„J’aime les animaux. Je ne vole pas. J’achète des produits de grande consommation comme tout le monde. […] Je ne comprends pas de quoi je suis coupable. Je ne comprends pas pourquoi vous voulez me punir aux travaux forcés sur des bases de données. Le supplice est démesuré par rapport à mes minuscules erreurs (quelques anniversaires non souhaités, le gazon du jardin mal tondu, une absence ou deux à l’école non justifiées). Je vous en prie, ne m’embauchez pas.“
L’artiste Julien Prévieux a publié en 2007 un recueil de lettres de non-motivation. Ces lettres, qui répondent à de véritables offres d’emploi parues dans des journaux français, ont été envoyées par l’artiste aux différents employeurs. Le livre nous présente ainsi successivement l’offre d’emploi, la lettre envoyée par Prévieux puis la réponse de l’entreprise. Comme on s’en doute, le jeune homme ne cherche pas vraiment à se faire embaucher. La citation ci-dessus est extraite d’une lettre envoyée à une banque d’affaires qui recherchait un „Administrateur de données junior“. Prévieux écrit qu’il n’a rien fait, qu’on le laisse en paix, qu’il ne mérite pas une telle punition. Réponse de la banque: „Malgré tout l’intérêt que présente votre candidature, nous sommes au regret de vous informer qu’elle n’a pas été retenue.“
Chaque lettre de l’artiste est personnalisée: son style est parfois sérieux, parfois oral, parfois grave, parfois plein d’humour, et à chaque fois il s’invente une personnalité imaginaire qui se moque plus ou moins ouvertement de l’offre d’emploi. Or dans l’immense majorité des cas, une réponse standardisée et impersonnelle lui est renvoyée, indiquant ainsi la dimension absurde et mécanique de la notion même de lettre de motivation. A une offre de „La Croissanterie“, il répond: „je dois dire non à ton job. Je suis bientôt dans un meilleur autre job que les croissants. Dans l’attente de ta réponse, je te dis, Madame, tous mes meilleurs sentiments.“ En retour, l’entreprise apparemment intéressée lui demande son CV: „Merci de bien vouloir le transmettre le plus rapidement possible afin que nous puissions examiner votre candidature de façon plus approfondie.“
Non seulement Prévieux met en évidence la misère intellectuelle des offres d’emploi qui toutes se ressemblent, mais il critique la vanité du jeu social qui repose sur un système de recrutement stéréotypé et déshumanisé. Pour tous ceux dont le travail est momentanément suspendu, la prise de distance permettra peut-être d’apercevoir le non-sens de certaines conventions, et d’affirmer plus souvent notre non-motivation à les respecter.
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