faire grossir les tubercules. Elles font leur place, sans demander la permission, sans merci ou considération pour les autres légumes.

Gevar, lui, est doux, respectueux et modeste dans la façon qu’il a de s’intégrer à son nouveau pays. Lorsqu’il se blesse au genou et doit délaisser quelques semaines son précieux potager, le propriétaire de la parcelle de terre, insatisfait d’y voir des mauvaises herbes, lui envoie un e-mail accusateur avec photos à l’appui, en mettant toute la communauté en copie.

Gevar présente aussitôt ses excuses et expose sa situation: dès que son genou le lui permettra, il reprendra la culture. Sa voisine, elle, réagit: le propriétaire n’a pas le droit de venir prendre en photo la terre de Gevar, c’est illégal. Elle porte plainte. „Elle sait comment réagir dans ce genre de situation. Elle est Française. Moi, je me suis excusé.“

„Je déprime à cause de mes rêves“

Réunis dans son petit appartement ou autour du barbecue de planches et de pierres qu’il a construit, Gevar et quelques amis chantent des chants traditionnels. L’éventail est manié au-dessus des braises, faisant rougir les brochettes, tandis que s’élèvent vers le ciel les accords de l’oud et les mélodies empreintes de nostalgie.
L’été est arrivé. A l’ombre des arbres dans son oasis de verdure bordée par l’autoroute, Gevar est en débardeur et chapeau de paille „Havana Club“, lorsque sa femme lui apprend qu’une usine a été bombardée à Salamyeh, leur ville d’origine, entre Homs et Hama. „Je déprime à cause de mes rêves“, explique Gevar. „Ceux que je fais la nuit“, précise-t-il. „Il n’y a rien de déprimant dans ma vie d’aujourd’hui. On s’échappe de ce qui se passe en Syrie par le quotidien. Mais les rêves, tu ne peux pas les empêcher.“

Son voisin de parcelle vient ausculter ses rangées, lui donnant des conseils, un brin paternaliste: „Ce n’est pas comme ça qu’on fait un jardin“, avant de conclure, sensible malgré tout au travail abattu: „Ça va, c’est bon, c’est pas mal.“

E-cigarette à la main comme une shisha portative, Gevar observe la vie pousser autour de lui. Son fils de cinq ans parle déjà un français fluide, appris à la vitesse des enfants qui s’adaptent toujours si vite à leur environnement. Natasha, sa femme, est lumineuse et solide. Lorsque des policiers cherchent à faire d’elle une indic des réseaux terroristes qu’ils la soupçonnent de connaître ou de fréquenter, elle ne craint pas de mettre leurs amalgames en lumière. Mais lorsqu’elle découvre qu’on a pénétré leur lopin de terre en leur absence pour leur voler leurs belles citrouilles, Natasha fond en larmes. Les traumatismes sont encore bien vivants, eux-aussi.

Et Gevar de résumer, avec sa douceur et sa dignité habituelle: „On a fait la révolution car on voulait une solution collective. On a échoué. (…) C’est absurde. Je me retrouve dans une quête individuelle alors qu’on voulait un pays.“ Qutaiba Barhamji fait preuve d’une grande sensibilité dans ce documentaire qui nous emplit de compassion mais également d’admiration pour la résilience, la force tranquille et la lumière naturelle qui émane de Gevar et de sa famille.

En compétition documentaire

3,5/5