Exposition participativeLe tour d’Esch en 25 objets

Exposition participative / Le tour d’Esch en 25 objets
Le coq de l’ancienne église Saint-Jean-Baptiste est un des 25 objets retenus dans l’exposition „Escher Geschichten a 25 Objeten erzielt“ Photo: Editpress/Alain Rischard

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A l’issue de vingt mois de récolte auprès du public, 25 objets plébiscités parmi plus d’une centaine forment l’exposition participative „Escher Geschichten a 25 Objeten erzielt“. Ce cabinet de curiosités est une nouvelle démonstration de la manière dont l’histoire publique renouvelle le lien entre les citoyens et leur passé.

„Les objets font parler les gens et incarnent des histoires.“ Alors quand on est historien public, soucieux d’écrire l’histoire avec et pour les communautés, comme l’est Thomas Cauvin, ils constituent un outil de premier choix. Ainsi, l’un des trois piliers du projet HistorEsch que ce professeur associé a lancé à son arrivée à l’université du Luxembourg à la fin de l’année 2020 consistait à créer une exposition sur l’histoire d’Esch dont les objets auraient été choisis et décrits par les citoyens eux-mêmes. 

Migration et industrie

L’histoire publique mise sur le partage de l’autorité entre les universitaires qui habituellement la défendent jalousement et les communautés dont l’histoire doit être écrite. Ainsi, le directeur du projet HistorEsch Thomas Cauvin et la post-doctorante Joëlla Van Donkersgoed sont intervenus pour aiguiller les citoyens, en les aidant d’abord à identifier les objets de famille qui racontent une histoire. „Les gens ne pensent pas forcément qu’un vélo puisse raconter une histoire“, cite en exemple l’historien public. „Mais si, derrière, on considère la personne qui utilise sa première paie pour l’acheter et l’utiliser pour aller à l’usine, il en raconte bien une.“ L’histoire, au départ, est donc personnelle, mais il s’agit ensuite de l’intégrer dans un contexte plus large. Les historiens jouent alors un rôle de „modérateurs entre l’histoire de famille et le contexte“. 

Le partage d’autorité se traduit également par des textes descriptifs composés par les donateurs sous forme de textes ou de témoignage oral, relus par un conseil consultatif issu de la société civile et corrigés in fine par les universitaires. Les textes sont réunis dans une brochure éditée en trois langues qui accompagnent le citoyen dans sa visite de l’exposition. Et si les photos n’étaient pas acceptées comme objet, il a été retenu d’adjoindre une photo à chaque objet pour en compléter la contextualisation et en faciliter la compréhension.

La récolte a commencé en février 2021 par le lancement d’ateliers durant lesquels les volontaires étaient invités à la fois à apporter des objets pour nourrir cette exposition participative et à évoquer des souvenirs de lieux pour la réalisation d’un audioguide qui forme un deuxième volet du projet HistorEsch. Avec le temps, aux ateliers se sont ajoutés des appels sur les réseaux sociaux (notamment au sein du groupe Fl’Eschback) et auprès des associations locales, afin d’augmenter le nombre d’objets. Et au final, ils étaient 103 présentés en ligne dans cinq catégories (travail, migration, maisons, mobilité, loisirs) et soumis au vote des citoyens entre mai et juin 2022.

La sélection finale montre sans trop de surprise que ce sont surtout des histoires de migration et d’industrie que les objets exposés racontent. Il y a singulièrement ce nounours jaune qu’un papa italien parti vivre à Esch avait ramené à sa fille restée en Italie et qui allait rejoindre plus tard le Luxembourg. On rencontre aussi un presse-purée („schiacciapatate“) utile à l’élaboration des gnocchis plébiscités dans la communauté italienne. On retrouve un kit à tabac et une lampe de l’ouvrier de la sidérurgie, mais aussi le fameux vélo d’une ouvrière. Le travail des femmes n’est d’ailleurs pas oublié avec le fer à repasser d’une blanchisseuse ou une coupette représentant la source d’eau minérale Bel-Val sur laquelle on distingue des femmes à l’œuvre. 

