Les corps dans la Cité: Les présences de Marc Pataut

Les corps dans la Cité: Les présences de Marc Pataut
„Vivre, quand les caddies sont vides la misère se met en colère“, Paris 1998

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Marc Pataut, né à Paris en 1952, a le sens de l’autre. Il le photographie dans un appel du corps, avec la force du magnétisme, de la présence, en interrogeant la relation qui le lie à celui ou celle qui pose. Il peut également donner son appareil à des enfants et découvrir des espaces insoupçonnés. Il nous emmène à la découverte d’un univers peuplé d’êtres comme autant de sujets d’eux-mêmes. C’est à la fois émouvant, politique, social. Il y va de la place de chacun dans le monde.

De notre correspondante Clotilde Escalle

Info

Marc Pataut, „De proche en proche“
Jusqu’au 22 septembre 2019
Jeu de Paume
1, place de la Concorde
75008 Paris
www.jeudepaume.org

Cette exposition met en relation des séries faites dans le temps. Car il faut du temps pour approcher l’autre, être son familier, apprendre sur lui et sur soi. Les visages, les territoires, se côtoient et résonnent de façon essentielle. C’est une nécessité ontologique, chez cet artiste, de découvrir de quoi l’autre est fait. C’est également un devoir politique. Redonner la parole, les moyens de communiquer, ouvrir les yeux sur la condition des uns et des autres, tenter d’éprouver ce qu’ils vivent, là où ils vivent. Sculpter les lieux, les visages, saisir la vie, faire du monde un paysage habité.

La beauté originelle

Ce paysage, Marc Pataut le découvre presque fortuitement à ses débuts, lors d’un travail à l’hôpital de jour d’Aubervilliers, où il est „infirmier-photographe“. Il donne des appareils photos à des enfants psychotiques. Et découvre comment l’on ressent avec chaque partie du corps. Là où un photographe aurait cadré un moment esthétique, il découvre des espaces et des objets jusque-là non considérés, un genou, une chaise.

Voilà une façon de faire sauter les limites et d’entreprendre un dialogue, un corps à corps avec la photo. Comme une pulsion sans frein, là où nos corps n’ont plus l’habitude de parler. Ici redonner chair prend tout son sens. „J’ai compris qu’un portrait n’est pas seulement un visage, que la photographie passe par le corps et l’inconscient, par autre chose que l’œil, l’intelligence et la virtuosité. De l’hôpital de jour, je retiens qu’on peut photographier avec son ventre, que le portrait est un rapport de corps – comment je place mon corps dans l’espace face à un autre corps, à quelle distance“ (Marc Pataut). Ces perceptions, chacun les éprouve et les refoule, comme si nous étions chaque fois un tout dans sa cohérence, alors que souvent un organe ou une partie de notre corps sont privilégiés dans nos expériences et sensations.

C’est ainsi que Marc Pataut s’est mis à photographier son ventre. Cadré au plus près, paysage mouvant, à la fois plaine, relief, montagne, trituré, malmené, territoire immense et indéfinissable. Ces gros plans, pour une série intitulée „Apartheid“ (1986-1988) ont été exposés, entre autres, sous la forme de panneaux publicitaires de trois mètres sur quatre dans la ville du Blanc-Mesnil.

Un tel espace dévolu à la chair, dans sa déformation, parallèle à celui de la ville, corps violenté, abîmé, dans un tranquille voisinage, l’écart importe, dans cet intervalle se reformulent nos consciences. Puis il photographie son corps, debout, en contre-plongée, bruni, comme de la pierre, témoignage de notre condition, d’une énigme, de l’étrangeté même du regard que l’on porte sur soi, pour peu que ce corps devienne autre, objet, statue. Comme s’il nous était étranger et par là redonnait le sens de l’ailleurs et de l’être humain en frère. Un corps parmi des milliers, comme un paysage à recomposer indéfiniment. Et qui dit, depuis sa chair, l’engagement d’être un citoyen.
Ce rapport intime au corps et les portraits de Marc Pataut constituent la part importante de cette exposition.

La résistance s’organise

Le portrait est lui aussi une affaire de présence. Il ne s’agit pas de faire du beau, mais de donner la lourdeur, l’épaisseur du temps, à travers des corps, des regards, comme autant de témoignages de l’existence.

Différentes séries, différents formats, parfois avec des photos de petites dimensions les unes à côté des autres, témoignant du long temps qu’impose cet exercice, à la façon d’un kaléidoscope. Ainsi Marc Pataut a-t-il dressé les portraits de trois habitantes de Douchy-les-Mines. Il a pris également, forts d’une grande simplicité et d’une lumineuse confiance, ceux des compagnons d’Emmaüs. Il s’agit, comme le cinéaste Bruno Dumont donne langue et corps à des êtres puissants mais souvent à la marge, faits de la terre qu’ils occupent, de signaler des présences intenses.

Une série de certains habitants du Cornillon, en Plaine Saint-Denis, apparaît comme une source de bonheur originel. „Le bain de Natacha“ (série le Cornillon – Grand Stade, Saint-Denis, 1994-1995) est l’exemple même d’une beauté innocente, d’une enfant immergée dans la nature, de l’essence de la vie, par l’énergie et la joie qui s’en dégagent. Marc Pataut a photographié un endroit fait de nature et de petites cabanes, de personnes en harmonie avec le ciel, la nature, avant que ceux-ci ne soient expulsés pour le chantier du Grand Stade.

En 1990, Marc Pataut a fondé avec Gérard Paris-Clavel, l’association Ne pas plier. Engagée dans la lutte contre le néolibéralisme, cette association redonne une image aux laissés-pour-compte, une langue digne des grandes campagnes de communication, pour ceux restés dans l’ombre, lors de leurs rassemblements, et par ce biais une place visible. La résistance s’organise. Car tel est le parti de Marc Pataut, celui d’une grande résistance, alliée à la sensualité, la volupté d’être.

Ajoutons-y la responsabilité qui nous oblige les uns envers les autres, et vous aurez là un défi artistique engagé dans son temps.