Ecrire le confinement (3) / Inquiétude et insouciance: pourquoi la pandémie déclenche une impression de vacances étranges
Ça n’a jamais été aussi difficile de trouver une première phrase. Où commencer, quoi écrire?
Quand mon grand-père nous racontait ses souvenirs de la Deuxième Guerre mondiale, il disait souvent qu’on avait de la chance de ne jamais devoir vivre une crise. J’ai grandi avec ça; des balades à travers la ville, des journées de travail dans le jardin et des récits de jeunesse de mes grands-parents. Ce sont des souvenirs qui constituent la base de mon identité, pleins de légèreté et d’insouciance, débordants de bonheur.
Ce sont ces souvenirs qui reviennent maintenant, bien plus fort que d’habitude. Ces deux temps se ressemblent beaucoup. Les longues heures qui semblent presque stagner, les journées interminables, et ce sentiment de ne pas savoir quel jour de la semaine on est au juste. Puis ce ciel bleu éternel et le contact avec la nature. C’est le retour à un monde clos.
La vie s’est apaisée, même la ville reprend son souffle et somnole d’un rythme relâché. Elles aussi semblent être retournées en arrière.
Cependant, en même temps que ce passé remonte, des habitudes et occupations d’un passé plus récent et de ma vie d’aujourd’hui bousculent cette introspection. Je suis perdu dans le temps; entre différents passés, le présent et l’anticipation du futur.
A travers ces journées monotones, un autre sentiment s’impose en arrière-goût amer: l’inquiétude. La peur de perdre des proches, le mécontentement de devoir brider son envie de vivre, et en dernier lieu, il me semble, la peur de la maladie, d’en être touché soi-même.
On se sent juste un peu perdu. On ne sait pas ce qu’il se passe. On est loin des hôpitaux, des malades, des services de santé et de leur combat contre le virus. On n’en connait rien. Ici c’est plutôt des vacances étranges. Un mélange d’insouciance et d’inquiétude.
Une vie restructurée
La vie semble complètement se restructurer autour de la nature. Tout le monde se rue vers les forêts. Au coin de ma rue il y a une nouvelle résidence avec un concierge. A chaque fois que j’y passe, il est dans son jardin avec ses enfants. Ça fait plaisir. De là, des chemins traversent les champs pour regagner la forêt. Cette plaine, normalement assez déserte, recueille de longues trainées de promeneurs.
En vélo, j’apprends à réapprécier les chemins de la forêt qui s’étire juste derrière ma maison. Petite échappatoire de l’inquiétude et de l’ennui du quotidien, l’ivresse de la vitesse me procure à nouveau le sentiment de liberté qui m’a tellement fait adorer ce sport au début. Pendant ces quelques heures, je débranche. Et c’est peut-être le plus important lors d’une telle crise, débrancher, couper la radio qui assourdi avec des tas de chiffres et embête avec des nouvelles toujours pareilles.
Parfois quand je me balade, je crapahute à travers même la forêt, m’éloigne des chemins et erre au plein milieu de tous ces arbres. On se sent libre, seul dans la nature. Maintenant, les promenades ont acquis un éclat de la magie qu’à une marche d’approche en montagne. Le silence parfait des rues de mon quartier, la solitude et ce coq qui au loin perd sa voix dans un ciel sans nuages.
Tout ceci est une idylle, le fond de bouteille d’un rêve, une promesse perdue à l’horizon, une brindille du réel.
Le matin, un soleil jeune vient chauffer le banc devant la cabane au fond du jardin. A chaque pas, l’herbe effleure mes pieds et la rosée me rafraichit la peau. Les fleurs des arbres ont une couleur encore pâle, bientôt elles brilleront dans la lumière matinale. Je m’assieds, je pose ma tête en arrière, je ferme les yeux et je souris. Les oiseaux braillent comme un orchestre mal accordé. Le bourdonnement des insectes forme une coulisse sonore monotone. Les poules de mon voisin piétinent et se plaignent. Des échos d’aboiements résonnent. Un peu plus loin, un coq élève sa voix dans le ciel clair. Très rarement, une voiture se fait entendre sur la route qui passe environ dix mètres derrière le jardin. Un faible ronronnement est audible; un avion ou l’autoroute, je ne sais pas.