Par contre, certains aspects manquent. „On voit qu’il y a des thèmes beaucoup plus difficiles. L’historiographie est très active sur la Première et la Deuxième Guerre mondiale. Mais il est plus compliqué de retrouver ces périodes dans les histoires et les objets de famille. C’est une période noire dont les gens ne veulent pas forcément parler. Les objets sur la Seconde Guerre mondiale peuvent être plus délicats“, observe Thomas Cauvin. Des aspects qui ont beaucoup intéressé les historiens d’Esch, comme la criminalité, le syndicalisme et les politiques urbaines, n’affleurent pas non plus. „Les histoires des familles ne touchent pas les mêmes thèmes. Cela nous questionne sur ce dont les gens veulent se rappeler et sur ce que l’historien peut apporter. Il peut y avoir un jeu intéressant entre les mémoires et l’histoire.“

Les histoires des familles ne touchent pas les mêmes thèmes. Cela nous questionne sur ce dont les gens veulent se rappeler et sur ce que l’historien peut apporter. Il peut y avoir un jeu intéressant entre les mémoires et l’histoire.

Thomas Cauvin, historien public à l’université du Luxembourg

L’objet qui a récolté le plus de votes est néanmoins indirectement lié à cette histoire trouble. Il s’agit d’un jouet qu’un Ostarbeiter avait donné à une fille que sa mère envoyait apporter de la nourriture aux prisonniers slaves. Les autres objets parmi les plus populaires sont la clé du nouvel hôtel de ville en 1937 dont on se demande comment elle est encore aux mains de citoyens ou la fontaine à absinthe de l’ancêtre du Pitcher. L’exposition a aussi provoqué de nouvelles idées de donation. Elles pourraient trouver leur place dans un nouveau projet universitaire qui serait le prolongement de l’exposition présentée en collaboration avec la Nuit de la Culture et dans le cadre d’Esch 2022. 

Place aux images

Cette nouvelle idée consisterait en une plate-forme intitulée „Histor’Esch gesinn“, dont Joëlla van Donkersgoed aurait la charge et qui recenserait des objets, mais aussi des photos de famille. „Nous avons constaté sur Fl’Esch Back que les images sont la manière privilégiée par laquelle les gens se lient au passé. On le voit aussi dans les retours de l’exposition“, confie l’historienne. Les citoyens pourront ainsi numériser et préserver en ligne ces documents, mais aussi apprendre à les analyser et les mettre en contexte, pour relier les histoires familiales à des thèmes plus larges. 

Cette plate-forme serait aussi un lieu d’interaction entre le monde académique, les institutions culturelles, les groupes, les associations et le grand public, que le programme Public History As the new Citizen Science of the past (PHACS) de l’université du Luxembourg a pour but de faciliter. Comme l’explique Thomas Cauvin dans la deuxième édition de son manuel d’histoire publique „Public History: A Textbook of Practice“, paru au printemps dernier, l’histoire publique considère l’histoire comme un arbre, à la différence des historiens classiques qui ne s’occuperaient que du tronc (l’interprétation des sources), elle soigne aussi les racines (la production et la préservation de sources), les branches qui représentent la communication de ces interprétations (expositions, textes, podcasts) et les feuilles, à savoir les usages publics multiples. 

Thomas Cauvin, directeur du projet HistorEsch
Thomas Cauvin, directeur du projet HistorEsch Photo: Editpress/Alain Rischard

A voir

L’exposition Escher „Geschichten a 25 Objeten erzielt“ se tient jusqu’au 24 septembre au Pop-up store situé au 121, rue de l’Alzette à Esch. Elle est ouverte de 13 à 18 heures du mardi au samedi. L’entrée est libre.