La vie en couleurs – Le photographe italien Luigi Ghirri

La vie en couleurs – Le photographe italien Luigi Ghirri

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Première rétrospective en France de l’œuvre du photographe italien Luigi Ghirri (1943-1992), cette exposition nous mène sur les rives d’un quotidien en couleurs, un quotidien fait de petites choses, de promenades dans les rues des villes, de plages, d’objets, comme un décor entre rêve et réalité, une vie à portée de souvenirs. 

De notre correspondante Clotile Escalle, Paris

En effet, la couleur de cette époque nous ramène tout droit aux souvenirs, il s’agit d’une couleur fraîche, brillante, heureuse, acidulée presque, nous la reconnaissons entre toutes, la couleur Kodak. Cette couleur que les professionnels de la photo ne prisaient guère, qui semblait vouée aux amateurs, et dont Luigi Ghirri s’est emparé avec bonheur, parce que „le monde réel n’est pas en noir et blanc“.

Géomètre de formation, il se vouera véritablement à la photo à l’âge de 27 ans. L’œil exercé par sa profession, il trouvera les cadres naturels, jettera sur la ville un regard épris de détail, élaborera ses visions de manière conceptuelle et minimaliste, dans le dépouillement d’une image prise de face, multipliant les séries. L’abécédaire est celui d’une vie simple, le plus souvent en province, à une époque où les images publicitaires commencent à envahir les cités, notamment celles de l’Emilie-Romagne où Luigi Ghirri est né.

Le photographe fait de ses déambulations des espaces-mondes qu’il nous livre comme un envers du décor, une ligne d’horizon où se mêlerait à la fois la réalité et l’ailleurs, dans des combinaisons insolites. Cela peut être des pages d’atlas prises avec un objectif de macrophotographie, au point d’en donner de nouvelles représentations, celles d’un voyage intérieur depuis un parcours rêvé, d’où émergent à la façon de constellations quelques points satellites.

Des frontières franchies

Ainsi en est-il de la série Atlante (1973), révélant des lieux désenclavés du monde. Luigi Ghirri écrivait, de manière prophétique, à propos de ce travail: „J’ai voulu accomplir un voyage dans un lieu qui efface, au contraire, le voyage lui-même, puisque tous les voyages possibles ont déjà été décrits et tous les itinéraires tracés … Il me semble que le seul voyage aujourd’hui possible se situe dans les signes, dans les images.“

Il lui arrive, dans cette perspective d’un ailleurs, de photographier à la fois celui qui photographie et le sujet qui pose, comme une mise en abîme de ce qui s’offre au regard. S’y dévoilent un intervalle, un lieu, une élaboration mentale. Les cadres, resserrés, jouent souvent de la symétrie. Ces images parfaitement posées, prises au gré des déambulations, sont d’une beauté simple. Elles pourraient s’apparenter à des photogrammes.

Pescara (1972) semble piocher dans la narration du Mépris de Godard. Le regard file sur le court de tennis au premier plan, contre le ciel se profilent deux silhouettes, au loin, la mer. Peut-être cette impression est-elle due aux couleurs, au cadre précis, aux personnages vus de loin, depuis leur territoire narratif. Luigi Ghirri a le don de franchir les frontières, ses silhouettes peuplent son univers comme une allégorie de notre présence au monde. Et les images publicitaires sur les murs de la ville se combinent par bribes avec le ciel, un mur, un élément de la réalité.

Précision méticuleuse

Pour le cliché Bastia (1976), nous voyons à peine le haut d’un paquebot sur une affiche déchirée, un paquebot qui semble voguer sur du béton. Cet alliage de l’imagerie et du monde réel ouvre sur un espace que nous lisons autrement. La ville, par exemple, se voit mieux le dimanche, lorsque les commerces sont fermés et que l’œil est requis autrement. Ainsi se transforme-t-elle en décor endormi, avec les rideaux baissés des échoppes ou les stores fermés des maisons. Un détail, l’agencement parfait d’un jardin d’une maison de banlieue, avec son ordre, son souci décoratif, en disent long sur un environnement socio-culturel, ceci avec beaucoup de légèreté. Pour la série Colazione Sull’Erba (1971-1974), Luigi Ghirri arpente les rues de sa ville, Modène, et fixe sur la pellicule, avec une précision méticuleuse, les façades des maisons et leurs jardins. Un relevé qui en dit long sur les habitudes des petits-bourgeois de ces quartiers. „Loin d’opérer d’une manière critique sans appel, j’ai cherché dans l’acte de regarder le début d’une tentative de compréhension.“ (L. Ghirri)

Luigi Ghirri photographie peu les personnes, ou alors de loin ou de dos, seuls les visages des publicités envahissent le regard comme une intrusion presque fantastique. Ce fantastique fait de leurre, le photographe va également le chercher dans le parc à thème de Rimini, qu’il parcourt comme s’il s’agissait d’un gigantesque photomontage. L’occasion est belle pour le photographe de jouer avec la variation des échelles, le parc de Rimini proposant de nombreux sites célèbres en miniature, comme la tour Eiffel, la Piazza del Campo à Sienne et d’autres curiosités touristiques.

Ce jeu, là aussi, juxtapose l’artifice et le réel. Luigi Ghirri nous offre une œuvre joyeuse et élégante, intelligente, une variation subtile d’images à partir d’un monde à la fois familier et insolite.