Matisse au Centre PompidouLa vibration de la couleur

Matisse au Centre Pompidou / La vibration de la couleur
La Sieste, 1905 Photo: Merzbacher Kunststiftung, Succession H. Matisse

Jetzt weiterlesen! !

Für 0,59 € können Sie diesen Artikel erwerben.

Sie sind bereits Kunde?

L’exposition organisée par le Centre Pompidou, Matisse, comme un roman, célèbre un génie de la peinture, celui que la France n’a pas su reconnaître en son temps et qui a pourtant profondément modifié le paysage artistique. Collectionné très tôt à l’étranger, Matisse est revenu en force dans son pays. Cette exposition chronologique célèbre son œuvre, en compagnie de son ami Aragon, qui écrivit, Henri Matisse, roman (1971, Gallimard). D’autres écrivains et critiques d’art sont également ici au rendez-vous. Un roman, car la vie de Matisse est longue, son travail acharné, son œuvre à multiples rebondissements.

Au contraire de Picasso, Matisse (*Le Cateau, Nord, 1869 – +Nice, 1954) recherche un art fait d’harmonie. „Ce que je rêve, c’est un art d’équilibre, de pureté, de tranquillité“, écrit-il. Et c’est ainsi que tout au long de sa carrière, par un processus de simplification allié à l’idée d’une peinture parfois monumentale et décorative, par des figures dépouillées, oublieux des lois de la perspective, cherchant du côté de l’art byzantin, l’art primitif, japonais, faisant rugir la couleur pure, ce qui lui vaudra l’appellation de peintre fauve, Matisse, souhaitant que la peinture participe à la vie, a créé sa propre vision. Une vision qui a inspiré nombre d’artistes, dans les arts plastiques, en littérature, au cinéma.

Henri Matisse ne se destinait pas à la peinture. C’est à l’occasion d’une convalescence en 1890 qu’il lit un traité de Goupil sur la peinture, et du cadeau d’une boîte de couleurs, qu’il éprouve le désir profond de peindre. Il abandonne le début d’une carrière juridique. En 1891, il suit à l’académie Julian les cours de William Bouguereau. Il y apprendra la rigueur, avec une prédilection pour le nu. Mais il manque de liberté. Il suit alors les cours de Gustave Moreau, à l’Ecole des beaux-arts. Là, il prendra goût à l’arabesque, une arabesque essentielle, une volute nécessaire et précise. Il copie nombre d’œuvres au Louvre et se tourne vers la figure particulière qu’est Cézanne. De chaque rencontre avec les œuvres, comme autant de scansions, s’ouvrent des horizons nouveaux qui lui permettent de ne pas figer son processus créatif.

L’exigence de l’invention

„Sans doute était-ce cela que Gustave Moreau redoutait chez son élève quand il lui disait: ‚Vous allez simplifier la peinture’ (…) Il ne faudrait pas beaucoup me pousser pour que je m’inscrive en faux devant la formule de Moreau et que je dise que Matisse a rendu complexe le problème de peindre, compliqué la peinture, posant devant tous les peintres à venir l’exigence de l’invention, une exigence incessante, qui dès le début de ce siècle, ouvre les temps nouveaux de la peinture. Où marquer le commencement? A tel ou tel tableau?“ (Louis Aragon, Henri Matisse, roman, 1971, Gallimard)

C’est à Collioure que l’espace s’ouvre. Un été 1905, Matisse, en compagnie de Derain, s’affranchit de la représentation mimétique. Les rapports de couleurs pures modèlent l’image, l’espace s’organise indépendamment du motif, Matisse est qualifié de fauve, la qualification d’un temps, car Matisse restera farouchement solitaire. Il acquiert les Trois Baigneuses de Cézanne en 1899, et le maître sans cesse le rappellera à la composition par la couleur, utilisée dans sa plénitude. „Ce que je poursuis par-dessus tout, écrit Henri Matisse, c’est l’expression. (…) La composition est l’art d’arranger de manière décorative les divers éléments dont le peintre dispose pour exprimer ses sentiments.“

Le Luxe I, 1907
Le Luxe I, 1907 Photo: Centre Pompidou, Mnam-Cci/Philippe Migeat/Dist. Rmn-Gp, Succession H. Matisse

Motifs de tapis orientaux, éclat de la lumière, cadre, dans ce qu’il définit finalement d’éclatement par ses fenêtres ouvertes sur le ciel, corps dont les courbes s’harmonisent et se confondent avec un espace saturé de motifs, Matisse créera un abécédaire de formes qu’il déclinera jusqu’au dépouillement et à la monumentalité, faisant de la couleur son ultime alliée, une alliée par laquelle tout advient. Et si parfois Matisse se tient sur le seuil de l’abstraction, il reviendra à la figure, avec des portraits à la fixité de cartes à jouer, énigmatiques, d’une présence inouïe. Impossible pour certaines œuvres de trouver un semblant de perspective. Le ciel par la fenêtre se mêle à l’espace de la chambre, cette fenêtre qui joue de son cadre sans pour autant l’imposer, l’intérieur est éclaté en plusieurs points de vue qui, même si le motif principal semble placé au centre, font passer le regard d’un objet à l’autre, se perdre dans le détail, s’enivrer de couleurs et de volutes. Et les nus, dans leurs papiers découpés, l’emportent en courbes et couleurs, flottant dans l’espace, ce qui ajoute à la sensation de grandeur.

Vers la fin de sa vie, à près de 80 ans, Henri Matisse accomplit ce qu’il appelle son chef-d’œuvre. Le jour de la couleur. Une œuvre d’art total, à la chapelle dominicaine du Rosaire de Vence, englobant les vitraux, les objets de culte, les aubes des prêtres. Cet „orchestre de couleurs“, comme le nomme lui-même Matisse, irradie la chapelle, en fait un lieu de communion. Les couleurs enveloppent, l’œuvre est au comble de sa spiritualité, depuis sa dimension décorative, et la vibration de la couleur parachève un parcours exigeant, épris d’harmonie.