La liberté du geste

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Pour la première fois en France, une exposition est entièrement consacrée aux dessins d’Asger Jorn, artiste à l’œuvre par ailleurs polyphonique. Figure majeure du XXe siècle, Asger Jorn, né en 1914 au Danemark et mort en 1973, a fondé avec Appel, Corneille et Dotremont le mouvement CoBrA. Il a également rejoint Guy Debord pour l’Internationale...

Il rompra avec le groupe situationniste en 1962, tout en gardant le contact avec Debord. Les dessins ici présentés sont la matrice d’un travail emblématique, ils nous transportent sur les rives de l’enfance et du détournement, de l’expressionnisme et de la grâce délivrée de tout préjugé.

ASGER JORN EXPOSITION

o Quand? Où?
Jusqu’au 11 mai au Centre Pompidou à Paris
Place Georges Pompidou
www.centrepompidou.fr 

Asger Jorn deviendra, et cela semble une évidence, tant les parentés de „langage“ sont proches, l’ami de Jean Dubuffet. Dans l’instant du triomphe américain, dans cet instant de l’après-guerre, Asger Jorn est l’un des fondateurs du mouvement CoBrA, en 1948. Les participants viennent de Copenhague, Bruxelles et Amsterdam.
Envahissant par ses couleurs, débordant d’énergie, d’un expressionnisme exacerbé, ce mouvement nous renvoie à notre propre vitalité. Les dessins d’Asger Jorn donnent du monde une image poétique et ludique. Simplifiées, les formes sont à aller chercher du côté de l’enfance. Dans le même temps, l’assise d’une telle œuvre est si forte que l’on éprouve sa nécessité, son exigence. Elle revendique un élan vital, une extrême liberté, aussi bien gestuelle que dans la représentation même. Nous sommes quasiment dans une outrance de l’enfance, une rémanence forte de la couleur, celle-ci est flagrante dans les aquarelles, qui sont le prétexte d’un tel éclatement.

Vitalité etexpressionnisme

Evidemment, la psychanalyse, le surréalisme ne sont pas loin, ils ont débridé le geste et un bestiaire surgira dans l’œuvre de Jorn, créatures mi-humaines mi-animales, iconographie onirique. Le vocabulaire est proche de l’art scandinave ancien, quant à ces figures insolites. Et l’on sent une parenté, on éprouve le voisinage, dans cet élan gestuel, avec l’univers de Dubuffet, comme jaillissement de ses propres forces, de cette volonté de dire, sans aucun académisme, une condition particulière.
Comme un paysage qu’il s’agirait d’aller chercher dans les strates du temps, qui ne tiendrait pas du vestige archéologique, loin de là, mais plutôt de la force vive. Un paysage sans mots, à part ceux du Château de Kafka, œuvre que Jorn admire. La trame serait donc, sous la couleur et la forme, celle d’une oeuvre qui irait par fragments et détournement. Qui procèderait également de l’écriture automatique.
D’ailleurs l’écriture sera intégrée au dessin, en dehors du geste libérateur, comme une association de la voix, une nécessité. Quelque chose qui tiendrait d’une calligraphie improbable, d’une tribu de signes, prend place sur l’immensité du papier. L’espace, qui se déploie, sur des formats de dimensions pourtant relativement modestes, tient du vertige. Autre recherche, celle de l’indépendance de la couleur par rapport à la forme.
Souvent, les dessins servent d’oeuvres préparatoires aux toiles. Mais il se suffisent aussi à eux-mêmes. Et dans cette nécessité de dire, Asger Jorn s’est senti proche de Munch, de sa part sombre et mystique, envers de la couleur de l’enfance. Entre ces deux pôles, les dessins oscillent, confrontant la bizarrerie d’une tache à l’encre de Chine, qui donne l’idée d’un cratère, d’un continent lunaire, à une superposition de visages, représentation de couples, crânes, tout est dit avec efficacité et humour de notre condition.
Jorn dessine beaucoup, déchire ses aquarelles en deux, provoque le hasard, pour les recomposer avec des fragments d’autres dessins, livrant, comme à son insu, un monde intérieur. Jorn est un bricoleur de génie. Il s’essaie aussi à la céramique, et les dessins fourmillent d’idées.
Des aquarelles donnent l’idée de cette occupation d’un territoire, de façon harmonieuse et limpide. Cela coule de source. C’est cette évidence lumineuse que l’on retrouve sans arrêt chez Jorn.