Une brindille du réel
Je lis un livre, bercé par cette sérénité inouïe. Je suis dans la capitale du Luxembourg, dans un quartier qui est surtout connu pour ses banques, ses commerces et son trafic. Pourtant j’ai l’agréable impression d’être à la campagne. Je n’ai qu’à fermer les yeux et je peux m’imaginer loin de la maladie, de la civilisation et de tout contact humain. Seul dans une maisonnette au milieu de nulle part, dans un monde rêvé, où il n’existe que lecture et écriture. Et je n’y serais jamais bien seul.
Par la force de l’imagination, je pourrais m’inventer la compagnie de chaque être au monde, tendre tout dialogue et créer toute histoire. C’est tout ce que je veux en ce moment: me perdre dans mes pensées et y construire une vie meilleure. J’ai besoin de ça parfois: m’enfermer dans ma tour d’ivoire et attendre que le temps passe.
En fin d’après-midi, je m’assieds sur le même banc. Le soleil est bas, n’illumine plus que le haut des arbres et se reflète dans les fenêtres des maisons. Les pétales perdent leur éclat et reprennent leur douce couleur un peu lasse. Les chants des oiseaux sont plus reposés. De temps en temps, une voiture ramène son détenu vers la liberté. Je respire tranquillement et me dis qu’on vit bien comme ça finalement.
Tout ceci est une idylle, le fond de bouteille d’un rêve, une promesse perdue à l’horizon, une brindille du réel.
La première semaine du confinement a été difficile, puis les deux qui ont suivi étaient bizarrement plus agréables. C’est peut-être la résignation, surtout en matière de sport. C’est peut-être aussi que j’ai trouvé un substitut à la vie réelle. Tous les soirs, après une séance d’écriture, je me plonge dans une série. Je débranche. Je m’abandonne volontairement dans ce monde fictif qui alors remplace la réalité. C’est une dose de vie qu’il faut tous les jours, savoureuse et intégrale, sous forme de suppositoire virtuel. Une petite pilule de bonheur pour compenser tout ce qu’on a raté.
Ne plus jamais être sérieux
J’ai le temps de réfléchir aussi. Mais réfléchir, c’est se poser plus de question que d’en résoudre. Le résultat n’en est qu’une grande confusion. C’est à ces moments que le four de l’imagination s’éteint, que la machinerie s’arrête et qu’on est exilé de sa tour d’ivoire. Je me trouve face à mon présent, le vrai. Et face à un futur incertain, vidé de toutes les frivolités des rêves.
Moments de vérité? Un sentiment vague et dissipé. La sensation de ne pas être à sa place. N’importe où je suis, j’ai toujours envie d’être ailleurs; je sens qu’il y a un manque quelque part, des pièces qui abîment le puzzle. Pour un bref instant, je me sens seul. Plus seul que jamais avant. Une solitude qui transgresse le confinement et qui me semble le noyau même de ma vie.
De ce court malaise sort une unique certitude. Il y a une seule chose qui compte. Une seule chose qui me fait vivre.
C’est la littérature.
Et si j’ai compris une chose ces derniers jours, c’est cela: que je veux écrire, que c’est là mon ultime désir. Le monde le plus légitime, c’est celui où on se sent le plus vivant. Au-delà du réel, du quotidien gris et morose, je place l’imagination, le monde des rêves, la seule et véritable liberté.
Et si on m’accorde un seul vœu. Je me jette à genoux, et, les larmes aux yeux, avec tout le pathos d’un poème romantique, me promets de ne plus jamais être sérieux.
Ecrire le confinement
Une fois par semaine, le Tageblatt propose le regard d’un auteur sur la crise – que ce soit sous forme d’essai ou d’(auto)fiction – afin de donner une lecture différente de la pandémie actuelle.
Antoine Pohu est un jeune auteur Luxembourgeois qui vient tout juste d’atteindre ces 21 ans. Ennuyé par ces études d’histoire à Bruxelles, il passe la plupart de son temps à lire, écrire et à combler sa quasi-addiction sportive. En 2018 il publie son premier texte dans les „Cahiers luxembourgeois“ et remporte avec ce même texte le prix Laurence. En 2019, il reçoit le premier prix du Concours littéraire national dans la catégorie jeunes auteurs pour son roman „La Quête“ qui sera bientôt publié par la maison d’éditions „Op der Lay“.
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