Le graffiti en boîte

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La proposition est alléchante. Elle promet un joyeux désordre. Elle déconcerte aussi. Comment présenter une expression de la rue dans un espace muséal, fût-il celui de l’art contemporain? De notre correspondante Clotilde Escalle, Paris

 

Comment ne pas échapper à la règle du genre, à cette fameuse classification qui oppose presque de façon irrémédiable tout ce qui relève de la marge à ce qui est consacré par une élite. Les visiteurs y apprendront quelque chose, bien évidemment. Ils en retiendront les qualités esthétiques. Ils constateront que certains artistes plasticiens s’en inspirent largement.
Mais l’essentiel aura disparu. Sitôt que la rue entre au musée, elle est comme aseptisée, elle devient inoffensive. Elle semble se vider de son énergie, pour nous présenter ce qui tient alors davantage lieu de l’archive, mais aussi, grâce à des figures emblématiques, ce qui relève d’une nouvelle esthétique. Car la société digère tout, même et surtout la transgression, et ce qui sentait hier le soufre, semble aujourd’hui plus fréquentable.
Si nous oublions ce paradoxe, si nous acceptons cet état de fait, alors, toujours du point de vue de l’archive et des beaux-arts, nous pouvons y trouver notre compte. Mais quelle drôle d’ironie du sort que d’intituler cette exposition: „Né dans la rue – graffiti“, car cela ne fait qu’accentuer cette sensation d’embaumement.
La visite commence par le sous-sol, comme l’ultime accent underground. Les murs sont tagués, les artistes sont venus sur place, car il s’agit ici d’une commande, d’une initiative de la Fondation Cartier. Les codes, les différentes écritures, nous guident dans les escaliers et certains couloirs, depuis le plafond jusqu’aux murs, dans une débauche gestuelle qui donne à imaginer le corps même de ces artistes pris par leur action.
Ailleurs, dans les salles proprement dites, consacrées à la mise en valeur des ,,œuvres“, il y a des merveilles graphiques, des couleurs qui filent, dilatées par l’énergie du mouvement. Il y a cette réminiscence de la ville et de sa pauvreté, ce surgissement du dessin, des formes, au cœur même du désespoir, l’envie de signer, de montrer, de devenir artiste dans la jungle des images.
Parfois, tout de même, cela frise le ridicule, comme cette porte de bois, taguée et mise sous verre. Le graffiti est alors devenu source de spéculation, et l’on devine alors combien il serait intéressant économiquement d’en enfler la cote!
Il y a également, comme un vestige, un jean usé, un casque, toute la panoplie du parfait tagueur! On croit rêver! Point donc de désordre. Aucun farceur n’est venu s’affranchir du concept en taguant en direct les murs. Tout est parfaitement lisse et mis en scène comme le témoignage un peu hâtif d’un processus qui revendiquait son caractère éphémère, et qui a fini par se figer dans une beauté et une poésie sorties de leur contexte.

Subculture

Le graffiti est né à New York, à la fin des années 1960. Dans une ville en difficulté, des jeunes ont commencé à revendiquer leur territoire, à le faire déborder, à s’emparer de la ville, en signant de leur nom les murs, les bus. Ces jeunes sont majoritairement issus du quartier ouvrier, ils appartiennent pour la plupart aux communautés hispanique et afro-américaine. Ils cherchent l’exploit, ils signent d’un pseudonyme, appelé tag, auquel ils ajoutent le numéro de la rue où ils habitent. La ville devient alors le support idéal pour des existences en mal de reconnaissance. A partir de ce moment, les caractères commencent à se différencier, les murs se parent d’une certaine esthétique. A ces simples signatures, s’ajoute désormais toute une imagerie populaire, issue de la bande dessinée. Les graffiti s’amplifient, jusqu’à recouvrir des rames entières de métro. C’est au tournant des années 1970 et 1980 que le mouvement déborde de ses frontières et devient international.
Des galeries s’intéressent aux graffeurs, exposent leur travail. C’est dans cette continuité que l’on peut admirer certaines œuvres d’artistes plasticiens au premier étage de la Fondation, des œuvres qui allient une certaine mélancolie de l’académisme à une énergie nouvelle.
Evidemment, la musique s’inspire aussi de cet art de la rue. En France, et partout en Europe, partout où la jeunesse a besoin d’exister, de crier sa révolte, les tags ont fleuri également, comme des signes de reconnaissance. A ce propos, il ne faut pas manquer l’exceptionnel film de João Wainer, journaliste et photographe, et de son frère Roberto T. Oliveira. Ceux-ci ont filmé d’une manière éblouissante d’authenticité et de vérité, pendant plusieurs années, les pixadores en action. Ces pixadores sont des jeunes, généralement issus de quartiers défavorisés. Ils revendiquent un art éphémère et définitivement en marge. Leur propos est politique. Ils défient les autorités à leurs risques et périls, agissent de nuit, au sommet des immeubles.
Il est assez jubilatoire de les voir tagger des expositions d’arts plastiques, et surtout d’observer comment l’élite bourgeoise réagit avec grossièreté, une femme notamment sortant de ses gonds pour les insulter vertement. Les mondes sont cloisonnés et l’art, surtout pour ces jeunes, est en boîte.
En regardant ce film, on ne peut s’empêcher de sentir toute une vitalité, une énergie, que rien ne pourra entraver. Ces jeunes gens transcendent leur existence. Autre constatation, les pixadores disent ne pas faire des graffiti, on sent chez eux une pointe de mépris pour ceux-ci. Ils sont dans la rue et entendent y rester! Par contre, comme il s’agit d’un art éphémère, les pixadores se retrouvent entre eux et s’échangent des dessins, qu’ils collectionnent. Ce sont les signatures d’un monde parallèle qui n’appartient qu’à eux!

Exposition à Paris
Né dans la rue – Graffiti
Fondation Cartier
pour l’art contemporain
261, boulevard Raspail
75014 Paris
www.fondation.cartier.com