Théâtre / La mécanique de l’exclusion: „Royan“ de Marie NDiaye
A défaut du Festival d’Avignon, Marie NDiaye nous fait lire son dernier monologue.
Marie NDiaye, l’auteure de „Trois femmes puissantes“ (Goncourt de 2009), mais aussi de romans comme „La femme changée en bûche“ (1989) et „Sorcière“ (1996), publiés aux Editions de Minuit, auxquelles elle a claqué la porte après un différend avec leur directeur intransigeant Jérôme Lindon, est aussi une des plus prolifiques et inclassables dramaturges françaises. Ses œuvres dramatiques, comme „Hilda“ (1999), „Papa doit manger“ (2003) et „Les serpents“ (2004) publiées toutes chez Minuit, à une époque où cette maison d’édition était encore toute auréolée de la gloire théâtrale d’un certain Bernard Marie Koltès, sont des pièces nerveuses, brillantes dans l’économie des moyens et la force éclatante de leurs mots, de leurs répliques qui fusent.
En 2020, deux grandes productions de ses pièces auraient dû avoir lieu, premièrement, au Théâtre de l’Odéon, en juin 2020, le spectacle „Berlin mon garçon“, une pièce dont la troublante intrigue se joue entre la France où elle est née et l’Allemagne où elle réside depuis 2007, dans une mise en scène de Stanislas Nordey, directeur du Théâtre national de Strasbourg, et deuxièmement, le monologue „Royan“, qui aurait dû être créé au Cloître des Célestins, au Festival d’Avignon, en juillet dernier, dans une mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia.
Suite à la pandémie et à l’annulation du festival, „Royan“ avait été reporté en novembre 2020 à l’Espace Cardin, des Théâtres de la Ville de Paris, et, pas de bol, après la décision de Manu de statuer les théâtres avec les régulations draconiennes comme des lieux moult fois plus dangereux que les Galeries Lafayettes remplis à ras bord de furieux du shopping, le spectacle fut, encore une fois, annulé.
Le texte „Royan“ vient de paraître dans la collection blanche de Gallimard. L’histoire qu’il raconte, dont l’intrigue se dévoile adroitement au fil de la lecture, est celle d’une enseignante, Gabrielle, qui rentre chez elle dans la lumière dorée de l’après-midi, dans la petite ville balnéaire de Royan, sur la côte atlantique. Elle vient du lycée où elle enseigne le français, quand elle perçoit les signes de la présence d’un couple qui l’attend sur son palier. Elle les reconnaît immédiatement. Ils sont les parents d’une de ses élèves, Daniela, qui a commis un acte terrible qui se dévoilera progressivement. Elle ne veut pas les voir, elle sait qu’ils attendent d’elle une explication à l’acte de leur fille.
Le monologue est l’adresse de l’enseignante aux parents, bien qu’ils ne puissent pas l’entendre. Gabrielle, qui a connu leur fille, qui l’a aimée et détestée à la fois, et qui n’as pas su, ou pu, finalement, lui venir en aide à un moment crucial, et qui dévoile, à travers la relation de l’enseignante et de l’élève, son propre passé, sa colère contre sa mère, son origine algérienne qu’elle a toujours tentée de cacher en se teintant les cheveux en blonds, pour ne pas être l’exclue, l’exotique, l’autre. Gabrielle raconte pourquoi elle refuse d’endosser la responsabilité de l’acte de cette fille, mais en parlant, finit par se reconnaître de plus en plus en elle.
Marie NDiaye construit ici un monologue très maîtrisé fait de digressions, de dévoilements sporadiques, presque comme une enquête sociologique, d’une enfance en terre coloniale à un lycée bourgeois d’une ville française un peu endormie. Il s’agit d’un texte fort, sans aucune ponctuation, qui mêle les souffles des souvenirs du passé et de la violence du présent, construit comme un procédé maïeutique où celle qui parle devient peu à peu consciente de l’énorme faute qui pèse sur elle.
Le monologue, forme suprême de la littéralité dans le théâtre et qui démontre plus que les formes plus conventionnelles du théâtre les qualités plastiques des auteurs dramatiques, est à la mode récemment, les éditeurs de théâtre, l’ont démontré en créant de nouvelles collections dédiées aux monologues, comme „Des écrits pour la parole“ chez L’Arche ou „Au singulier“, pour Actes Sud Papiers. On pourrait croire que dans les temps incertains que nous vivions, l’immédiateté de l’adresse, de la prise de parole directe, souffre d’un manque que la littérature publiée tente de combler. Si donc un éditeur comme Gallimard leur emboîte le pas, on ne peut que s’en réjouir pour cette forme littéraire qui est un retour à l’essentiel.
Info
Marie NDiaye, „Royan. La professeure de français“, Monologue
Gallimard, collection blanche, 68 pages, 9,50 euros
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