Onirisme et goût du fantastique Johann Heinrich Füssli est à l’honneur au Musée Jacquemart-André

Onirisme et goût du fantastique  / Johann Heinrich Füssli est à l’honneur au Musée Jacquemart-André
Roméo et Juliette, huile sur toile, 143 x 112 cm (1809) Photo: Kunstmuseum Basel, Martin P. Bühler

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L’exposition du Musée Jacquemart-André, dédiée à Johann Heinrich Füssli (Zurich, 1741 – Londres, 1825), peintre britannique d’origine suisse, présente une soixantaine d’œuvres érudites et romantiques, hors des modes, l’Europe à ce moment-là se tournant vers l’Antiquité classique. Scènes shakespeariennes, visions oniriques, apparitions, illustrations mythologiques ou bibliques, nous voyageons dans un monde mouvant, atemporel.

Élevé dans un milieu artistique, son père est historien d’art et peintre, Füssli se destine d’abord à la théologie et devient pasteur. Des rencontres importantes le feront changer de direction. Alors qu’il envisage une carrière littéraire ou artistique, Joshua Reynolds, président de la Royal Academy, l’encourage à se tourner vers le dessin et la peinture. Deux autres rencontres, aussi déterminantes, le conforteront dans son choix. Grâce à Johann Caspar Lavater, auteur du système de la physiognomonie, il se passionne pour la répercussion des sentiments et de la douleur physique sur l’expression de l’individu. Jakob Bodmer, quant à lui, l’initie à la littérature anglaise et à l’esthétique romantique.

Un frisson d’extase

Füssli entreprend de voyager. Il séjourne notamment à Londres, à Paris, en Italie. Il découvre l’œuvre de Michel-Ange, qui ne cessera de l’inspirer. On le constate dans son œuvre, aux volumes puissants, à la façon d’organiser l’espace de la toile en le structurant fortement, en faisant s’élever les personnages autour de lignes de force, ceux-ci émergeant d’un clair-obscur dans toute leur puissance. De la nuit spectrale surgissent, sur la scène du songe ou celle empruntée au théâtre, des personnages paradoxaux, pris par une lumière venant des profondeurs du rêve et de l’illusion. Des chimères, des créatures hybrides, des femmes offertes à la profondeur de la nuit, peuplent l’imaginaire. L’une de ses œuvres les plus célèbres, „Le Cauchemar“ (après 1782), trouble par son érotisme. Une femme s’abandonne au sommeil dans une lumière laiteuse, au premier plan, tandis que dans la pénombre, une tête de cheval passe par l’entrebâillement d’un rideau et qu’un démon est assis sur la poitrine de la femme. Contraste saisissant entre l’incube et la blancheur de la robe, le visage lisse de la dormeuse, emportée dans un autre royaume. Terreur, érotisme et délice sont mêlés dans un frisson d’extase, des mondes parallèles se côtoient.

Le théâtre de Shakespeare portera l’œuvre de Füssli dans ces espaces où les personnages, voués à leurs pulsions, œuvrent dans le clair-obscur et trament de sombres complications, tandis que les créatures féériques appellent à un autre monde.

Rêve et fantasmagorie

Füssli s’installe définitivement à Londres en 1778 et anglicise son nom, s’appelant désormais Henry Fuseli. On le remarquera, sa palette se limite volontairement la plupart du temps aux bruns, aux blancs laiteux et phosphorescents. Füssli a une prédilection pour le romantisme et sa violence, sa passion. Son imaginaire, pense-t-il, a une origine divine et s’apparente à des visions, à une quête de sublimation à travers la chair. Le dépassement de la condition humaine ne peut passer que par ce décor terrestre hanté par la nuit, par des héros shakespeariens confrontés aux pulsions de leur âme. Cette transcendance se fait dans la solitude et le huis-clos des ténèbres, que troue une lumière surnaturelle, cette lumière qui atténue la frontière entre la vie et la mort, faisant passer pour irréelle aussi bien l’une que l’autre, comme on le voit dans „Roméo et Juliette“ (1809). Mais l’espace peut aussi s’ouvrir sur une lumière brumeuse, faisant communiquer ciel et terre, comme dans „Le songe du berger“ (1793), où une ronde de personnages surnaturels, comme appartenant à la mythologie, danse au-dessus du berger.

Malgré le plissé des vêtements, les visages forts, traités à l’antique, on trouve chez Füssli des corps qui se contorsionnent ou tournent comme autour d’une colonne, telle Lady Macbeth somnambule, retrouvant là, rappelons-le, l’influence de Michel-Ange.

Fin érudit, Füssli puise aux sources du théâtre shakespearien, de l’imagerie biblique et du mythe. Il crée une nouvelle esthétique, étrange, atypique, entre rêve et fantasmagorie, et influence nombre d’artistes, en particulier William Blake.

Infos

„Füssli, entre rêve et fantastique“
Jusqu’au 23 janvier 2023
Musée Jacquemart-André
158, boulevard Haussmann
75008 Paris
www.musee-jacquemart-andré.com