La chanson de Marie Darrieussecq: „La mer à l’envers“ dresse le portrait d’une anti-héroïne bourgeoise et d’un migrant africain

La chanson de Marie Darrieussecq: „La mer à l’envers“ dresse le portrait d’une anti-héroïne bourgeoise et d’un migrant africain

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Dans „La mer à l’envers“, roman au style simple et efficace, Marie Darrieussecq dresse le portrait d’une anti-héroïne bourgeoise et résolument contemporaine. Lorsque Rose rencontre un migrant africain sauvé des eaux, elle est soudain forcée de se poser la question du courage et de l’héroïsme ordinaire.

De Amélie Vrla

Sur les conseils de sa mère, Rose, bobo parisienne, s’est embarquée sur un grand bateau de croisière pour passer Noël avec ses enfants et s’acheter un espace mental, une trêve, un moment pour réfléchir à tout ce qui ne va pas: ses choix de vie, la perspective de quitter Paris pour retourner s’installer au Pays Basque … Elle a grossi les rangs des corps vieillis, des âmes esseulées montées à bord de l’embarcation, ville rêvée, (…) utopie à la portée des déambulateurs, loin de son mari qui boit trop, de ses interrogations quant à ce qu’elle éprouve encore pour lui: Fallait-il le quitter, trouver la force de le quitter, serait-il bon de le quitter, retomberait-elle amoureuse, était-elle amoureuse, est-ce que c’était ça l’amour?

La veille de Noël, le bateau de croisière repêche une embarcation de migrants. Rose est sur le pont et assiste à la scène, croise le regard d’un jeune homme qui a l’âge de son fils: Younès, Jonas en arabe. Un prénom comme un destin? Rose, elle, porte le même nom que l’héroïne de Titanic. Et comme celle-ci, elle évolue dans la partie supérieure du bateau, sur le pont, dans les cabines de luxe, alors que les migrants sont parqués dans le quartier des employés, la zone sous l’eau, sous le casino.

L’humain et ses dichotomies

Confrontation de deux mondes: celui d’une quadragénaire bourgeoise parisienne et d’un adolescent nigérien qui tente de rejoindre l’Angleterre pour changer [s]a vie. „C’est une parole du Jedi“ dans Star Wars, explique Younès. „C’est un vers de Rilke“, répond, émue, Rose.

Marie Darrieussecq nous offre un roman à la grande honnêteté intellectuelle, un texte qui force l’introspection, s’attache à chaque détail pour poser la question de ce qu’est un héros moderne et contemporain, face au dérèglement général du monde.

En suivant son personnage de Rose, une femme héroïque, mais seulement par moments, elle pose la question du poids des choix, de la signification des actes, mais surtout, elle dresse le portrait de l’Homme face à sa dichotomie: partagé entre instinct de survie et générosité, égoïsme et éthique, peur et altruisme.

Darrieussecq nous interroge sur nos propres dilemmes

La question de l’héroïsme est posée à chaque moment: a-t-on le courage de venir en aide à un migrant, de quitter son mari, de déménager, de s’asseoir face à un ordinateur pour régler ses factures ou changer d’abonnement téléphonique? En choisissant de faire du personnage de Rose, cette bobo parisienne, l’héroïne du roman plutôt que d’adopter le point de vue de Younès le migrant, Darrieussecq encourage son lecteur à se confronter à sa propre morale, à regarder en soi pour se poser la question de ses propres agissements, de ses „petits arrangements“ avec une lâcheté ordinaire et quotidienne.

En passant au crible les états d’âmes, hésitations, peurs, élans, émotions et interrogations de Rose, Darrieussecq nous interroge sur nos propres dilemmes. Mais Rose n’est pas qu’une bobo égoïste et peureuse, elle est habitée d’une réelle humanité et renoue dans la troisième partie du roman avec son don de guérisseuse. Et c’est là, lorsque la puissance de Rose s’exprime et qu’un véritable dialogue avec Younès est entamé, que le texte trouve une poésie et une force qui nous avaient quelque peu manquées.

Rose devient le vecteur d’énergies dont elle enveloppe Younès comme d’un bouclier cosmique. Et lorsqu’il lui parle de son pays natal, nous retrouvons la poésie d’un ailleurs, les images et la saveur d’„Il faut beaucoup aimer les hommes“. Avec „La mer à l’envers“, Darrieussecq nous offre un chant, la chanson du passage, une incantation magique de Rose pour accompagner Younès au-delà de la frontière, jusqu’au côté désiré du rivage.