ExpositionInfluence et résonances: Soutine et De Kooning au Musée de l’Orangerie

Exposition / Influence et résonances: Soutine et De Kooning au Musée de l’Orangerie
Chaïm Soutine (1893-1943) Le groom (Le chasseur) Paris, Centre Pompidou – Musée national d'art moderne – Centre de création industrielle, Huile sur toile 98 x 80,50 cm Photo: Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais/Philippe Migeat

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Cette exposition organise un dialogue a posteriori, où l’on voit combien l’œuvre de Chaïm Soutine (1893-1943) a résonné et stimulé la création expressionniste américaine, notamment celle de William de Kooning (1904-1997), artiste américain d’origine néerlandaise. Cette mise en abyme permet des rapprochements inédits et ramène le geste de Soutine à une peinture essentielle, comme mise sous la loupe, pour sa densité picturale, sa structure parfois vacillante, ses effets et ses empâtements, qui sont autant de forces en action.

„J’ai toujours été fou de Soutine – de toutes ses peintures, écrit de Kooning. C’est peut-être la luxuriance de la peinture. Il construit une surface qui ressemble à une étoffe, une matière. Il y a une sorte de transfiguration, un certain empâtement des chairs dans son œuvre.“

Occasion merveilleuse de voir et revoir l’œuvre de Soutine commandée par la nécessité, ses chairs à vif, ses personnages comme surgis d’un mauvais conte et qui s’incarnent de manière follement perceptive par une allure, un dos déformé, les volutes des corps, des teintes exacerbées. Une humanité au bord de paysages qui semblent sur le point de s’effondrer, comme si la mise au point prenait en compte le danger d’être. Que l’on ne s’y méprenne pas, dans les lapins écorchés, dans le rouge de la livrée d’un groom, dans l’œil noir d’une petite fille, jusque dans l’ondoiement de l’eau, tout semble sur le point de se défaire, tout en étant parfaitement ancré – grâce à l’énergie de la couleur et du trait, au surgissement de personnages imparfaits et si présents. Ce paradoxe donne la force, entre autres, de l’œuvre de Soutine. Arêtes vives et tourbillons, facettes des visages et des corps, jusqu’à flirter avec l’abstraction quand l’œil se fixe sur un détail. De la matière en éruption, une sorte de lave, la violence évidente de l’existence.

L’histoire et ses rencontres obligées

Chaïm Soutine (1893-1943) La Femme en rouge, 1923-24, Huile sur toile 92 x 65 cm, Paris, Musée d’Art moderne de Paris
Chaïm Soutine (1893-1943) La Femme en rouge, 1923-24, Huile sur toile 92 x 65 cm, Paris, Musée d’Art moderne de Paris Photo: CCØ Paris Musées/Musée d'Art Moderne de Paris

Rappelons que Chaïm Soutine, français d’origine lituanienne, est né dans une famille juive très pauvre. Peur et insécurité se rajoutent à la misère. Il fuira sa ville natale, exercera à Minsk plusieurs métiers puis, à Vilnius, intéressé par la peinture, entrera à l’école des beaux-arts. Il arrivera à Paris à l’âge de vingt ans. Il y connaîtra aussi des années de misère. Passionné par son art, il fréquentera davantage le Louvre que l’école des beaux-arts où il est admis. Son admiration va à Van Gogh, Corot, Courbet et Rembrandt. On percevra sa fascination pour Rembrandt dans ses bœufs écorchés, il y a également les volutes de Van Gogh, l’épaisseur terrienne d’un Courbet, mais il y a aussi la rapidité du trait, les raccourcis d’un Daumier, dont on peut percevoir l’influence dans le traitement des personnages. L’histoire de la peinture a des rendez-vous incontournables. Willem De Kooning, né à Rotterdam, embarquera en 1926 clandestinement pour les Etats-Unis. Il s’installera en 1927 à New York.

Grâce aux heureuses circonstances du marché de l’art, De Kooning a pu vraisemblablement découvrir les œuvres de Soutine en 1930, lors de l’exposition „Painting in Paris from American Collections“ au Museum of Modern Art de New York. Soutine, lui, a rejoint les artistes de La Ruche à Paris. Modigliani lui présente en 1916 le marchand d’art polonais Zborowski. Celui-ci lui sert de mécène et Soutine se retire en 1919 dans les Pyrénées, à Céret, pendant trois ans. Toujours grâce à Zborowski et un autre marchand, Paul Guillaume, le collectionneur américain Albert C. Barnes acquiert en 1922 cinquante-quatre toiles de Soutine. C’est ainsi que l’œuvre de Soutine a gagné les Etats-Unis et que De Kooning a pu l’admirer.

Il s’agissait alors pour les artistes américains d’aller dans le sens de l’abstraction, ce que fera De Kooning avant de revenir à ses Woman. Et le résultat est jouissif. Après s’être plongé dans une contemplation méditative de l’univers en équilibre instable de Soutine, on voit, chez De Kooning, dans la figuration à peine esquissée et qui ouvre une troisième voie, combien la chair semble fondre, se défaire, tout comme les peintures de Soutine, structurée par quelques lignes fortes, avec un humour et un désespoir sans faille.

Willem de Kooning (1904-1997), Femme II (Woman II) 1952, Huile sur toile 149,9 x 109,3 cm, New York (NY), Museum of Modern Art (MoMA), don de Blanchette Hooker Rockefeller, 1955 Artwork
Willem de Kooning (1904-1997), Femme II (Woman II) 1952, Huile sur toile 149,9 x 109,3 cm, New York (NY), Museum of Modern Art (MoMA), don de Blanchette Hooker Rockefeller, 1955 Artwork Photo: The Willem de Kooning Foundation, Adagp, Paris, 2021, Digital image, The Museum of Modern Art, New York/Scala, Florence

Les visages, les corps sont là, encore plus que s’ils étaient sagement peints, dans une perception instantanée, qui donne à la chair, volutes, circonvolutions, aplats, comme si elle était à la fois contenue et expansée. Il y a la rapidité, l’ébauche, le surgissement de la figure, l’impossibilité comme chez Soutine de la saisir dans son entièreté, c’est-à-dire de regarder l’œuvre à distance. Nous ne la possédons pas, nous sommes obligés de nous y fondre. Ces figurations/abstractions ouvrent à l’infini, ce sont des images déformées et saisies dans leur essence. Comme des âmes entraperçues.

Cette exposition permet une résonance entre des chefs-d’œuvre. Beauté, exigence et audace sont au rendez-vous.

Infos

Chaïm Soutine/Willem de Kooning. La peinture incarnée.
Jusqu’au 10 janvier 2022.
www.musee-orangerie.fr