Guilty PleasuresL’amour au nouveau millénaire: „Euphoria“, une série de Sam Levinson

Guilty Pleasures / L’amour au nouveau millénaire: „Euphoria“, une série de Sam Levinson
Zendaya incarne Rue, une Millenial née quelques jours après le 11 septembre 2001 Photo: (C) HBO 2019

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Adaptée de la mini-série israélienne du même nom, „Euphoria“ présente les caractéristiques d’une série produite par HBO: un ton et une inventivité qui permettent d’explorer des destins d’adolescents de manière singulière et profonde, à travers des propositions visuelles époustouflantes.

„Euphoria“ s’intéresse à l’un des genres narratifs les plus répandus au monde: le „coming-of-age“, ce moment de la vie où l’on apprend à devenir adulte, où l’innocence se transforme en responsabilité, et la légèreté en conscience – de soi, des autres, de sa place au monde. Comme un nombre infini d’autres films et séries avant elle, „Euphoria“ suit le destin d’adolescents en dernière année de high school. Mais qu’est-ce qui fait donc sa particularité?

La principale qualité d’„Euphoria“ est le fait qu’elle nous entraîne au cœur des émois vécus par ses personnages, et ce, par plusieurs biais. Il y a d’abord la performance toute en finesse et vérité de Zendaya qui interprète Rue, le personnage principal. Nous découvrons le monde à travers ses yeux, ceux d’une Millenial née quelques jours après le 11 septembre 2001.

Sa voix-off, précise, profonde, maîtrisée, intime, nous accompagne tout au long du récit, nous faisant entrer dans sa tête, vivre avec elle ses insécurités, doutes et questionnements, s’autorisant des digressions humoristiques (comme lorsque nous nous retrouvons dans une salle de classe pour un cours magistral, photos à l’appui, sur la bonne utilisation et la signification d’une dick pic).

La vie est trop ennuyeuse pour rester sobre

Il y a ensuite le traitement visuel de ces émotions, la façon dont Levinson choisit de les mettre en scène pour nous permettre de les ressentir au plus proche des personnages. A 17 ans, Rue sort de cure de désintoxication, après avoir fait une overdose. Mais elle n’a pas arrêté de consommer de la drogue, et n’a pas l’intention de le faire: la vie est bien trop ennuyeuse pour rester sobre.

Alors, Rue se rend chez ses dealers, Fezco et son petit frère pré-pubère qui arbore déjà des tatouages au visage et manie un vocabulaire à faire pâlir les gangsters du Bronx. Une fois réapprovisionnée en poudres et pilules variées, elle s’isole dans une chambre pour prendre quelques traces d’une substance qui lui est encore inconnue. L’effet est immédiat.

Levinson ne choisit pas de faire ramper Rue comme un Di Caprio dans „The Wolf of Wall Street“. Elle ne bégaie pas, ne bave pas, sa tête ne se met pas à tourner alors qu’elle regagne le couloir, mais c’est le couloir lui-même, en tant que décor, qui tourne sur son axe, obligeant Rue à passer d’un mur à l’autre pour se maintenir debout, tandis que les jeunes assis çà et là dans la maison continuent de vaquer à leurs occupations, même lorsqu’ils se retrouvent la tête en bas.

C’est en combinant ainsi profondeur et justesse psychologiques, finesse de l’interprétation, et grande créativité dans l’image et la réalisation qu’„Euphoria“ se hisse au rang de série dans laquelle il fait bon plonger. On se laisse entraîner avec un plaisir renouvelé dans cet univers, admirons l’inventivité sans borne de Doniella Davy (la chef maquilleuse qui mériterait de recevoir la plus haute distinction pour son remarquable travail), mais aussi les costumes, la maîtrise de la lumière et de la photographie  – l’utilisation de faisceaux uniques qui permettent de découper le visage des personnages dans l’obscurité et ainsi de souligner plus encore leurs émotions; celles de sources lumineuses surpuissantes en extérieur pour insister sur les silhouettes, les ombres; ou encore les clairs-obscurs extrêmement travaillés, … Tout cela participe à créer un univers visuel unique, où certains plans deviennent de véritables tableaux.

It doesn’t cure, but it sure helps

C’est aussi l’une des premières fois qu’est portée à l’écran une histoire d’amour entre une adolescente cis et une adolescente trans, elle-même interprétée par la jeune actrice trans Hunter Schafer, mannequin et activiste LGBT. Schafer fait ici ses débuts en tant que Jules Vaughn, nouvelle venue dans l’école de Rue, qui deviendra bientôt sa lumière et sa raison d’être. On pourra reprocher à Levinson, homme cis, de ne pas avoir constitué de writer’s room, de s’être donné à lui seul les multiples et principales casquettes de créateur, scénariste, réalisateur et producteur et d’avoir pris comme consultant un homme, et non une femme, trans.

Mais il faut lui reconnaître le mérite de nous offrir avec „Euphoria“ un vrai spectacle de qualité – une série dotée de scènes à la beauté époustouflante, qui ose aborder une variété de sujets difficiles (masculinité toxique, violences sexuelles, …), parvient à inverser intelligemment certains clichés (le parcours du personnage de Kat, jeune femme en surpoids qui découvre son pouvoir et jouit pleinement de sa sexualité), pour in fine explorer ce qui reste immuable à travers les âges et les générations – l’amour. Car ainsi que Levinson le dit lui-même, „Euphoria is about love. It’s about being seen and heard and known. It’s about how, if you keep your heart open, there are people who can change your life. It doesn’t cure everything, but it sure as fuck helps.“